Chapitre 5 : Expérience de l’AITF, GT DST-Généraliste

Chapitre 5 : L’expérience de l’ingénieur territorial au sein de l’A.I.T.F. Grand-Est: passage des dynamiques des acteurs au procès.

Ce chapitre souhaite rendre compte du point de départ de la thèse, de son origine, et des questions que sa démarche provoque. Il est conçu de manière indépendante du mouvement général de la thèse, car il déchiffre l’expérience telle qu’elle s’est passée dans ce groupe professionnel précis. L’ordre de prise de conscience des dynamiques et de leurs relations n’est pas l’ordre d’exposition qui a été adopté aux chapitres 2 à 4. L’expérience relatée est un exemple de plus de la convergence des approches autour de cinq composantes principales de l’expérience.

Le point de départ de ce travail de thèse a été la remise de l’ouvrage Lunéville à travers les plans, de 1265 à 2000 , publié en 2000. Il s’agit d’un travail collégial coordonné et en grande partie rédigé sous ma direction. L’ingénieur territorial est enraciné dans sa commune. Il y acquiert une vision globale grâce à la rencontre quasi quotidienne des élus, des habitants, des services municipaux et autres acteurs de la ville. A l’interface entre la « matière » et les « propositions d’aménagement », il doit manipuler beaucoup de documents, rechercher l’histoire des équipements, des rues, des places pour créer du neuf étroitement articulé sur l’ancien.

Ayant décidé de poursuivre ce travail dans une thèse, la première idée a été de rendre compte du travail de transformation des territoires de l’ingénieur territorial ainsi que de l’expérience d’échange d’expériences des ingénieurs territoriaux du Grand Est entre 1998 et 2004, par la création avec Jean-Jacques Funke [1], en 1998, d’un groupe de travail « Ingénieurs généralistes » au sein de l’Association des Ingénieurs Territoriaux de France (AITF). Les grandes étapes des prises de conscience de ce groupe ont été indiquées dans l’introduction, à la section méthodologie. Ces étapes sont ici détaillées afin de montrer le plus finement possible la succession de ces prises de conscience collective, puis le point de départ personnel de la présente thèse, en vue d’approfondir des questions posées collectivement.

5.A. Les étapes de la recherche :

L’histoire qui est présentée ci-après est celle du commencement d’un passage.

  • Passage de l’isolement à une mise en réseau.
  • Passage du silence à une parole d’échange d’expériences.
  • Passage d’une technique d’application de procédure à une technique d’écoute, d’où émergeront des techniques ajustées aux usages, et de nouvelles approches participatives.

Au delà des réalisations, le principal passage est celui d’une pensée de spécialistes en techniques urbaines à une pensée généraliste. Au point de départ se trouve la réaction des ingénieurs des groupes de travail spécialisés, issus essentiellement des grandes villes : « Une pensée généraliste n’existe pas ! Le généraliste est celui qui monte en grade et « prend de la hauteur » !». Cette pensée entre en contraste avec le vécu des ingénieurs des petites et moyennes villes : ce vécu est généraliste de fait, non lié à la montée en grade. N’existe-t-il pas une science généraliste, qui puisse être le support de ce vécu de généraliste de fait, le support d’une activité organisée et le support de l’échange d’expérience ?

Voici le détail des sept étapes déjà citées de cette prise de conscience progressive des 3 dynamiques des collectivités territoriales : la dynamique des élus (politique), des services (organisation) et des usagers (usagers/citoyens).

Des liens entre les cinq réalités de chacune de ces dynamiques ont été tracés, jusqu’à constater que cinq « réalités d’expérience » apparaissent comme des invariants, ou des constantes dans toutes les dynamiques. La pratique montre que pour arriver à un changement (social ou territorial), ces réalités doivent fonctionner toutes ensemble. Mais comment s’articulent-elles entre elles ? L’étude du procès (le process anglais) permet d’expliciter ces liens, et d’exprimer le procès de transformation des territoires, avant son application au cas de la région « Entre Vosges et Ardennes ».

Les numérotations qui suivent sont à référer au tableau suivant (également présenté dans la méthodologie). Elles en marquent la continuité d’analyse. Les notions qui suivent ont déjà été exposées. La perspective ici est différente de l’exposition : elle est celle de la chronologie du vécu.

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Figure 5‑2: Schéma des étapes 1 à 4 de l’expérience au sein de l’AITF (juin 1998 à Juin 2004 )

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Figure 5‑3 : Schéma des étapes 5 à 7 (juillet 2004 à Septembre 2007)

Cette analyse en 7 étape doit beaucoup à la pédagogie d’analyse des organismes PRH et HFC, et notamment au dialogue avec Francis Manet : les 7 étapes sont une reconstruction à postériori de l’expérience collective, pour tenter de la faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas vécue.

5.B. Étape 1 : La recherche géographique classique (1997-2000)

A cette étape, une recherche systématique a été faite dans les archives de la ville de Lunéville entre 1997 et 2000 pour rechercher tous les plans et documents produits depuis 1265 (date de franchise de la ville de Lunéville par la Charte de Beaumont), les répertorier, et les présenter dans un travail d’analyse diachronique et synchronique. Une analyse de la ville par fonction a également été réalisée, suivie d’une synthèse de l’évolution de la ville depuis 1265.

L’ingénieur territorial occupe une position privilégiée dans les collectivités territoriales pour réaliser ce travail de croisement entre les archives, le terrain, et le vécu de la cité à travers son histoire et dans l’actualité. Le résultat est un ouvrage au format A3 de 129 pages avec près de 50 plans. Cette étape m’a conduit à envisager de mener une thèse de géographie.

La recherche a d’abord porté sur les dynamiques des acteurs. Dans la présente étape, elle porte sur l’expérience des 3 dynamiques des collectivités (politique, d’organisation et des usagers). Cette phase se situe entre Juin 1998 et Juin 2004. Au cours de nombreux échanges formels ou informels, des partages ont eu lieu sur les expériences de chacun des membres du groupe de travail concernant les réalités des dynamiques. De l’expérience de ces réalités ont émergé progressivement des réalités d’expérience qui restent de même nature à travers toutes les dynamiques (réalité de la vision, des objectifs, des valeurs, des interactions, et de la structure). Ces réalités se retrouvent également dans la dynamique des territoires à l’étape 4. L’étape 5 fait part de l’intuition de la correspondance de chaque réalité avec les phases de concrescence du procès organique. De cette intuition est issue une proposition pour un procès whiteheadien de transformation des territoires aux étapes 6 & 7.

5.C. Étape 2 : Les 3 dynamiques des acteurs de la transformation des territoires : expériences des réalités de ces dynamiques (juin 1998 au 6 décembre 2001).

A cette étape ont été mises en évidence les 3 dynamiques de base des 3 acteurs principaux des Collectivités Territoriales : les élus, les services municipaux, les habitants (2000-2001).

L’auteur de cette thèse est de formation ingénieur en architecture et urbaniste. Or, le statut de la fonction publique territoriale ne connaît que les ingénieurs territoriaux (IT), et c’est sous cette appellation qu’il intègre les architectes et les urbanistes. L’université, elle, ne connaît que ses spécialités, par exemple celles de « géographie-aménagement » ou « géographie régionale ». Peuvent y adhérer les urbanistes, les aménageurs, et les développeurs de territoires. A qui s’adresse donc ce travail, en définitive ? à l’architecte ? à l’urbaniste ? au géographe ? à l’ingénieur ? La figure de base est l’ingénieur territorial (car les exemples sont tous situés dans l’organisation territoriale), avec un élargissement au fil du travail à tous les autres acteurs, jusqu’à proposer une approche géographique organique.

Un Groupe de Travail régional au sein de l’AITF a été lancé en Juin 1998 pour sortir de l’isolement les IT [9], partager l’expérience et la mutualiser. Le cadre pédagogique chargé de la formation, M. Bernard Poureyron, a mandaté un consultant international, M. Samir Toumi, pour faire un exposé introductif aux travaux du groupe (voir l’encadré ci-après). Cet exposé a permis de clarifier les invariants des structures municipales (la double structure élus / fonctionnaires) et les évolutions structurelles des collectivités (nouvelles finalités).

Le CNFPT fait appel à des formateurs extérieurs, et n’a pas de méthodologie spécifique pour la formation de réseaux de professionnels et l’échange/mutualisation/capitalisation d’expérience. L’outil PRH a été la formation relationnelle officielle. Cet outil se prolonge dans l‘outil pour les groupes de l’association Hommes Femmes dans la Cité (Brainville/Nancy). L’outil d’analyse de la dynamique de l’expérience de l’Association « Hommes Femmes dans la Cité » a été adoptée par le groupe, après expérimentation dans les premières rencontres. La validation de cet outil s’est faite au Congrès régional Est de l’AITF à Montbéliard en 2001. La méthodologie d’échange d’expérience a alors été trouvée dans les méthodes d’intelligence collective de la Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH) [10]. La Fondation pour le Progrès de l’Homme est connue internationalement pour la qualité de réflexion et d’action pour la mutualisation et capitalisation d’expérience, et la méthodologie de réseaux. Les Chromatiques whiteheadiennes sont des séminaires internationaux qui se réunissent à la Sorbonne : elles sont une tribune d’analyse critique des travaux des participants : le présent travail a été soumis à cette critique. Enfin, la petite association Terre & Cité fonde son approche sur une thèse menée par William Twitchett sous la direction de Paul Claval. L’Université joue donc ici le rôle d’unifier la diversité (uni-versité) : le présent travail est une mise en relation la plus rigoureuse possible entre les éléments cités.

Le groupe de travail régional est devenu un nouveau groupe de travail national en 2003 (premier groupe de travail orienté vers le métier d’ingénieur territorial généraliste parmi les 16 groupes techniques existants. Le généraliste est souvent « DST » -Directeur des Services Techniques)-).

Le groupe réunit des techniciens ayant à s’investir dans les villes de 10 000 habitants à 45 000 habitants, élargi aujourd’hui aux villes de plus de 8 000 habitants, soit 92 villes sur le Grand-Est (9 départements).

Le groupe a médité au long des années sur le métier d’ingénieur généraliste, au point de faire sienne cette remarque de A.N. Whitehead : « Il revient aux sciences particulières de modifier le sens commun. La philosophie est l’union de l’imagination et du sens commun réfrénant les ardeurs des spécialistes tout en élargissant le champ de leur imagination ». (PR17). Cette philosophie a un caractère scientifique (rappelons que Whitehead a été mathématicien pendant 40 ans) et peut devenir celle des ingénieurs généralistes …

Notre conviction est que l’ingénieur généraliste pourrait avoir un statut, un métier (une pratique) et un champ de compétence (l’ingénierie territoriale) avec pour outil généraliste une approche scientifique généraliste. Cette approche scientifique a d’abord pris la figure des dynamiques des acteurs dans la présente étape. Elle prendra la figure de la dynamique des territoires à l’étape 4 puis du procès organique à l’étape 5, et d’une proposition pour un procès whiteheadien de transformation des territoires aux étapes 6 & 7.

Une thèse de géographie ne pouvait être purement descriptive : elle doit expliciter ses présupposés méthodologiques et ses références de base, et parler autant des acteurs de la transformation du territoire que du territoire transformé lui-même. La dynamique de transformation des territoires apparaît dans cette interaction, pour être concrète.

Souvent dans les communes ces trois types d’acteurs sont bien séparés : un ingénieur ne se mêle pas de politique et applique les décisions des élus, un élu ne s’occupe pas de gérer les services (même si la tentation est grande), et les habitants sont consultés pour leur présenter les projets dans les réunions de riverains, et exprimer leurs souhaits dans les réunions de quartier. Beaucoup de petites et moyennes villes fonctionnent ainsi, avec toutes les nuances possibles.

Cette étape est la tentative de formulation de la dynamique des acteurs au service de la transformation des territoires. L’expérience est celle de l’ingénieur territorial, dans sa pratique quotidienne, dans les petites et moyennes villes.

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Figure 5‑4 : Les finalités des collectivités et les changements structurels en cours : passage de l’expertise technique à l’expertise managériale. Source : CNFPT, Samir Toumi, consultant.

Le consultant du CNPFT, Samir Toumi, a clairement situé avec le document ci dessus la perspective de travail du nouveau groupe des ingénieurs et techniciens généralistes de l’Est de la France. L’apport principal est d’apprendre à distinguer les disfonctionnement qui viennent de l’évolution structurelle des services techniques en France d’avec les éventuelles difficulté personnelles des Directeur des Services Techniques.

Les acteurs principaux de la Cité sont les élus, les services municipaux (représentés ici par l’ingénieur), et les habitants. Chacun de ces acteurs a sa dynamique : dynamique politique pour les élus, dynamique d’organisation pour les services municipaux, et dynamique citoyenne/territoriale pour les habitants.

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Figure 5‑5 : Schéma de la lecture structurelle des collectivités. Source : CNFPT, Samir Toumi, consultant.

Très naturellement, on trouve donc les trois dynamiques correspondant à chacune des trois entités structurelle de la collectivité : la dynamique des élus, des services municipaux, et des usagers/habitants/citoyens.

La tentative de formulation de la dynamique des acteurs au service de la transformation des territoires demeure une étape essentielle. Elle met en avant l’expérience de l’ingénieur territorial, dans sa pratique quotidienne, au sein des petites et moyennes villes.

Un rapprochement a été fait à cette étape entre l’exposé de Samir Toumi et les trois dynamiques des ateliers de la Fondation Hommes Femmes dans la Cité : la dynamique politique de l’atelier « La Cité, réalité politique », la dynamique d’organisation de l’atelier « Hommes, Femmes dans la Cité » et la dynamique du citoyen (usager ou habitant) dans l’atelier « Le Citoyen au quotidien ».

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Figure 5‑6 : Les trois dynamiques des élus, des services et des usagers.

A cette étape, les trois dynamiques sont bien séparées. Il n’est pas rare d’entendre chacun veiller scrupuleusement sur « ses prérogatives », et bien cloisonner les fonctionnements. Il n’est pas rare d’entendre « les services sont là pour exécuter, il ne faut surtout pas se mêler de politique ». Il est d’ailleurs une tradition :les DST doivent rester neutres afin de pouvoir continuer à fonctionner le lendemain d’élections, même si la municipalité a changé.

Pourtant, le métier d’ingénieur territorial est tout entier relation(s) et événement(s). C’est de la maîtrise de la trame des relations et des événements et du croisement des expériences que peut naître du neuf, concrétisé par la prise de nouvelles décisions mise au service de la progression de la collectivité. En même temps, l’ingénieur offre une expertise technique, basé sur les « sciences dures ». La fierté d’un ingénieur est de réaliser les opérations décidées par les élus dans un esprit cartésien. Dès lors, il doit apprendre à conjuguer procédures et relations.

Cette conjugaison l’oblige à remettre en cause les présupposés scientifiques qui ne sont pas en harmonie avec les relations et avec les événements. Toutes ses propositions aux élus conjuguent ainsi science, techniques, relations et événements. L’ingénieur territorial replace la science et la technique dans l’ensemble des pures possibilités du monde. Il se laisse guider par les valeurs qui actualisent ces possibilités et donne aux élus une précieuse aide à la décision. Cela réclame une attention au réel pour en saisir les possibilités et proposer aux élus des avancées de la collectivité. Ils ne prennent pas de décision à leur place. Pour autant, ils prennent en compte tout le réel, y compris politique, dans l’aide à la décision. L’art de l’ingénieur réside dans l’art des propositions et l’Art de la gouvernance, ou ingénierie institutionnelle. Il travaille sur les mêmes dynamiques que l’élu, ou l’habitant, avec un point de vue différent et une culture différente. Cela oblige à L’intelligence de l’autre (titre d’un livre récent de Michel Sauquet [11]). Les propositions ne se font pas sans participation au débat politique, et l’ingénierie institutionnelle ne se fait pas sans écoute des services, habitants et usagers.

Notre conviction à ce stade est que l’ingénieur généraliste pourrait avoir un vrai métier, amenant à appréhender de façon globale, systémique et organique le territoire qui est le sien. Or, ainsi que l’explique avec clarté Edmond Bonnefoy [12], un métier comporte trois éléments :

  • un statut,
  • une pratique
  • un champ de compétence

Force est de constater à ce jour que si l’ingénieur territorial a une situation et une pratique, son champ de compétence n’est pas clairement défini (manager urbain / manager territorial ? aménageur / géographe ? technicien / expert ? ). Le titre de « généraliste » a existé, et figurait aux options du concours d’ingénieur avant 2002. Mais l’absence de contenu scientifique à cette option a conduit à la supprimer. La présente thèse voudrait contribuer à créer ce contenu scientifique pour inviter à réintroduire l’option généraliste aux concours d’ingénieurs. Ce contenu reste à construire autour des notions de systèmes et d’organisme. A l’inverse, l’agent de développement territorial a un champ de compétence et une pratique en rapide évolution, mais sa situation dans les collectivités ne s’est clarifiée que depuis peu [13]. L’urbaniste s’est doté d’un référentiel au sein de l’Office Public de Qualification des Urbanistes [14]. Pour le géographe, au sein des Universités, la Charte de l’APERAU [15] offre également un référentiel. Au sein de cet univers fragmenté de l’urbanisme en France, seul l’ingénieur territorial semble absent, tant de l’Union Nationale des Associations de Développement Local (UNADEL), de l’Association Pour l’Enseignement et la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU) que du Conseil Français des Urbanistes (CFDU). Une déclaration commune de Claude Bastouil (Président de l’AITF) et de Bernard Lensel (Président d’Urbaniste des Territoires – UT-) en mai 2004 montre pourtant le partage des questions communes sur l’avenir des métiers territoriaux.

L’ingénieur est au cœur des dynamiques politique, d’organisation et territoriale. Il ne peut pas séparer son action de transformation des territoires de l’expérience personnelle et collective. En effet, il est impliqué dans des projets nouveaux (par exemple, plan de stationnement du Centre-Ville ou création d’un réseau de transport public à Lunéville) sans disposer de données autres que celles qu’il constitue et institue dans ses relations avec les élus, les habitants et les usagers.

Depuis la création du groupe de travail régional Est, la conviction collective est que seule une démarche de formulation du métier relatif au territoire, sans entrer dans les considérations de hiérarchie municipale, correspond à la réalité du métier : de fait, l’analyse fonctionnelle de fait le montre.

La présente thèse voudrait contribuer à l’élaboration d’un outil généraliste sur une base scientifique clairement établie. Sur ces bases pourra se développer une analyse des dynamiques des acteurs avec l’approche HFC, une ingénierie institutionnelle dont Pierre Calame a d’ores et déjà tracé les grands traits dans ses derniers travaux [16], et une capacité à exprimer les potentialités d’un territoire avec l’approche T&C [17].

La fonction assurée au sein des Collectivités Territoriales amène à se poser la question de cette « science généraliste ». Cette question est en filigrane des 14 rencontres du groupe de travail du Grand-Est entre le 16 septembre 1998 à Vandoeuvre, et le 6 décembre 2001 à Sarreguemines. Le fruit de ces travaux a été présenté au Congrès régional Est des 12 et 13 octobre 2001 à Audincourt-Pays de Montbéliard. Le compte-rendu des 14 réunions, les documents préparatoires (environ 30 000 pages en fichiers interactifs) et le bilan du Congrès sont présents en intégralité dans un CDROM qui figure en annexe 2 [18]. Les deux dernières démarches de concertation intégrées dans la présente thèse ont été effectuées lors de la rencontre d’Angers du 31 mars 2004 (28 personnes) et l’atelier « ingénieurs généralistes) du congrès de Perpignan le 10 juin 2004 (58 personnes). Une première ébauche de la boîte à outil de l’ingénieur territorial généraliste a été présentée au Congrès de l’Association Internationale des Urbanistes à Genève en septembre 2004.

Une thèse de géographie peut prendre pour départ une approche descriptive, mais doit expliciter ses présupposés méthodologiques et ses références de base, parler autant des acteurs de la transformation du territoire que du territoire transformé lui-même. Pour être concrète, la dynamique de transformation des territoires doit apparaître dans cette interaction. Elle apparaîtra à l’étape 4, avec l’expérience de l’Agglomération transfrontalière de Sarrebruck-Moselle Est.

5.D. Étape 3 : Passage de l’expérience des 5 réalités de chaque dynamique (6 déc 2001 à avril 2003) au constat de 5 « réalités d’expérience » de toutes les dynamiques

Cette étape est celle de la prise de conscience d’une même dynamique pour tous les acteurs, autour des 5 « réalités d’expérience » mentionnées ci-dessus [19]. Ainsi, on passe de l’expérience de l’échange d’expériences d’un certain nombre de réalités en étape 2 aux cinq « réalités d’expérience » de la présente étape. Ces réalités d’expérience rejoignent le développement local. Elles doivent être simultanées pour obtenir une efficacité d’action des acteurs et de la transformation des territoires. (2001-2003). Un « saut de l’imagination » est ici nécessaire pour réaliser cette généralisation.

Passage de l’expérience des réalités aux 5 réalités d’expérience de toutes les dynamiques :

Il semble qu’il y ait quelque chose d’universel dans ces 5 réalités que l’on retrouve partout. En les numérotant de R1 à R5 (R1=Vision, R2=Objectifs, R3=Valeurs, R4= Interactions, R5=Structure), il est possible d’émailler les marges des livres de géographie des signes de la réalité traitée : on découvre vite que les 5 réalités se retrouvent dans toutes les recherches, avec des nuances d’expression dues aux points de vue et aux perspectives différentes des auteurs. C’est à cette étape qu’il a été constaté la correspondance des réalités dans les différences dynamiques, alors que leur nombre et leur dénomination sont issus de la pratique. Cette constatation est le fruit d’un « savoir pratique », en grande partie oral, hormis quelques supports pédagogiques. Les questions ont été nombreuses : ces réalités sont-elles structurées dans un ordre précis ? Comment s’articulent-elles ?

Ces questions ont été travaillées dans le groupe de travail régional Grand-Est de l’AITF. Le groupe a fonctionné de janvier 1998 à Juin 2003, date à laquelle il est devenu un nouveau groupe de travail national en 2003-2004, le premier orienté « métier » dans une approche généraliste (transdiciplinaire), sous la présidence de Claude Bastouill

A cette étape a eu lieu le Congrès de Montbéliard [20], organisé par J-J. Funke, Claude Mainpin et Philippe Vaillant en lien avec Patrick Berthenand d’Audincourt. Le CDROM est joint en annexe 02. Ce fut l’objet d’un travail de suivi fait par l’AITF, section Grand-Est, assistée de Gérard Vautrin, sociologue à l’Université-CUCES de Nancy. Cet auteur a conforté l’analyse des trois dynamiques lors de ce Congrès et lors de l’introduction aux ateliers du Congrès AITF Grand-Est de Sarreguemines en 2002. Ce dernier Congrès, organisé par Bruno Neiss et Christian Kieny, marque la prise de responsabilité de responsables de petites et moyennes villes dans l’organisation régionale de l’AITF, jusque là animée en Grand Est uniquement par les responsables de grandes villes.

C’est à cette étape qu’est apparue la correspondance horizontale des trois dynamiques des collectivités territoriales. Cette correspondance est obtenue en mettant en tableau les dynamiques, suivant le schéma n°3 du tableau de synthèse en tête de chapitre.

Cette tranche de vie relève de la prise de conscience que la logique d’acteurs s’applique aussi aux territoires à travers la dynamique du développement local et à travers la dynamique territoriale. L’Étude de préfiguration de l’agglomération transfrontalière de Saarbrücken-Moselle-Est a permis cette prise de conscience.

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Figure 5‑7 : Schéma de l’étape 3 : passage de l’expérience des réalités aux 5 réalités d’expérience

Ce travail de différentiation des dynamiques suivant les acteurs d’un côté, et de rapprochements des dynamiques de l’autre n’est pas sans rappeler la démarche de Michel Sauquet dans L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun [21], sur les thèmes propres à la présente thèse. Il analyse finement les liens psycho-sociologiques entre les acteurs, et l’articulation entre les notions communes et leur utilisation différenciée. Il aide au passage entre les deux.

Au-delà de la logique des acteurs qui a des conséquences sur le territoire, le territoire par lui-même a une logique de développement, une dynamique de transformation. On passe ici le cap de la géographie, c’est à dire du mécanisme de transformation des territoires. « Les 5 critères doivent être réunis simultanément pour pouvoir créer l’agglomération transfrontalière de Saarbrücken/Moselle Est » (J. Degermann, Étude de préfiguration). Pourtant, dans le quotidien, tout sépare ces critères (réalités), et ils sont dans la pratique considérés isolément.

Quelle géographie permettra d’approfondir la dynamique des territoires en rendant compte simultanément des 5 réalités ? Force est de constater qu’il existe plusieurs géographies : une géographie empirique/descriptive, une géographie prospective, une géographie/aménagement, et une géographie d’analyse spatiale qui se veut scientifique. Dès lors se pose la question des liens entre ces différentes approches. Les géographes qui veulent faire un travail scientifique pour intégrer l’expérience, le vécu (par exemple Guy Di Méo & Pascal Buléon), buttent sur « la dichotomie du matériel et de l’idéel ». Ils tentent une réponse avec le soutien de Maurice Godelier qui travaille dans le champ de l’anthropologie. L’approche anthropologique de ce dernier montre l’imbrication du matériel et de l’idéel. Mais il semble que la réponse à ces questions soit plus dans le champ de la philosophie que de l’anthropologie. Régis Debray répond à Maurice Godelier dans sa Critique de la raison politique[22], et place clairement la question dans le champ de la philosophie. La « dichotomie du matériel et de l’idéel » vient directement de l’ontologie dualiste cartésienne qui décrète arbitrairement « la séparation entre la substance pensante et la substance étendue ».

La prise de conscience relève ici de la nécessité d’une ontologie non dualiste pour approfondir une géographie à partir de l’expérience et découvrir des liens entre les 4 approches énoncées, afin qu’elles contribuent à s’enrichir les unes aux autres. Cette ontologie doit réunir les éléments de la dynamique, les articuler étroitement entre elles, sans dissocier le « physique/matériel » de « l’idée ».

Ces 5 réalités d’expérience sont ici présentées de façon pédagogique suivant l’ordre des phases du procès, pour préparer l’interprétation en termes de pensée organique (voir le schéma n°3 du tableau de synthèse en tête de chapitre).

5.E. Étape 4 : Lancement du réseau national. Les fiches d’échange d’expérience. Prise de conscience du cercle des activités humaines, sociétales, territoriales & naturelles. (mai 2003 à juin 2004)

Cette étape est celle de la mise au point des fiches d’expériences dans la préparation des réunions du Groupe de travail et dans la préparation des Congrès. C’est de la capacité de rédaction de telles fiches que dépendent la possibilité et la qualité de l’échange d’expérience, la mutualisation, et la capitalisation. Toute l’organisation de l’intelligence collective en dépend.

Le soutien du CNFPT, l’outil d’analyse de HFC et l’apport des travaux de la FPH (à travers le réseau d’échange d’expérience DPH [23]) ont été déterminants pour permettre l’apprentissage de l’écriture de l’expérience et la mise en commun. En préparation du Congrès AITF de Perpignan de Juin 2004, et en synthèse des années d’expérimentation des étapes 2 & 3, les premières fiches d’expérience, et fiches méthodologiques ont été produites. Ces fiches sont jointes en annexe 02 et 05. Elles se trouvent sur le site de l’AITF [24]. Une fiche est fournie en exemple sur les pages qui suivent. Toutes les fiches sont produites intégralement dans l’annexe 02a, b & c.

Le schéma de synthèse de cette étape est le suivant :

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Figure 5‑8 : Schéma de synthèse de l’étape 4: l’échange d’expérience et la mutualisation.

Le congrès de Perpignan a été un franc succès de participation (59 personnes). Ce succès nécessite une organisation adéquate qui reste à inventer, comme un conseil scientifique interne avec un noyau de quelques personnes chargées de recevoir les fiches d’expériences, de permettre leur finalisation leur validation, et leur mise en ligne pour la transmission.

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Figure 5‑9 : La liste des fiches d’expérience consultable sur le site de l’AITF à la rubrique (GT DST des petites villes) (Mai 2008), et l’exemple de la fiche n°4 du 08/02/2005 (p.158-159).

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5.F. Étape 5 : Intuition d’une correspondance entre les 5 réalités et les phases du procès. Découverte du procès organique. Géographie et expérience (Guy di Méo, Eric Dardel) (juil. 2004 à Oct. 2004) :

Cette étape est celle de l’intuition d’une correspondance entre les 5 réalités d’expérience (identifiées à l’étape 3) et les phases du procès de concrescence organique.

Simultanément, l’importance des cercles d’activité (Passet) présentés en début de chapitre 3 et détaillés en partie III (chapitre 13.E., p.386 & 389) s’est imposé afin d’éviter les ambiguïtés du développement durable.

L’approfondissement du procès organique permet de montrer comment les 5 réalités d’expérience sont réunies dans le procès organique. Ces réalités croissent ensemble : elles sont concrescentes (co-croissantes). (Avril 2002). Le procès permet d’expliquer l’expérience, et pourrait devenir la base d’un langage commun entre les différentes approches (été 2007).

La pensée organique d’A.N. Whitehead prend toute son importance à partir de la définition d’une occasion actuelle d’expérience, aussi appelée goutte d’expérience par William James, qui est une analyse génétique du procès de concrescence (co-croissance) de tous les éléments appréhendés dans la réalité au cours de 5 phases logiques :

  • a– appréhension du réel (phase « matérielle »), ou préhension physique* (en enlevant le préfixe « ap »).
  • b– appréhension des potentialités pures ou générales (phase « idéelle »), ou préhension conceptuelle *.
  • c– propositions qui sont la combinaison/intégration des deux phases précédentes,
  • d– choix/décision dans un jugement entre les propositions, et
  • esatisfaction*.

On reconnaît vite, dans un ordre différent, les réalités de la dynamique, qui se retrouvent dans l’ordre respectif suivant : interactions, vision, objectifs, valeur (au sens de jugement), structure. Il convient de noter que dans la goutte d’expérience, la valeur est partout, reprise entre toutes les phases, par l’« évaluation ». C’est une valeur au sens de « ce qui a de l’importance », sans entrer dans le contenu qui change suivant les personnes et les cultures. La valeur fait partie du lien entre les réalités. En ce sens, elle est une réalité d’expérience, mais pas une phase. Le présent travail montrera que la valeur est la saisie d’une potentialité, le passage d’une préhension physique  à une préhension conceptuelle . D’autre part, la satisfaction n’existe qu’une fois dépassée : « et ainsi jamais complètement n’est » disait Platon dans le Timée. Cette double difficulté à propos de la valeur et de la satisfaction conduira

  • à expliquer la distinction entre les catégories d’existence (les interactions, les potentialités, les propositions, la décision) et les catégories d’obligation (notamment les valeurs, résultats de l’évaluation)
  • à expliquer comment satisfaction et transition* d’une goutte d’expérience à une autre sont liées.

C’est ainsi que l’on passe du schéma de l’étape 3 au schéma ci-dessous :

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Figure 5‑10 : Schéma de l’étape 5 : passage des réalités d’expériences aux phases du procès organique

La pensée organique (qui est à la fois une philosophie et une science) répond directement à la question du dépassement du dualisme cartésien, par une critique nuancée de Descartes : réforme de son principe subjectiviste, rejet de sa séparation arbitraire entre substance pensante et substance étendue, et développement de sa notion de res verae, lesquelles ne sont autres que les « gouttes d’expérience », ou occasions actuelles d’expérience. Cette démarche a le mérite de nous faire redécouvrir notre propre culture, et de l’approfondir avec un sens critique, sans tout rejeter en bloc. Whitehead dit « réaliser le rêve de Descartes ». Au-delà de la pointe d’exagération (compte tenu de l’importance de la réforme), la volonté d’enracinement dans la culture moderne classique est clairement affirmée. Une notion nouvelle ainsi enracinée aura en principe plus de chance d’être entendue et acceptée.

Cette approche organique n’est pas uniquement un système (Bertalanffy, Le Moigne): c’est une mise en lien, une mise en tension qui est toujours remise en cause en fonction des faits premiers. Si des faits nouveaux arrivent, ils peuvent faire bouger les éléments du procès, voire faire changer le schème explicatif. La référence ultime est l’expérience. Et l’expérience, en définitive, ne peut être que personnelle [25], dans une tension constante entre le flux et la permanence. Ludwig Von Bertalanffy, le père de la systémique, précise d’ailleurs dans son œuvre maîtresse que le système n’est que le cœur de la révolution organique [26].

La philosophie organique examine ces notions, que tout le monde emploie en pratique sans jamais les expliciter, et les organise dans un schème explicatif global, ayant pour critère les notions du noyau dur du sens commun *. Le noyau dur du sens commun est ce que tout le monde présuppose en pratique même s’il le nie verbalement  [27]. Par exemple, les termes d’« appréhension du réel » et de « processus » sont des mots que tout le monde emploie, alors qu’ils ne sont pas explicités en eux-mêmes, et leur utilisation peut être contradictoire avec la théorie exposée. Ainsi, le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés fait figurer le processus à l’index avec 354 entrées, mais le processus n’est pas une rubrique par lui-même.

Un approfondissement de la notion de procès organique aboutit à un schéma de la dynamique de la concrescence qui rend compte des 5 réalités. Ce schéma permet-il d’expliquer l’expérience concrète, au niveau de l’homme, de la société et des territoires ? Est-il vraiment universel au sens d’expliquer les faits concrets ? Seule une confrontation concrète avec l’expérience à ces trois niveaux peut esquisser une réponse.

Pour réaliser cette confrontation, le schéma du procès a été mis sous forme de questions pour interroger l’expérience (chapitres 2 et 3). C’est le « schéma de questionnement » de la partie I : il présupposerait un petit exposé rapide de ce qu’est le procès, ce qui a été fait à la fin du chapitre 2.

Une première approche rapide du procès est donc nécessaire pour comprendre l’enjeu de ce schéma de questionnement. L’enjeu est de bien faire le lien entre ce schéma à la fois scientifique et philosophique et l’expérience concrète au niveau de l’homme, de la société et des territoires.

Le but n’est pas de tout ramener au procès, le but est de tester la notion de procès pour rendre compte de sa capacité explicative dans le domaine de recherche de la présente thèse.

Cette étape tente d’évaluer la pertinence de la notion de procès, et de tracer les liens avec les travaux des géographes, architectes, urbanistes, ingénieurs. Cette confrontation permet indirectement de tracer des liens entre ces 4 approches des territoires. Le résultat pourrait être une avancée vers un langage commun. Ce langage commun, toujours ouvert, basé sur la relation et les réalités d’expérience, est le véritable enjeu de notre travail.

Est-ce la seule démarche ? Les autres démarches sont nombreuses : matérialisme dialectique (Marx, …), structuralisme génétique (Lévy-Strauss, Piaget, …), phénoménologie existentielle (Husserl, Heidegger, …). A notre connaissance, elles n’abordent pas la question du dépassement du dualisme à partir des acquis de la science d’aujourd’hui, c’est à dire de la relativité et de la mécanique quantique, et de l’examen critique et constructif de l’apport de Descartes à la modernité. Avec la pensée organique, des liens se tissent entre philosophie, science et géographie. Le choix de cette ontologie vient de l’attention portée à la science par la formation scientifique et le statut d’ingénieur territorial. Ce choix est conforté par l’ensemble des liens possibles avec toutes les autres démarches citées ci-dessus, par l’unité de son approche, sa valeur pédagogique et son applicabilité à la géographie.

En géographie, il existe déjà une démarche exemplaire, qui est celle d’Augustin Berque. En première approche, les liens et les rapprochements avec la pensée organique sont nombreux [28]. Quelles sont les remises en cause de cette façon de penser ? Comment éviter de retomber dans la séparation des notions, la perte des relations entre tous les éléments ? Pour répondre à ces nouvelles questions, il est nécessaire d’approfondir le procès par lui-même, en puisant des exemples dans l’expérience.

Ici, l’ingénieur territorial a franchi les frontières d’autres domaines pour arriver au domaine de la philosophie et de l’articulation de la philosophie avec la géographie. Il est confronté à une approche nouvelle, le procès organique, qui correspond bien à sa pratique de terrain et qui est solidement fondé scientifiquement et philosophiquement, mais peu ou pas employé dans la réflexion sur la géographie actuelle.

5.G. Étape 6 : Approfondissement technique du procès organique appliqué à la géographie : une ontologie qui fonde la démarche géographique. (nov. 2004 à avril 2007).

Ce n’est que très progressivement que s’éclairera le lien entre ces réalités et les 5 phases de la concrescence organique. Ces réalités se révéleront de même nature ontologique que les phases de la concrescence « a », « b », « c », « d », « ab » étant le vecteur d’appréhension entre « a » et « b » (la démonstration est faite à l’étape 6). La pratique rejoint donc l’analyse de la pensée organique. Les termes des réalités sont fixés par la pratique, et se trouvent confirmés dans leur pertinence par l’analyse de l’expérience par Whitehead.

Cette prise de conscience étant faite, comment dès lors travailler à un langage commun pour approfondir cette notion de dynamique, et comment, surtout, réunir ces dynamiques dans une notion qui crée les liens entre elles, au lieu de les maintenir séparées ? L’exemple d’un Conseil Municipal où les trois dynamiques coexistent, voire se confrontent, permet d’entrer dans la compréhension de ces liens. Il s’agit d’une étape d’approfondissement technique du procès organique appliqué à la géographie, et du cheminement vers un procès whiteheadien de transformation des territoires. Voici le schéma du procès organique :

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Figure 5‑11 : Schéma de l’étape 6: détail des phases du procès organique de transformation des territoires

Cette schématisation est la tentative de synthétiser un exposé technique du procès en puisant les exemples concrets dans l’expérience. La volonté est pédagogique. L’enjeu est d’expliquer le contenu des termes de dynamique et de processus, employés de façon surabondante, mais généralement sans explication. Proposer une explication oblige à dépasser la barrière de l’opacité de l’évidence (Lussault, Perec [29]). Elle montre l’ampleur de la remise en cause qu’impliquent les relations entre les 5 réalités d’expérience constitutives des dynamiques et des processus. Citons les trois principales questions formulées :

  • le rejet de la notion de substance inerte,
  • le rejet de la notion de perception limitée à la seule perception sensible,
  • le rejet de la notion de représentation : la carte n’est pas le territoire.

Cette étape est présentée dans les derniers chapitres de la partie II.

5.H. Étape 7 : Application géographique à la région « Entre Vosges et Ardennes » :.

C’est l’étape du retour à la géographie : le procès est une réponse philosophique à la question géographique . En quoi le procès peut-il contribuer à la géographie ? Le procès permet-il de fournir un langage commun à beaucoup de démarches urbanistiques et géographiques ?.Le but de la démarche a été de contribuer à la compréhension et à la mise en œuvre de la dynamique de transformation des territoires.

L’explication technique du procès organique rend possible une explication de plusieurs notions générales (espace, temps, …) et de plusieurs notions géographiques (territoire, lieu, paysage, …). Ce sont des notions géographiques qui ne se laissent pas diviser. Le procès organique permet également de rendre compte de plusieurs démarches géographiques existantes, et de mieux les situer les unes par rapport aux autres, pour mieux saisir leur contribution à la dynamique de transformation du territoire. Le procès apporte un éclairage nouveau sur les évolutions actuelles en urbanisme, à la suite de William Twitchett, de Patrice Braconnier, de Thierry Paquot, de Guy Di Méo, d’Augustin Berque, d’Eric Dardel, et des poètes (Julien Gracq [30]).

La démarche énoncée cherche son application dans les études régionales qui peuvent se dérouler selon les quatre phases du procès:

  • a/ L’(ap)préhension de la situation et des relations
  • b/ L’(ap)préhension des possibilités nouvelles, ou potentialités générales
  • c/ L’élaboration de propositions ou potentialités hybrides.
  • d/ La mise en œuvre de structures ou dispositifs de gouvernance ou potentialité réelle.

L’idée neuve est que les notions de potentialité et de valeur font partie intégrante de la démarche géographique, appuyée sur l’expérience. L’ingénieur territorial trouve un fondement scientifique à l’approche de la dynamique de transformation des territoires. L’architecte-Urbaniste trouve un lien fort et incontournable entre ses propositions d’aménagement et la prospective d’un côté, et la géographie d’analyse spatiale de l’autre. Le géographe trouve un fondement à la fois scientifique et ontologique à sa discipline.

L’étude de la région émergente « Entre Vosges et Ardennes » nous servira d’application concrète.

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Figure 5‑12 : Schéma de l’étape 7: l’étude de la région « Entre Vosges et Ardennes »

Cette étape est développée dans toute la partie III.

5.I. Conclusion générale de la partie I

Le chapitre 5 est le récit de « comment s’est réellement passée la recherche » au sein du Groupe de Travail des ingénieurs généralistes du Grand-Est français, puis au niveau national. La conclusion générale ne diffère pas de la conclusion du chapitre 4. Il était toutefois indiqpensable de réaliser ce chapitre 5, car l’enjeu est la compréhension du passage du particulier au général. En effet, tout travail de généralisation à partir de l’expérience butte sur la transmission de l’expérience elle-même, pour faire passer l’idée générale. Ou l’explication se noie dans les détails sans transmettre le message d’ensemble, ou le message d’ensemble devient abstrait et « sans chair », rendant ainsi abstrait et sans âme ce qui est pourtant le fruit d’une expérience de terrain. La présente thèse a pris le risque de se placer à l’articulation de ces deux premiers pôles de l’expérience : les données de terrain et la généralisation de ces données.

Sans reprendre les conclusions de la partie 4, nous pouvons dire que nous observons une convergence de l’analyse de l’expérience autour des cinq réalités principales que sont les interactions, la vision (ou potentialités), les propositions (ou objectifs) et la réalisation (la mise en œuvre, le geste à poser).

C’est en partie II que nous développerons sur la base du même schéma, éventuellement modifié et complété par les recherches qui vont suivre [31], les travaux sur la structure de l’expérience de Whitehead, sur la base de ses références à Aristote, Descartes, Hume et Kant. Nous développerons les liens qui nous semblent assez étroits entre son approche expérientielle et l’œuvre d’Eric Dardel L’homme et la terre (il cite Whitehead page 54). Nous proposerons une réponse à la question de « la dichotomie du matériel et de l’idéel » de Guy Di Méo, et nous montrerons comment le procès organique whiteheadien approfondit l’analyse de l’expérience géographique et des territoires dans le prolongement des analyses de Rodrigo Vidal-Rojas. Les exemples seront puisés dans le « réservoir d’expérience » de la partie I. Nous verrons de quelle façon les travaux de Thierry Paquot, Michel Lussault, François Ascher, Guy Di Méo, Augustin Berque, William Twitchett contribuent à cette approche. Un tableau de déchiffrage de ce que nous proposerons d’appeler un urbanisme transmoderne récapitulera les travaux de la partie II.

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Notes :

[1] Directeur des Services Techniques de Pont-à-Mousson en 1998, et actuellement Directeur Technique de la Communauté de Communes de Pont-à-Mousson.
[2] Voir annexe 01 : Publication de 129 pages A3 avec plus de 35 plans de ville.
[3] Voir annexe 02 : Liste des 14 réunions ; CDROM du Congrès de Montbéliard élaboré avec le GRETA de Lunéville ; 25 études de cas, 30 000 pages de documents organisés suivant les 5 dynamiques.
[4] Voir annexe 03 : Etude de préfiguration de l’agglomération transfrontalière dans son intégralité.
[5] Voir annexe 04. : CR d’Angers et fiches de Perpignan.
[6] Voir annexe 05 : 5 fiches et intervention sur le « Génie territorial » au Congrès AIU de Genève en Octobre 2004
[7] Voir annexe 06 : Interventions aux Chromatiques whiteheadiennes (CW) de septembre 06 et Avril 07
[8] Voir annexe 07 : Intervention géographique au Congrès de l’AIU de septembre 2007 à Anvers.
[9] Solitude d’autant plus forte qu’à l’époque, Internet ne s’était pas encore généralisé.
[10] Cette Fondation a fait du territoire la brique de base de la gouvernance, avec une reconnaissance du ministère de l’Equipement pour cette démarche :
http://www.institut-gouvernance.org/fr/document/fiche-document-29.html
http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-5195.html
Voir en annexe n°2 le CDROM congrès de Montbéliard. Cliquer dans « Ateliers » ou « Dynamique » dans la rubrique « Tenir le cap », puis choisir dans la sous-rubrique « Les textes de référence » les éléments suivants :
F.001 Repenser les territoires de Claude BASTOUILL et de Pierre CALAME :
F0102 Voir page 13 du document du Ministère de l’Equipement suivant « Le territoire, Brique de base de la gouvernance »
[11] Michel Sauquet, L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, Éditions ECLM, 2008, 207, 331 p.
[12] Travaux au sein de l’Association Internationale des Urbanistes, délégation française, en 1999-2000.
[13] Voir sur le site de l’UNADEL le référentiel de métier de l’agent de développement local : http://www.unadel.asso.fr/ puis chercher Accueil/Les articles/2. Métiers/La plate-forme « Métiers du développement territorial »
[14] http://www.opqu.org/, avec pour les urbanistes des Collectivités territoriales http://urbanistesdesterritoires.com/
Peuvent également être consultés les sites : www.cfdu.org et www.urbanistes.com
[15] http://www.aperau.org/presentation.html. On y lit à propos de la Charte de l’APERAU « Cette charte est actuellement considérée comme fixant les principes de base à respecter pour la formation des urbanistes par le CFDU et par l’Office de Qualification des Urbanistes (OPQU), avec lesquels l’APERAU entretient des relations étroites. ». Ceci est à rapprocher du travail de la Société Française des Urbanistes (SFU) sur son site http://www.urbanistes.com/homepage.php qui prétend, elle à l’antériorité sur tous les autres organismes en France (la SFU a été créé en 1919).
[16] Pierre Calame, depuis L’Etat au cœur, Le Meccano de la gouvernance, DDB, 1997 à La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, ECLM, Descartes & Cie, 2003. Voir le site http://www.pierre-calame.fr, http://www.fph.ch/fr et la base d’échange d’expérience http://www.ritimo.org/B/b5_bdd_dph.html.
[17] Sur la base de la thèse de William Twitchett, élaborée avec Paul Claval et soutenue en 1995.
[18] Pour obtenir les 14 Compte rendus, cliquez sur « Ouvrez-moi ». A la page d’éditorial, cliquer sur « Entrer » en bas à droite. Sur la page d’accueil qui apparaît, les 14 compte-rendu s’obtiennent en cliquant en bas à gauche sur « Conception : GT Génaraliste Est ». On obtient les 25 comptes rendus d’échange d’expérience, les 5 réalités de la dynamique et le tableau des ateliers en cliquent sur les ronds jaunes correspondants, ainsi qu’environ 30 000 pages de documents.
[19] Voir page 54 le récit de la prise de conscience au cours d’un entretien avec Léonard Aronica, lors d’un atelier de HFC
[20] Congrès de la section Grand-Est de AITF, tenu les 12 et 13 octobre 2001 à Audincourt, Commune de Montbéliard.
[21] Michel Sauquet, L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, Éditions ECLM, 2008, 207, 331 p.
[22] Régis Debray, 1981, p.147.
[23] http://www.d-p-h.info/spip.php?article3.
En 2007, ce site de ressources valorise aujourd’hui une base de données d‘« expériences » composée d’environ 7000 fiches, articles courts qui relatent des expériences, des analyses, des lectures. Il propose aussi une vingtaine de dossiers.
L’idée de la base de données d’expériences dph est née en 1986, avec pour ambition de relier des individus et des groupes travaillant à la construction d’un monde solidaire et responsable. En mettant au service de chacun une mémoire et une réflexion issues du terrain de l’expérience, ce site ressources souhaite valoriser les analyses et les expériences par une recherche facile et des résultats utiles à l’action citoyenne.
dph est né d’une initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH) qui a toujours milité en faveur d’un équilibre entre action et réflexion.
[24] Les fiches sont consultables à l’adresse suivante : http://www.aitf.asso.fr/groupe/index.php?frm_id_instance=36
[25] Whitehead dit individuelle. Nous préférons ici le terme personnelle en se référant à la notion de personne, au sens d’Emmanuel Mounier. Cette notion récapitule toutes les facettes du terme composé d’« individu-personne-sujet-acteur-agent » utilisée par les géographes. L’analyse est présentée en partie II, chapitre 11.
[26] Ce point est détaillé dans le texte complémentaire joint en annexe00 à l’adresse suivante : 00_Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\01-PartieI_Chap5-ExpérienceAITF-7etapes.doc
[27] Ce point est approfondi au début de la partie II
[28] Voir Partie II, Chapitre 8.D.1. pp.258-261
[29] Ainsi que cela a déjà été mentionné, Michel Lussault, en introduction de L’homme spatial, faisait référence à Georges Pérec pour constater la difficulté à expliquer les mots qui paraissent « évidents », mais en fait révèlent une « certaine opacité ». Dynamique, processus et appréhension font partie de ces mots. Nicholas Rescher et Maurice Merleau-Ponty ont exprimé ce fait à leur façon (voir note n°15 page 11).
[30] Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, roman (1951) : prix Goncourt, refusé par l’auteur ; Lettrines I, « cahiers » (1967) ; Lettrines II, « cahiers » (1974).
[31] Voir les premiers éléments d’approfondissement par aller et retour entre la partie II et le schéma de questionnement dans le texte complémentaire intitulé 01-PartieI_Chap1-ApprofondissementSchémaQuestionnement.doc à l’adresse suivante :
Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\01-PartieI_Chap1-ApprofondissementSchémaQuestionnement.doc

4.D. Conclusion Lunéville

4.D. Conclusion sur les expériences de Lunéville :

Les exemples développés servent d’appui à la démonstration de la thèse. Ils relèvent d’un choix parmi beaucoup d’autres exemples. Volontairement ont été choisis des exemples modestes pour montrer comment dans l’expérience ordinaire « on conjugue les cinq réalités d’expérience principales sans le savoir ». La structure de l’expérience est la même pour tous les exemples. Il peut même y avoir emboîtement des expériences, comme des gouttes d’eau se mêlent entre elles pour former des gouttes plus importantes. Les « fiches d’expériences » auraient pu être étendues au Pays Lunévillois, nommé IDEAL puis ADPL, et dirigé de 1995 à 2004 par François Roblin, avant de passer d’une forme de démocratie participative à une démocratie représentative plus classique. D’autres territoires auraient pu être choisis : ils seront l’objet de prolongement de la thèse.

Cette approche a l’intérêt de porter l’attention sur la valorisation d’un projet. La demande des élus est régulièrement interprétée en termes de contraintes techniques, et les solutions proposées sont techniques. L’absence d’interlocuteurs au moment de la conception (habitants, usagers, ou partenaires de la ville) permet d’éluder la réflexion en terme d’usage, de convivialité, d’environnement, de qualité urbaine . Sans réflexion spécifique sur la vision du projet, la technique devient un ensemble de procédés plaqués, et non plus des moyens au service de la création d’espaces urbains de qualité.

L’analyse de chacun des projets n’épuise pas l’expérience, mais elle en décrit et confirme les 5 éléments essentiels : l’objectivation d‘entités tant « matérielles » qu’« idéelles », les potentialités (ou possibilités), les propositions (ou projets, objectifs), et la réalisation : l’arrivée à satisfaction des propositions, le tout appréhendé avec des valeurs fondamentales qui imprègnent l’action.

Le chapitre qui va suivre tente de rendre compte de l’expérience du Groupe de Travail des ingénieurs territoriaux de l’Est de la France, expériences vécues entre 1998 et 2004. C’est au cœur de cette expérience qu’on été rassemblés les matériaux pour la présente thèse. Les chapitres 1 à 4 étaient dans un ordre d’exposition. Dans le chapitre 5, on entre dans l’ordre du vécu chronologique, c’est à dire un ordre où se retrouvent d’abord ceux qui l’on vécu. La perspective est de restituer le mouvement de la recherche, pour en partager les étapes. Le réel est toujours plus enchevêtré que les notions qu’on en tire …

4.C.4-7 Politique des quartiers

4.C.4. La politique des quartiers développée à partir de 1995 :

Le premier rendez-vous de quartier conduit à la modeste mais rapide réalisation d’un ralentisseur souhaité par les habitants dans la rue de Méhon. Il est toujours en place en 2008. C’est le départ d’un processus de transformation des quartiers, par passage progressif d’une attitude revendicatrice à une attitude co-gestionnaire de la part de la population. Les actions ponctuelles ont été remplacées en 1998 par un véritable service des quartiers,

(a. Lancement de la démarche ) Le déclenchement d’une relation de « construction de la ville » entre l’équipe municipale et la population se fait à l’issue d’une réunion de quartier au « Quartier de Méhon ». L’équipe municipale s’expose à toutes les questions.

(b. La vision du dialogue entre élus et habitants) Le but est de susciter et créer un dialogue permanent entre la population et les élus pour établir les bases solides d’un projet partagé.

(c. Les propositions) Instaurer la confiance est le préalable à toute conduite d’action ascendante. Ici, ce fut la mise en place d’un ralentisseur créé au bas de la colline de Méhon, non pas un ralentisseur qui fait tressauter la voiture, mais un étranglement qui oblige les véhicules à adapter leur vitesse, en laissant passer latéralement les vélos.

(d. Réalisations) La mise en œuvre s’est faite rapidement. La presse s’en est fait l’écho.

Ainsi commence à s’instaurer un climat de confiance entre la population et l’équipe muni­cipale : la parole est entendue, suivie d’effet. Au fil des réunions de quartiers et des années, la population est passée d’une attitude revendicatrice et individualiste à une attitude de co-gestion du quartier et des humeurs de ses habitants. Les « râleurs » sont remis en place par d’autres personnes du quartier.

Quelques années plus tard a été créé un « service des quartiers » afin d’organiser le suivi des demandes des habitants. Ce service était la courroie de dialogue et de mise en place des actions entre les élus et la population. Ce service a eu beaucoup de succès, et a consacré l’entrée dans la phase de co-gestion des quartiers avec la population.

C’est dans cet esprit de concertation qu’on été menées toutes les actions qui suivent. On constate l’ordre de succession des quatre phases du schéma de questionnement du chapitre 2

4.C.5. CAP 54 : reconquête d’un espace commercial abandonné.

Phase a : l’appréhension globale. Une galerie commerciale, réalisée à la fin des années 1980, a très vite donné des signes d’abandon, de manque de fréquentation. En définitive, une décision d’abandon tombe vers 1995. La démolition du site est décidée, sa réalisation est confiée à l’EPF Lorraine. Le projet était tout simplement de transformer cet espace en aire de stationnement, avec un accès arrière sécurisé vers l’école Notre-Dame.

Phase b : la vision. Deux visions ont été alors développées : une vision portée par les techniciens, et une vision portée par l’ingénieur de la ville, à la demande des élus. La première était tech­nique, avec le déploiement de procédés éprouvés : des bandes d’espaces verts protégés de solides bordures. La seconde prenait en compte les usages des piétons, les accès des riverains, la convivialité de l’accès à l’école privée Notre-Dame, et le caractère qualitatif d’un espace public proche de l’Ecole Hubert Monnais située de l’autre côté de la rue.

Phase c : la proposition. Lors de la présentation des deux projets, le technicien de la voirie a déve­loppé sur cet espace triangulaire un quadrillage rigoureux pour situer les stationnements, avec 4,5 km de bordure pour que les roues des voitures buttent et ne puissent pas abîmer les espaces verts disposés en bandes. L’autre solution développait des stationnements sur chaque côté du triangle, puis un quadrillage à partir du centre. Cela déterminait un espace vert aléatoire entre les deux types de station­nement, ce qui permettait de planter des arbres et de faire passer le cheminement vers l’école. Les arbres délimitaient ainsi une « clairière » au centre : les bordures étaient minimisées, le caractère paysager plus prononcé que dans le premier cas de figure, et le mode d’assainissement optimisait l’existant. En outre, ce projet offrait plus de stationnement que le précédent. Au final, au lieu de 5,4 MF TTC, ce second projet ne coûtait que 3,5 MF TTC. Les élus ont donc choisi ce projet, et le service de voirie a eu la mission de le réaliser. L’appel d’offre a donné le prix de 3, 504 MF TTC.

Phase d : la réalisation. Le projet a donné satisfaction aux utilisateurs.

A la suite de l’exemple du château d’eau, cet exemple montre l’importance de la vision pour intégrer les contraintes techniques dans une réflexion globale sur les usages futur du site.

4.C.3. Aménagement du centre-ville :

(Phase a : le déclic, l’effet déclenchant, la question posée) La place du château : un matin, la ville s’éveille avec les bulldozers sur la place du château : après la stupeur, c’est le lancement de la concertation pour la transformation du château et de ses abords. Les services techniques n’avaient pas prévenu la population. Pour eux, cela faisait partie d’un plan pluriannuel d’assainissement, voté par les élus, donc réalisable au fur et à mesure, sans plus de façon. Le déclenchement du chantier est une procédure administrative : l’ordre de service est lancé depuis un bureau de la mairie. Quel contraste avec la ville de St Dié où une personne à plein temps s’occupe de prévenir la population par une information distribuée à chaque domicile ! La réaction de mécontentement de la population et des élus fut le point de départ d’une réflexion globale sur « la cour du château », tant dans sa partie urbaine que dans sa partie « privative ».

(Phase b : la vision) Le projet est de replacer le château dans son écrin urbain : la place du château doit être celle où chaque passant, chaque visiteur, chaque touriste doit pouvoir s’asseoir à la terrasse, et contempler la perspective principale dessinée et construite par l’architecte Boffrand. Tout à la fois, cette terrasse n’est qu’une étape dans un parcours entre la place des Carmes et la porte de l’Hôpital. M.Thierry Algrin, ACMH (Architecte en Chef des Monuments Historiques) est invité à participer à la réflexion. C’est au café de Marie-Jeanne qu’on lieu un certain nombre de réunions programmées ou informelles pour mûrir cette vision collective entre les habitants, les élus, les tech­niciens, …

(Phase c : la construction du projet) Et le projet se construit ainsi : ce sera une terrasse pavée, qui permettra une extension des 3 cafés de la place, situés juste en face du château …

(Phase d : la mise en œuvre) Après ce travail de concertation large, la mise en œuvre est organisée administrativement et techniquement dans les services (mission de maîtrise d’œuvre à lancer), avant de revenir à la population pour présenter les esquisses et débattre du parti d’aménagement, parti­ciper au choix des matériaux, écouter les remarques des habitants et des commerçants sur le projet. C’est ainsi qu’ont débuté les opérations sur le château de Lunéville.

4.C.7. Le théâtre de Lunéville ( travaux en 1996-97) :

Ce théâtre à l’italienne date des années 1930, et n’a jamais fait l’objet de travaux depuis.

(Phase a : le point de départ) La municipalité souhaite le réhabiliter. Mais le chiffrage des travaux s’élève à 11MF : cette somme est beaucoup plus que ce qu’elle peut engager. La municipalité convoque l’ingénieur et lui dit « Il faudra que vous fassiez le projet pour 3,7 MF TTC, que ce soit fini pour juillet 1997 … ».

(Phase b : la vision) La situation était difficile, et il fallait réagir vite. La finalité étant la capacité d’accueil de spectacles dans de bonnes conditions pour les spectateurs. En concertation avec l’équipe de régie et le service culturel, le consensus s’est porté sur l’étude de l’ensemble salle-scène, et la rénovation des organes techniques majeurs (machinerie, salle, création d’une régie technique, …). L’opération a bénéficié de l’expérience de la rénovation de l’opéra-théatre de Nancy qui venait de se terminer sous la direction de l’ACMH Thierry Algrin.

Phase c : la proposition) Le prix de 3,7 MF TTC correspondait à l’ensemble de l’intérieur du théâtre : scène, machinerie, salle -parterre et balcons-. Les couloirs, galerie, entrées et extérieurs seraient à réaliser ultérieurement. Les élus ont accepté la proposition. Ce qui compte n’est-il pas l’événement culturel à vivre ensemble ? La cohérence nécessaire de l’événement théâtral a été le guide de la cohérence du projet.

(Phase d : la réalisation du projet) Le projet s’est mis en place, sous le regard attentif des élus d’un côté, mais aussi des équipes de menuisiers, serruriers des services techniques. Ils ont émis le souhait de participer à cette nouvelle œuvre. Les travaux de remise en place de la machinerie ont été beaucoup plus importants que prévus, car le spectacle des « Lumiscénies » avait nécessité de sacrifier l’étage bas de la machinerie : tous les câbles étaient désormais trop courts, et devaient être tous repris. Cette reprise fut faite en régie, grâce à l’exceptionnelle compétence des services. Parmi les autres découvertes du chantier, il fut montré que les peintures étaient à l’or fin 100%. Cela justifiait le nettoyage des peintures au tamponnage à l’huile de lin, à l’instar du théâtre de Nancy.

Cet outil a permis à la ville de Lunéville de lancer et crédibiliser une politique culturelle ambitieuse.

4.C.3. Le château d’eau, colline de Méhon

4.C.3. Illustration du procès de transformation du territoire à travers la réalisation d’un château d’eau :

Cet exemple peut devenir pour la présente thèse l’équivalent de l’exemple du lac suisse pour l’œuvre de Pierre Calame, décrit au chapitre 2.G.4. p.56-57.

L’opération du Château d’Eau a été décidée par délibérations des 29 juin, 30 Août, 19 octobre 1999 et 29 février 2000. Un traitement urbanistique et touristique de ce site -point culminant de la ville- l’a emporté sur un traitement uniquement technique pour protéger strictement le château d’eau en l’entourant d’un puissant grillage afin d’empêcher toute intrusion et tout risque de pollution des eaux par vandalisme. La contrainte de protection a été intégrée et traitée en déclinant un vocabulaire défensif (talus planté d’épineux, bancs formant garde corps, murs de soutènements formant fond de belvédère et protection des cuves, …) tout en accompagnant le projet touristique : traitement des éclairages pour être vu de nuit depuis l’autoroute, formation d’un écran des cuves pour « encadrer » le paysage, murs latéral de l’escalier formant garde corps et séparation, Ce travail de suture et combinaison des usages, réponse au cahier des charges de la direction des services technique de la ville, est l’œuvre de l’architecte Van de Wingaert, qui s’était déjà distingué dans les revues d’architecture et d’urbanisme pour la réalisation de ses château d’eau. Pour la réalisation, l’entreprise de bâtiment/VRD [1] a taillé la colline sur prés de 10 m de haut et 50 m de large afin d’y encastrer les deux cuves de 5 000 m3, dans une mise en œuvre audacieuse et performante. Ce travail fut réalisé entre le 15 mai et le 15 novembre 2000. Avec cette réalisation s’achève tout un ensemble cohérent d’opérations allant de la place des Carmes à la colline de Méhon. Cet ensemble coordonné est offert aux Lunévillois. Il constitue une sorte d’écrin pour le projet encore à venir de la transformation de l’ancien grand manège … tout est prêt …

En confrontant ces faits au schéma de questionnement du chapitre 2, on constate que l’enchaînement des actions se fait bien suivant les 4 phases déjà décrites. Celles-ci peuvent être synthétisées dans le schéma qui suit .

Essayons maintenant de détailler chaque phase pour apprendre à bien saisir le mouvement intérieur qui va de l’une à l’autre. Dans la réalité, cet ordre marque le début des phases, leur enchaînement. Bien vite, elles deviennent simultanées, et s’accomplissent avec des interactions entre elles.

Phase a : appréhension : le problème posé par le château d’eau.

Le château d’eau au sommet de la colline : comment l’intégrer aux quartiers ?

Le problème posé est le suivant : la ville de Lunéville devait accueillir de nouvelles réserves d’eau pour sécuriser le réseau en cas de panne d’électricité : il s’agissait de pouvoir offrir à la population au moins l’eau d’une journée entière, le temps que les secours puissent se mettre en place. Après une hésitation entre une localisation près du cours d’eau (réhabilitation d’un château d’eau existant mais inutilisé par vétusté) et une localisation au sommet de la colline de Méhon, ce dernier site fut choisi. La question était : comment intégrer cet équipement technique volumineux dans un quartier couvert de nouveaux lotissements, avec une population jeune et des enfants, sans dénaturer un paysage caractéristique immortalisé par nombre de gravures et de peintures de la ville dessinées au fil des siècles ? Des idées sont venues spontanément : créer une placette pour les habitants en partie haute du château d’eau, créer un belvédère, sur le sommet des cuves, relier les cheminements autour du futur équipement, …

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Figure 4‑11 : confrontation au schéma de questionnement: procès de transformation du territoire pour la réalisation d’un château d’eau

Bien vite, un recentrage sévère eut lieu entre les élus, l’ingénieur et les techniciens. Les techniciens (internes et de l’usine de traitement des eaux de la C.G.C.) en équipe serrée et soudée sont venus expliquer qu’un château d’eau est un organe technique, qu’il faut protéger, barricader, entourer de barbelé, rendre infranchissable pour que personne ne puisse atteindre le sommet des cuves, soulever le tampon et empoisonner la population … Nous avons ici l’exemple même de la stérilisation des idées sous l’effet des impératifs techniques que l’on suppose à priori sans possibilité d’articulation à d’autres contraintes. La réalisation a montré que les possibilités étaient réelles : les contraintes techniques sont à intégrer aux usages des lieux, à l’environnement. Dès lors le défi était de respecter ces contraintes de sécurité en priorité … tout en les intégrant aux autres contraintes.

Phase b : la détermination de la vision.

C’est ainsi qu’un programme a été élaboré. Ce programme donnait la priorité à la sécurisation de l’équipement, sans négliger son insertion dans le site afin de valoriser sa position dominante dans le paysage, d’utiliser les possibilités offertes pour créer une placette associée au lotissement qui le jouxte, de créer les liaisons des cheminements piétonniers nombreux sur ce pan de colline.

Phase c : les propositions.

Plusieurs maîtres d’œuvre ont été mis en concurrence. Le projet de l’architecte Thierry Van de Wyngaert, maître d’œuvre de nombreux châteaux d’eau en France a été retenu.

Phase d : Réalisation.

En juillet 2007, une visite du site a montré que le cheminement de promenade et le belvédère sont ouverts, accessibles et utilisés. Le Comité touristique a intégré le belvédère dans ses parcours préfé­rés, pour expliquer le développement de la ville. Par contre, la place publique a été grillagée et le portail fermé : la cour a été « reprivatisée » pour un usage technique d’accès des véhicules des ser­vices de la CGE. Ainsi, aucun espace public ne ponctue la rue du lotissement, à l’exception d’un grand espace vert en cœur d’îlot, composé d’allées et de pelouses formant des monticules. La vie collective est ainsi invitée à se développer du côté arrière, privatif, et aucun jeu collectif n’est prévu, ni facilement réalisable.

L’exemple du château d’eau montre comment s’emboîtent de manière concrète des gouttes d’expérience : sur la base d’un plan d’ensemble, qui suit son propre parcours de réalisation, se déve­loppe un projet plus particulier qui a lui-même sa propre cohérence avec des impératifs en partie communs (problématique urbaine) et en partie différents (par exemple, la sécurisation du site pour empêcher le vandalisme). Les pages qui suivent (p.133 à 137) se présentent sous la forme de fiches actions mises en cohérence avec l’esprit de la démonstration de la thèse.

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Figure 4‑12 : Revue Construction moderne, n°120, 3ème trimestre 2005, page 22

[1] VRD : Voiries et Réseaux Divers

4.C-1-2 Concrescence de Lunéville

4.C. Phase a : Présentation de la ville et des quartiers:

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Figure 4‑1 : Les quartiers de Lunéville en 2000. (Source : P.Vaillant, logiciel Autocad)

Le découpage politique des sept quartiers de Lunéville correspond pratiquement à la typologie des quartiers : quartiers nord (saumon foncé), quartier Villers-Sainte-Anne (vert), quartier de Ménil (saumon clair), quartier sud (violet), quartier Dahommey-Jeanne d’Arc (bleu), quartier du Champ de Mars (jaune) et quartier du centre ville (rouge et blanc). La vieille ville est hachurée en rouge : une partie se trouve dans les quartiers nord (place des Carmes et rues adjacentes), et un ensemble d’îlots se situe dans le quartier de Ménil (actuelle Institution St Pierre Fourier et rues adjacentes).

Le travail mené sur les plans de la ville depuis sa charte de franchise en 1265 avec un « comité des sages » a montré la capacité de renouvellement de la ville à travers les siècles. Il a conduit à la publication d’un ouvrage collectif en 2000 intitulé Histoire urbaine de Lunéville de 1265 à 2000 (LtP), suivie d’une exposition. L’analyse progressive et systématique de plus de 30 plans a permis en fin d’ouvrage de dresser une synthèse globale La ville s’est distinguée tous les cinquante ans environ depuis 1702 dans un domaine différent. Ville Princière de 1702 à 1766 avec l’installation du Duc Léopold puis l’arrivée en 1737 du roi Stanislas avant de devenir une ville dans la misère la plus profonde jusqu’en 1816. Elle devient la « Cité cavalière » de 1816 à 1871, avec l’installation du camp de Lunéville, et d’une garnison de cavalerie. Jusqu’en 1871, Lunéville est une ville endormie qui se distingue par ses performances en matière de maraîchage et de vignes. Devenue « ville frontière » en 1871 lors de la partition de l’Alsace-Lorraine, l’industrie se développe à l’initiative d’industriels alsaciens qui voulaient rester en France : production de wagons à l’usine Trailor -30 000 wagons de 1871 à 1945 [1]– parmi une floraison d’industries. La ville double sa population : elle passe de 12 000 habitants en 1871 à 23 000 en 1901 (LtP, p.99) quasiment sans construction supplémentaire. La ville ne résout son problème de surpopulation et de manque de confort qu’après la seconde guerre mondiale : elle construit au nord et sur les terrains de maraîchage du sud de la ville. Elle double de surface bâtie de 1945 à 1995, et la vieille ville commence à se transformer avec le contrat des villes moyennes affiché à partir des années 1970. En 1995, l’arrivée des socialistes à la tête de la mairie marque un tournant, celui de l’orientation de la ville vers une économie touristique et culturelle, ce que l’incendie du château en 2002, paradoxalement, ne dément pas.

La ville a changé d’identité tous les 50 ans, et cela pendant près de trois siècles [2]. Elle est caractérisée par ses édiles successifs comme étant une ville endormie, léthargique, en perpétuelle récession. C’est en fait une ville de passage, une ville de « flux » qui donne à ses habitants, malgré son dynamisme réel, l’impression de plus subir les évènements que d’en être le moteur. La nouveauté est presque toujours venue de l’extérieur (le roi Stanislas en 1737, le Prince Hohenlohe en 1816, les industriels alsaciens en 1870, le Conseil Général propriétaire du château en 2001…). Et la ville a toujours fait preuve de dynamisme de fait. Pourquoi n’apprendrait-elle pas à se projeter dans l’avenir avec plus d’audace, par exemple en imaginant de devenir une ville d’économie touristique, dont le château ne serait qu’une seule des pièces ? Analysons la situation de départ, avant d’analyser les potentialités.

La vieille ville fortifiée du Moyen-Age:      

Vers 1265, les bourgeois obtinrent du duc Ferri III des franchises et libertés sur le modèle de la loi de Beaumont [3]. Un premier rempart fut construit début XIIème siècle. Il fut augmenté à l’ouest (au delà du boulevard de la République) en 1340 [4]. L’enceinte est globalement carrée (400 m de côté) flanquée de 4 tours dont une reste encore aujourd’hui (la Tour Blanche). La ville couvre donc 16 ha environ, soit 1/100ème du ban communal. Cette enceinte est complétée après 1591 par une nouvelle enceinte composée de 7 bastions en terre reliés par autant de courtines et protégés par des fossés que les eaux de la Vezouze doivent inonder (en fait, ils seront toujours secs …)

Avant 1702, et le retour du Duc Léopold en Lorraine (1698), la ville ressemblait à Toul, avec ses murailles, ses bastions d’angles . Lors de l’exposition de 2 000, les habitants ont pu s’étonner de l’existence de cette première ville militaire. Il faut aujourd’hui un réel effort d’imagination pour se la représenter. Il n’en reste que quelques faibles vestiges (La Tour Blanche, la Tour de l’’Octroi, des restes de muraille rue du Rempart, rue de la Brèche, … à la place de ces remparts, Léopold construit ce que l’on pourrait appeler la Ville Neuve de Lunéville, ou la Ville Résidentielle du Prince.

La « Ville Neuve » ou la « Ville des Lumières » :

Le parti urbanistique est très différent de ce que fit Charles III à Nancy. Il avait construit hors des remparts la Ville Neuve de Nancy adossée à la ville médiévale, laissant à Stanislas l’opportunité de réaliser ultérieurement le magnifique ensemble de la place qui porte son nom, entre la « Ville de Charles III » et la Vieille Ville. La solution mise en œuvre à Lunéville est tout autre. Léopold utilise la même clé de développement que beaucoup d’autres princes en France, comme par exemple Richelieu pour la ville qui porte son nom dans le Poitou, et Louis XIV à Versailles [5]: une place royale (l’actuelle place des Carmes), et des constructions à programme (Place des Carmes, Rue Banaudon, Place Léopold, …).

Pour donner immédiatement forme à sa Ville et à sa Place Royale, Léopold utilise ses propres besoins en bâtiments militaires, casernement et écuries. Le programme d’ensemble est défini et contrôlé par Christophe André, nommé intendant des bâtiments de Lorraine et inspecteur général des Pont et Chaussées [6]. Il construit la Caserne des Cadets sur les terrains marécageux formant « L’île Saint-André ». Une rue nouvelle est tracée et de grandes demeures sont élevées (actuelle rue Chanzy) sous sa direction. En septembre 1707, trois d’entre elles (côté pair actuel) sont achetées par le Duc pour y installer les Suisses de sa Garde d’Honneur, et les pages. Puis en février 1709, le Duc achète 4 grandes maisons dans la rue (côté impair) pour l’Académie d’exercices, au delà du second pont sur la Vezouze, reconstruit en pierre en 1709. Par un Édit daté du 31 octobre 1710 Léopold autorise le projet de Ville Neuve : il accorde l’exemption de « toute tailles, subsides et impositions » aux particuliers qui auront dessein de construire. André achète en Avril 1712 dix mille toises de terrain et établit la Place Royale, l’ancienne Place Léopold, actuelle Place des Carmes, pour l’usage du public. La caserne des Carmes est bâtie sur le côté Ouest (nommée à partir de 1887 caserne La Barollière). Une Communauté des Carmes s’installe sur le côté Est et y construit une église. Des particuliers complètent l’ensemble et devaient respecter des règles de construction strictes : une place à programme avec une statue en son centre, avec des perspectives rectilignes, alignement de façades, constructions aux allures régulières, toutes semblables jusqu’aux linteaux, aux corniches et aux encadrements de fenêtres qui sont dessinés à l’identique. L’architecture donne forme à l’espace urbain. André meurt le 30 Avril 1712. Paul HERE, père du futur architecte de Stanislas, devient à son tour intendant des bâtiments. Il construit à lotir la rue qui porte son nom.

L’axe formé par la place des Carmes, la rue Chanzy se prolonge de l’autre côté de la Vieille Ville jusqu’à la ruelle d’accès à l’ancienne porte de l’Hôpital (toujours en place) et le centre du cloître de l’Hôpital de façon mathématique. Intrigué par ce fait, un groupe de chercheurs et érudits de Lunéville [7] en ont déduit la volonté du Prince de réaligner l’actuelle Rue de La République pour parfaire le nouvel ensemble urbain, comme le faisaient beaucoup de princes d’Occident à cet époque (Michel Ragon, 1995). Mais la densité du peuplement de la vieille ville n’a pas permis la réalisation de ce rêve, et il faut aujourd’hui réinventer autrement la cohérence que le Duc avait souhaitée.

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Figure 4‑2 : L’axe de la place des Carmes (Place royale) à l’hôpital : croisement de la Ville Neuve au nord et au sud avec la ville du Moyen Age [8]. Cartographie P.Vaillant

D’après le plan des axes de développement de la « Ville Neuve » ou « Ville des Lumières » de Léopold, les axes Nord/Sud et l’axe Ouest/Est passent tous deux par le centre du cloître de l’Hôpital.

La rue de la République n’a pas pu être réalignée, Léopold ayant probablement sous-estimé la complexité d’une « opération tiroir » pour déplacer les nombreuses familles et commerces qui se trouvaient sur place.

Cette présentation rapide n’a été possible qu’en réalisant un travail collectif sur l’histoire et la géographie de la ville, c’est à dire son développement dans le temps et dans l’espace. Jusque-là, aucun livre n’abordait les problèmes sous cet angle. Certains faits majeurs étaient même occultés dans les informations officielles [9]. Par exemple, l’ouvrage du docteur Bichat, fils du Maire du même nom au début du siècle, relatait la création par son père d’une société de logements bon marché pour résoudre le problème de la surpopulation des familles ouvrières. Le résultat a été … la création de 27 logements avant la première guerre mondiale, alors que la surpopulation concernait près de 5 000 ouvriers (LtP, p.69).

Les faits majeurs occultés sont détaillés dans un remarquable rapport d’enquête du Conseil Supérieur des Habitations à Bon Marché (HBM) de 1896 [10], primé parmi trois au niveau national pour sa qualité (avec Briey et Rennes). Celui-ci notait « La lamentable situation de l’ouvrier de Lunéville : ces nombreuses familles ouvrières entassées à raison de 3,4 à 6 personnes par pièces, dans des taudis où la lumière manque à l’âme et l’air aux poumons » [11]. A côté, les « admirables résultats obtenus par nos industriels industriels » vantés par le Sous-Préfet ne concernaient que 229 logements des usines, et 119 logements vendus à des ouvriers. Le rapport HBM montre comment « Le propriétaire a un intérêt évident, à morceler, à découper l’espace dont il dispose, à faire une chambre de tout local susceptible d’être plus ou moins éclairé, à créer en définitive beaucoup de petits logements ; C’est ainsi que nous trouvons 12, 14, 20 logements ouvriers dans une même maison que rien, dans les prévisions de son constructeur n’a destiné à cette affectation » [12]. La situation a perdurée pendant un demi-siècle, puisque l’enquête INSEE de 1954 révèle que 85,5 % des logements restent encore sans installations sanitaires. Ce n’est seulement qu’entre 1960 à 1978 que la question du logement est véritablement résolue, avec la création dans le seul secteur social de 1427 logements loués nouveaux, 62 individuels et 1365 collectifs. (LtP, p.80-81).

Cet exemple montre l’intérêt d’un travail collectif de mémoire sur sa ville et son territoire d’habitation, son territoire d’« ancrage sur la Terre » (Eric Dardel). Le regard sur le passé en rapport au présent permet de porter un regard sur l’avenir.

4.B. Phase b et c  : prospective et propositions sur la ville de Lunéville.

Ce travail a permis en matière d’élaborer une prospective de la ville issue de la compréhension profonde de son histoire. Citons quatre éléments prospectifs, qui resteront d’actualité pendant encore plusieurs décennies :

  • b1- Le développement de la ville touristique
  • b2- La transformation de l’hôpital
  • b3- La reconquête de la Ville Neuve perçue comme un espace urbain minéral dans un écrin de verdure.
  • b4- Un exemple de mise en valeur de la mémoire de la ville.

4.B.1- Développement de la ville touristique : retrouver la Ville Neuve des Princes du XVIIIème :

Analysons les potentialités de retrouver la Ville Neuve du XVIIIème siècle, dans la visée de réaliser la cité d’économie touristique dont Michel Closse a rêvé à maintes reprises depuis qu’il a gagné les municipales en 1995.

La Ville princière du XVIIIème siècle est conservée à 90% sous les crépis modernes : on peut estimer que 2000 logements datent du XVIIIème siècle, soit 25 % des logements actuels (LtP, p.87). Une analyse soignée des éléments statistiques et des plans confirme cette donnée. Le tracé de cette ville a été précisé grâce à plusieurs documents pris à l’appui. Ces derniers proposent ainsi un nouveau périmètre d’étude pour rapprocher les aménageurs, les historiens, les services d’architecture, d’inventaire des bâtiments de France (Plan de synthèse dans LtP pages 19 et 96, et plan détaillé tiré à part format A0). La Ville Neuve correspond aux anciennes rues commerçantes, aux commerces aujourd’hui en grande partie vacants, mais toujours visibles, et en attente d’une politique commerciale à la hauteur des enjeux de développement du Château. La Ville Neuve est l’écrin du Château. Elle est à la taille de l’importance que ce site peut acquérir.

Or toute l’attention des édiles et érudits locaux se porte encore sur le site inscrit de la ville médiévale cerné par la première enceinte. Le site inscrit dans sa configuration actuelle ne prend donc pas en compte l’élargissement opéré par Léopold. N’est-ce pas désormais la Ville du Prince le site inscrit pertinent pour mettre en valeur le passé et préparer l’avenir ?. Ce nouveau périmètre n’est pas encore entré dans la conscience de la population, de l’équipe municipale et des services de l’État. Or le développement du Château est indissolublement lié à cette Ville Neuve, et une opportunité est à saisir (LtP, p.99). La pauvreté de la ville de Lunéville aura paradoxalement offert la possibilité (potentialité) de retrouver la Ville Neuve qui n’a pas été démolie, ni remplacée : un travail spécifique sur les façades pourrait permettre de retrouver le caractère architectural et urbain du XVIIIème siècle.

4.B.2- La transformation de l’hôpital :

Les travaux effectués montrent comment au fil des décennies et des projets, l’hôpital a progressivement tourné le dos à la ville. Initialement, dans la conception d’origine du Duc Léopold, l’entrée était du côté de la ville, exactement dans l’axe de la place des Carmes qui passe devant le château. Ce fait explique le trajet sinueux pour arriver à la mairie en venant du sud. Une volonté politique forte en matière urbaine est nécessaire pour replacer l’hôpital dans son ensemble urbain. On en parle moins que du château, mais il s’agit d’un équipement majeur de la ville, d’occupation au sol assez similaire à celle du château.

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Figure 4‑3 : Périmètre de la Ville Neuve (Source : P.Vaillant sur le parcellaire numérisé. Mise au point vectorielle sur Autocad)

4.B.3- La reconquête de la Ville Neuve vécue comme un espace urbain minéral dans un écrin de verdure :

Ce fait, montré par les cartes et l’analyse urbaine (LtP, p. 98) pourrait servir à initier une charte des espaces publics pour permettre de différencier progressivement la Ville Neuve des entrées de villes, de ses extensions récentes, et par là même de renforcer l’intérêt touristique de chacune des parties, et notamment le potentiel offert par la ville.

Ce travail illustre une manière d’aménager la ville qui conjugue la compréhension de l’héritage du passé, la saisie des potentialités d’évolution, la mise en forme de propositions réalisables, et la mise en cohérence des actions plus ponctuelles [13]. Ces remarques trouvent naturellement leur place dans les quatre phases du schéma de questionnement. Les même phases seront observées au niveau des actions plus ponctuelles.

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Figure 4‑4 : Confrontation au schéma de questionnement : le procès de transformation des territoires au service de l’aménagement de la ville

b4. Un exemple d’action ponctuelle possible : la mise en valeur de la mémoire de la ville et de l’architecture civile liée aux chevaux:

A la fin du siècle, on notait 90 écuries privées totalisant de environ 300 chevaux (Baumont). L’importance des écuries en ville est indiquée par le nombre de portes cochères : les écuries sont situées en arrière-cour, selon une typologie inscrite dans le parcellaire et visible sur les plans informatisés de la ville. Certaines écuries existent encore : Rue Carnot, Rue de la République, Rue de la résistance, (réhabilitation de l’OPAC au n°10), …Un inventaire complet de ce patrimoine serait utile pour le sauvegarder et compléter les visites des bâtiments remarquables.

Conclusion de l’analyse de certaines potentialités de la ville:

Ce qui frappe dans l’étude de l’évolution de ces quartiers est la rapidité de leur transformation. Cette capacité de renouvellement tous les 60 ans environ fait partie de l’identité de la ville. La ville résidentielle du Prince prospère entre 1702 et 1766. Elle fait place à la ville dans la misère (1766 à 1816), puis à la Cité Cavalière et agricole (jusqu’en 1870). Sur ces trois générations de ville se superpose et se rajoute ensuite la Cité industrielle (1870 à 1940) . Puis c’est la ville intermédiaire qui annonce dès 1995 le début de la Cité touristique : la « Ville des Lumières » mérite d’être remise en valeur, et d’être au cœur d’un nouveau projet de ville. C’est une transformation de fait, qui se produit alors même que les habitants de Lunéville n’y croient pas. Ce dynamisme de fait est dû à sa position sur un carrefour d’importantes voies de communication vers Nancy, Saint-Dié et Strasbourg. La clé de réussite et d’accélération de la prochaine transformation de Lunéville en Cité touristique est probablement de devancer ce mouvement plutôt que simplement le constater et de l’accompagner.

Après avoir présenté la ville dans son ensemble, il faut désormais étudier les gouttes d’expérience, allant de la plus modeste à la plus large, globalement dans l’ordre chronologique où elles se sont déroulées entre 1995 et 2002.

4.C. Phase d : les réalisations :

Au niveau de la ville, chaque réalisation est une nouvelle opération qui invite à recommencer toutes les phases à la nouvelle échelle considérée. Cette remarque introduit à la notion d’échelles indicatives de référence, et de subsidiarité active * entre ces échelles de référence (une illustration complète et pédagogique est proposée au chapitre 13.I, p.400-401, notamment figure 13-12 pour la région « Entre Vosges et Ardennes » aux échelles indicatives des 32 000 km2, 2 000 km2 et 125 km2). Le passage d’échelle se fait ici entre la ville (échelle indicative des 780 ha -env.8 km2, rayon de 1,6 km-) et le quartier (échelle indicative de 50 ha (rayon de 400 m) voire 3 ha (rayon de 100 m) et 2 000 m2 (rayon de 25 m pour un bâtiment précis). Chaque échelle génère un nouveau processus, articulé sur le processus général, et à l’échelle supérieure. La vie professionnelle ordinaire n’échappe pas à cette règle de subsidiarité de fait. C’est pourquoi chacune des réalisations est décrite selon les quatre phases du schéma de questionnement de base. L’entraînement à ainsi décrire les opérations est un entraînement à rédiger des fiches d’expérience, à les rendre transmissibles, à les mutualiser. L’enjeu est la capitalisation de l’expérience au sein des réseaux professionnels.

Les réalisations présentées concernent toutes Lunéville et sont en liaison avec la presentation qui vient d’être faite de cette cité : le Centre de Métrologie Lorraine, l’aménagement du quartier de La Barollière, le château d’eau, CAP 54 et la reconquête d’un espace commercial abandonné, enfin de l’aménagement du centre-ville.

4.C.1. Le Centre de Métrologie Lorraine : une prouesse technique et financière pour l’IUT de métrologie.

Phase a : le problème posé et la situation existante :

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Figure 4‑5 : Plan HERE de 1752 ; Plan de 1875 ; Plan de 1911 (inchangé en 1920) (Sources : Plans d’archives municipales scannés à l’échelle 1)

Le quartier de l’Orangerie n’était pas à l’origine un quartier de cavalerie. Sur le plan HERE de 1752, il prend l’aspect d’un jardin. Après la mort de Stanislas en 1766, le site fût transformé en caserne pour accueillir les Gendarmes Rouges. En 1770 et en 1787, il y fût ajouté plusieurs bâtiments érigés le long de l’actuelle rue de Lorraine. Le plan de ville de 1816 fait apparaître l’ensemble des bâtiments en fond de parcelle et le long de la rue des Bosquets. En 1825 et 1826, on fit l’acquisition de terrains à la ville pour bâtir une écurie et une forge. En 1855, une nouvelle écurie ainsi qu’un nouveau manège furent bâtis, puis 3 nouvelle écuries dans l’année qui suivit. En 1836, le quartier comptait 5 corps de bâtiments contenant 90 chambres dont 2 étaient affectés au logement d’un capitaine, 26 aux sous-officiers du petit état major. Les 62 chambres restantes pouvaient accueillir 857 lits. Les 15 écuries pouvaient abriter 848 chevaux barrés par ordinaires de 3 et occupant 1,10 m de râtelier chacun.

D’autres constructions (ateliers …) furent construites entre les deux guerres sur de nouveaux terrains expropriés par utilité publique sur les habitants. Une impasse, (la future rue Leroux) fut percée pour lotir quelques terrains. Depuis 1970 était implantée une compagnie de soutien du matériel, dont la mission consistait jusqu’alors à soutenir le 30ème GC et le 3ème RC. La cinquantaine d’hommes de la 2ème Compagnie du 7ème Bataillon du Matériel de Division Blindée (2Cie/7ème BMDB) occupait donc 4,5 ha de garages et d’ateliers. (Vargeneau)

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Figure 4‑6 : Plan de 1936 ; Plan en 1960 ; Plan en 2000 (Sources : archives municipales)

Phase b : la vision du quartier, démolition et réappropriation :

Le quartier Clarenthal avait vocation à redevenir un quartier civil, intégré au centre-ville. Cette intégration, aujourd’hui achevée a plusieurs étapes. D’abord, en 1990, l’Atelier du Rempart (dirigé par les architectes-urbanistes André Collin et Claude Michely) réalise pour la ville un schéma directeur afin de relier ce quartier aux voies communales environnantes, une fois les murs d’enceinte abattus. De ce schéma ont été réalisés le raccordement à la rue Lebrun, l’ouverture vers la rue des Bosquets, la construction de l’école Hubert Monnais en 1991, la deuxième tranche de 30 logements S.N.I. (Société Nationale Immobilière qui travaille pour l’Armée) en 1992, le Commissariat de Police dans un bâtiment existant (1993), la Médiathèque dans l’ancien manège (1995), l’I.U.T. de Métrologie en 1996 (coût de 24 MF pour une réalisation livrée en 1997) puis le Pôle de Ressources Technologiques (13,5 MF, livré en janvier 2001) ainsi que des logements étudiants par la C.C.L (2001) et une SCI privée (2001).

Phase c : la proposition.

Le projet de Pôle de Ressources Technologiques était associé à une forte contrainte financière. Il fallait réaliser le projet avec 6300 F H.T. du M2 tout en disposant d’équipements techniques très sophistiqués, comme par exemple un chauffage qui devait pouvoir garantir une différence de 0,5° de température maximum en continu. Un programme très détaillé a été nécessaire pour pouvoir tenir les prix jusqu’au bout de la réalisation. A titre d’exemple, les logements réalisés par la CCL ont coûté plus de 10 000 F/HT du M2, dans un mode de production et un type de suivi différent.

Phase d : la réalisation.

La réalisation s’est déroulée comme prévu, avec la nécessité de coordonner les accès avec les logements attenants. Seul l’espace central est resté en espace vert. Fallait-il le transformer en lotissement ? y construire un équipement? ou le laisser ainsi ? La question se pose encore aujourd’hui. Le procès de transformation du quartier qui précède, et du quartier qui suit, confronté au schéma de questionnement, conduit à la figure suivante :

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Figure 4‑7 : Confrontation au schéma de questionnement: le procès de transformation des quartiers de l’Orangerie et de la Barollière.

4.C.2. Aménagement du quartier de La Barollière :

La transformation du quartier de la Barollière peut être décrit suivant les mêmes phases logiques que la transformation du quartier de l’orangerie.

Phase a. -Appréhension globale du quartier :

Présentation du quartier de la Barollière à travers les plans, et expression du problème posé à la municipalité :

La suite des plans permet d’observer l’extension progressive de la caserne, par ajout de bâtiments autour d’une cour fermée par deux fois, entre 1783 et 1816. À la veille de la première guerre mondiale, cinq bâtiments supplémentaires ont été édifiés le long de la rue Delorme.

L’un des 23 bâtiments de la Barollière entreposait encore du matériel de mobilisation lorsque ce quartier de 3,8 ha fût définitivement désaffecté le 31 Juillet 1985. Le Groupe d’Instruction du 30ème G.C. fût la dernière compagnie à l’occuper. (Vargenau).

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Figure 4‑8 : 1752 ;   1793 (plan réalisé par la municipalité) 1816 (le patrimoine militaire à l’arrivée du Prince Hohenlohe) (Sources : Plans d’archives)

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Figure 4‑9 : 1839                                         1875                           1911
(Le patrimoine militaire à la veille de la 1ère guerre mondiale) (Sources archives municipales)

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Figure 4‑10 : 1936                     1960                                       2000
(Sources : Plans d’archives municipales scannés à l’échelle 1)

La ville a usé de son droit de préemption pour s’assurer de la propriété de cet ensemble immobilier de 3,7 ha., pour un montant de 2,8 MF. Ont été aussitôt démolis les murs d’enceintes et les bâtiments les plus insalubres. Puis le site fût laissée en attente, l’effort de la ville se portant d’abord sur le quartier Clarenthal.

La municipalité de Michel CLOSSE a voulu fermement aménager l’ensemble du quartier dés l’installation en Juillet 1998 de l’Hôtel des Finances dans un des deux casernements de la rue de la Barollière. La ville a été aidée par l’EPF Lorraine pour 900 kF et les crédits KONVER de reconversion de casernes. Entre la ville et ce quartier, plusieurs rues et espaces délaissés sont à aménager. L’accès à cette zone avait un caractère d’abandon, de vétusté. Un carrefour neuf, décoré de 3 fresques de cavalier, très bien réalisé, renforçait paradoxalement cette sensation de chantier commencé non poursuivi. Le cœur d’îlot était encore fortement planté, d’arbres parvenant à maturité, avec des essences diversifiées : 6 tilleuls, 7 marronniers, 6 platanes, 2 robiniers « pseudo-acacia », 3 érables, 2 cerisiers et 4 autre arbres malades, à couper. Une dizaine d’arbres sont manquants. Les arbres sont disposés en trois rangées parallèles. Une allée côté Est est constituée de pavés bien visibles sous l’herbe. La rangée d’arbre centrale étant parallèle à la façade d’entrée du Gymnase, cette allée est nettement visible de tout point lorsque l’on vient du Centre-Ville à pied par la rue du Gendarme Rouge, et se trouve ainsi dans le prolongement naturel du parvis d’entrée de cet équipement.

Phase b :le parti urbanistique.

Dés lors le parti urbanistique visé a été de conserver cette intéressante disposition d’urbanisme et de le renforcer pour créer un axe facteur d’unité et de clarté d’organisation de toute la zone. Cet axe se prolongeait au delà par le chemin du cimetière jusqu’au sommet de la colline de Méhon. Ainsi conçu, cet ensemble avait vocation de créer le lien entre l’arrivée par le pont, la place des Carmes et le début de la rue du Général de Gaulle, et la colline de Méhon en longeant le cimetière. La colline de Méhon est un des plus beaux points de vue sur la ville, comme en atteste de nombreuses photos, gravures ou peintures prises depuis le sommet de la colline. Tout un ensemble de chemins se trouvent ainsi reliés entre eux, en créant une cohérence. Ces chemins étaient bien connus des militaires, puisque l’on dit que c’était leur lieu de sorties nocturne dans quelques cabanes perdues dans les jardins, lieu de rendez-vous … Ce parti d’ensemble des espaces extérieurs a été validé en Comité de Pilotage d’élus du mercredi 6 janvier 1999, et inscrit au Projet de programme de Renouvellement Urbain de Février 2000.

Phase c : le projet présenté aux élus.

La cohérence proposée aux élus est ainsi venue d’un ensemble de projets qui se complétaient les uns les autres :

  • 1 – Transfert du centre des impôts depuis l’aile droite du château (qui ne pouvait plus supporter le poids des alignements d’armoires de 650 kg chacune) vers un des bâtiments de La Barollière
  • 2 – Réalisation des espaces extérieurs de La Barollière
  • 3- Réalisation d’un Château d’Eau au sommet de la colline de Méhon, point culminant du parcours et d’aboutissement (ou début) d’une promenade : espace privilégié pour localiser un belvédère, une vue panoramique, une placette, un départ de promenade, ..)
  • 4 – Réhabilitation du gymnase car aucun équipement sportif n’existait encore dans le secteur Nord-Ouest de la ville.
  • 5 – Un Foyer d’Accueil Spécialisé : il s’agit d’un établissement (Établissement Public de Rosière) pouvant accueillir jusqu’à 60 adultes légèrement handicapés, qui logent sur place. (travaux réalisés de janvier à décembre 1999).
  • 6 – Le bâtiment militaire Nord est utilisé comme bâtiment de stockage de matériel pour la ville.
  • 7 – Le deuxième bâtiment de casernement a été vendu à un promoteur immobilier créatif, pour le revendre en lots de12 maisons de ville avec leur jardin avant. Le promoteur aménage 100 m², et laisse accessible plus du double de la surface dans les étages … l’opération s’est faite très rapidement en 2001.
  1. La réalisation :

Les réalisations quasi simultanées ont été coordonnées dans un emboîtement des phases de chacune des opérations, suivant la figure 4-10 ci-dessus. Le procès de transformation du territoire se vérifie également, sur l’exemple qui suit, pour la réalisation d’un château d’eau.

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Notes :

[1] « Ces wagons, accrochés les uns derrière les autres, formeraient un train dont la tête serait près de Paris quand la queue quitterait Nancy ».
[2] Lunéville à travers les plans (LtP), Tableau de synthèse de 1265 à aujourd’hui, aux pages 120 &121.
[3] Henri Baumont, Histoire de Lunéville. Préface de Ch. Pfister. Lunéville, E. Bastien, libraire-éditeur, 1900. In-8 broché, couverture illustrée, (XIII+768pp). L 8°-301, page 9.
[4] Martine Tronquart, Le patrimoine civil de Lunéville, Coll. Images du patrimoine n°140, Inventaire général des Monuments et des richesses artistiques de la France, 39 pages, 1994. A noter : l’exposé d’urbanisme général p.3 à 15, le plan de la vieille enceinte de 1598 de C.MARCHAL (p.11), de la ville fin XVIIIème (p.11), des quartiers militaires en 1824 (p.8), du manège de La Barollière (p.37).
[5] Georges DUBY, Histoire de la France Urbaine, Tome III page 115 et Michel RAGON L’Homme et les Villes, Albin Michel, 215 p., 1995, page 156
[6] Martine TRONQUART, op. cit. et Hervé THIRION, diplôme d’architecture 2000.
[7] Ouvrage collectif coordonné par Philippe VAILLANT Histoire de Lunéville de 1265 à 2000, 129p. format A3, 30 plans, schémas et synthèses, nov 2000, avec des apports notamment de Jean-Pierre CARCIOFI, Henri MACOIN, Bernard JACQUOT, Myriam RABAGLIA.
[8] Idem, « Lunéville à travers les plans de 1265 à 2000 »
[9] Ce silence sur les sources écrites rejoint certaines conclusions de la thèse de Nicolas Poirier (2007)
[10] Sur lequel a attiré notre attention M.Laurent Schmidt, conservateur de la médiathèque de Lunéville en 1999
[11] p.52 du rapport HBM et LtP p.69
[12] p.46 du rapport
[13] Ce travail rejoint la construction identitaire de l’urbanité d’une petite ville, dans les termes de la thèse de Samuel Périgois (2006).

3.C.8-9. P. Sansot & E. Dardel

3.C.8. Confrontation avec la démarche de Pierre Sansot :

Pierre Sansot, né le 9 juin 1928 et décédé le 6 mai 2005 à Grenoble, était un philosophe, sociologue et écrivain français. Durant trente années (1963 à 1993), il a enseigné la philosophie, puis l’anthropologie à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, puis de 1993 à 1998 à l’Université Paul Valéry de Montpellier.

La démarche de Pierre Sansot dans Poétique de la ville [1] est exemplaire à plusieurs titres : cet urbaniste/philosophe a tout au long de sa carrière bien explicité le lien entre sa démarche d’urbaniste/géographe (de « topologue urbain [2] ») et de philosophe ; d’autre part, tout son travail témoigne d’un dépassement de « la dichotomie entre le matériel et l’idéel » [3], par l’exploration systématique du lien réciproque entre l’objet et le sujet, au point de parler de la ville comme d’un « quasi-personnage » [4], dans une notion très proche de celle d’actant de Michel Lussault [5].

Le schéma ci-après indique les notions prises en compte par Pierre Sansot, en suivant les étapes du schéma de questionnement.

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Figure 3‑16 : Schéma du questionnement de l’expérience géographique à travers l’approche de Pierre Sansot dans Poétique de la ville, Payot, 2004.

C.C.9. Confrontation avec la démarche d’Eric Dardel

Éric Dardel est un géographe français, né en 1899 et décédé en 1967. Spécialiste de la pêche, il mène une carrière de professeur d’histoire-géographie puis de proviseur de lycée. C’est cependant par son livre L’homme et la terre que la communauté des géographes le redécouvre, cet ouvrage étant passé inaperçu lors de sa parution en 1952. Éric Dardel s’intéresse de manière sensible aux relations entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le rapport qu’entretient chaque homme avec les lieux et l’espace géographiques, sa façon d’habiter, selon son concept de « géographicité », qui est le « moyen par lequel l’homme réalise son existence, en tant que la Terre est une possibilité essentielle de son destin » [6]. L’approche d’Eric Dardel montre la participation de l’homme à la substance des choses [7] : les 23 occurrences du terme montrent une approche bien loin d’une substance statique et sans spontanéité : sa substance est relationnelle, et liée à une expérience intime de la Terre. L’expérience géographique élémentaire est celle de la « réalité-expérience », c’est à dire « une certaine manière pour nous d’être envahi par la terre, la mer, la distance, d’être dominé par la montagne, conduit par la direction, actualisé par la paysage comme présence de la Terre » [8]. L’espace s’ouvre ainsi sur sa perspective temporelle, ce qui rejoint « l’intuition spéculative de Whitehead, pour qui l’espace lui-même est relation d’évènements », ainsi que la vision du poète. L’homme est inséparable de son milieu (il cite Merleau-Ponty), et la géographie s’adresse « à l’homme lui-même comme personne et sujet » [9].

La référence à l’événement chez Whitehead renvoie à la première élaboration métaphysique de La science et le monde moderne (1925), le lien à l’entité actuelle de Procès et réalité étant établi par Lewis Ford [10] et par Whitehead lui même en PR 73 : il définit l’événement par « un nexus d’occasions actuelles, interconnectées selon une figure déterminé dans un quantum extensif unique. Une occasion actuelle est le cas limite d’un évènement ne comportant qu’un seul membre ». La notion de nexus est développée dans la partie II. L’expérience de l’homme à la Terre est « source qui nous fait être » (p.59), « fulguration de l’être » (p.61) : elle manifeste notre historicité fondamentale. Elle est une base pour se poser et se reposer, c’est à dire habiter. Ce sera en partie III le critère n01 de la région conviviale.

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Notes :

[1] Pierre Sansot, Poétique de la ville, PPB n°512, Payot, Paris, 204 (1996), 626 p.
[2] Sansot, 2004, p.64
[3] Di Méo & Buléon, 2005
[4] Sansot, 2004, PP.19, 368, 576.
[5] Levy & Lussault, DGES, 2003, pp.38-39
[6] DARDEL Éric, L’homme et la terre, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1990, 198 p. , 1ère éd. PUF, Paris, 1952, citation page 124.
[7] Un texte complémentaire précise toutes les occurrences de la notion de substance à l’adresse suivante : Annexes\Annexe00b-Textes-Citations\Dardel-Eric-Mentions-de-la-Substance.doc
[8] Ibid, p.54.
[9] Ibid, p.54.
[10] Lewis S. Ford, Emergence de la Métaphysique de W., 1925-1929. Selon Lewis Ford, c’est prise en compte du caractère atomique de la temporalité (“l’atomicité temporelle”) qui a permis à Whitehead d’aboutir à la conception des entités actuelles. “Il y a un devenir de la continuité, mais pas de continuité du devenir” explique Whitehead.

3.C.7. P.Destatte & M.C.Malhomme

3.C.7. Confrontation avec p. Destatte & M.C. Malhomme :

Philippe Destatte est directeur de l’Institut Jules Destrée, il joue un rôle de premier dans l’écriture de l’histoire wallonne. Il est également chargé d’enseignement aux Universités de Paris Diderot – Paris 7, de Clermont Ferrand et de Reims. Il collabore également comme directeur scientifique à la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires de la France (la DIACT, anciennement la DATAR).

Philippe Destatte présente dans l’ouvrage de géographie porspective Évaluation, prospective et développement régional [1] un schéma général de la prospective (figure 3-15). Ce schéma peut être représenté suivant le schéma de questionnement synthétisé dans la figure suivante:

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Figure 3‑15 : Schéma de la démarche de prospective selon Philippe Destatte , 2001 ; confrontation au schéma de questionnement.

La principale difficulté pour réaliser cette transposition d’un mode de schéma à l’autre relève du positionnement de l’évaluation. Celle-ci se positionne entre deux temps de l’expérience, et non sur la phase d. D’autre part, la figure 3.16 tient compte des critiques émises avec le commentaire du schéma [2]. En effet, l’ajustement aux phases techniques du procès organique y apporte naturellement une réponse. Nous entrerons dans cette discussion en partie II au moment où sera détaillé le vocabulaire technique du procès de transformation des territoires. La démarche de Marie-Claude Malhomme [3] entre aussi exemplaire par l’articulation de l’évaluation et de la prospective. Elle est exemplaire par l’articulation de l’évaluation et de la prospective.

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Notes :

[1] Philippe Destatte dir.) Évaluation, prospective et développement régional, Institut Jules-Destrée, Charleroi-Wallonie, 2001, 399 p. schéma page 347.
[2] Destatte, pp. 346 à 350
[3] Marie Claude Malhomme, Aliette Delamarre, La Prospective, Territoires en mouvement, Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) – DIACT, 2002, 112 p.

3.C.5-6. R. Vidal Rojas & J. de Courson

3.C.5. Confrontation avec la démarche de RodrigoVidal-Rojas

Rodrigo Vidal Rojas est Architecte, DES en Études du Développement, DES en Urbanisme et Aménagement du Territoire, Docteur ès Lettres mention Géographie. Professeur et chercheur à l’École d’Architecture de l’Universidad de Santiago de Chile.

Une première lecture de Rodrigo Vidal -Rojas permet de trouver les éléments de réponse à chacune des interrogations du schéma de questionnement. L’ouvrage est très technique, et beaucoup de termes sont proches de ceux employés dans la pensée organique. Seul un approfondissement après la définition des termes de la pensée organique sera possible. Ce travail sera fait au chapitre 8.

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Figure 3‑13 : Schéma de l’approche de Rodrigo Vidal-Rojas dans Fragmentation de la ville et nouveaux modes de composition urbaine (p.106-107)

Il est néanmoins possible dès maintenant de constater la convergence avec les autres approches, avec une grande richesse d’exemples du praticien de l’aménagement, architecte ou urbaniste. L’intérêt de cette analyse est renforcé par la qualité et l’érudition de la synthèse proposée par Rodrigo Vidal-Rojas . Il propose en effet une synthèse [1] de plus de 37 ouvrages clés, de Bernard Tsumi à Steven Holl.

3.C.6. Confrontation avec la démarche de Jacques de Courson :

Jacques de Courson, docteur ès sciences économiques et ancien élève de l’Institut d’urbanisme de Pans, est consultant et enseignant. Il est l’auteur de Le projet de ville (1993), Les élus locaux (2000), Brésil des villes (2003) et L’appétit du futur : voyage au cœur de la prospective (2005). Il a créé l’association Urbanistes du monde.

Le premier livre de Jacques de Courson porte sur Le projet de ville. Ce livre est pour beaucoup dans ma façon de « plonger » dans le vécu de la ville de Soissons, alors que j’étais en poste dans cette ville (1990 et 1995), et dans la mise au point d’une approche de la ville qui a ensuite été appliquée à la ville de Lunéville (Voir Lunéville à travers les plans de 1265 à 2000 en annexe 01).

Le quatrième ouvrage de Jacques de Courson, L’appétit du futur, voyage au cœur de la prospective [2], porte sur la géographie prospective. L’intérêt de sa démarche est ici sa façon d’expliquer la prospective à partir du quotidien du vécu d’une famille. Cette démarche pourrait être faite dans le vécu ordinaire des collectivités territoriale en ce qui concerne l’aménagement du territoire, et dans le vécu professionnel ordinaire : c’est ce qui est tenté dans les chapitres 4 & 5 qui suivent. « La démarche de prospective ne constitue qu’un exercice et non une décision. On lui donne parfois une importance qu’elle n’a pas. La démarche de prospective ne vise qu’à explorer l’avenir: cela n’a rien à voir avec un système de décision qui déclenche des actes sur le terrain. Tous les prospectivistes sérieux sont des gens modestes, qui cherchent à éclairer le décideur sans prendre de décisions à sa place. Il me paraît également important de revenir sur la distinction entre prévision et prospective. Les prévisionnistes sont des scientifiques qui ont une conception assez étroite de leur discipline et qui cherchent à déterminer ce qui va advenir. Le prospectiviste étudie au contraire l’environnement de façon très large, dans toutes ses dimensions, afin de déterminer ce qui pourrait advenir. » [3]

Dans cet extrait, on retrouve la distinction entre prévision et prospective (qui nécessite un « saut de l’imagination »), notion déjà imaginée par de William Twitchett et Patrice Braconnier.

En déclarant que la prospective n’a rien à voir avez un système de décision, F. de Courson semble seulement indiquer que cette phase a une spécificité en soi : cela est en cohérence avec le statut ontologique que donne Whitehead à cette phase, au même titre que les autre réalités/phases de l’expérience. Ce propos est conforté par un ouvrage ultérieur publié sur la prospective, où celle-ci s’insère bien dans un processus de décision. Par contre, la prospective n’a pas « rien à voir avec la décision » : elle tisse des liens étroits avec le système de décision si l’on recherche une évaluation, une efficacité, une pertinence, une intensité et une harmonie plus grande (c’est à dire la mise en jeu du maximum de catégories d’obligation, comme il sera montré en partie II, ch. 2).

D’autre part, il est étonnant de constater que dans la « Loi des 7 P » proposée par Jacques de Courson, il ne manque guère que le mythe au-dessus de la prophétie pour pouvoir retrouver toutes les notions qui caractérisent l’évolution de la géographie analysée par Eric Dardel : la géographie mythique, puis la géographie de la Terre dans l’interprétation prophétique … jusqu’à la géographie scientifique. On constate qu’il s’agit d’une seule et même réalité existentielle (pour reprendre un mot d’Éric Dardel en référence à Emmanuel Lévinas).

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Figure 3‑14 : La loi des 7 « P » ou de l’imagination à l’action et le schéma de confrontation (Jacques de Courson dans L’appétit du futur, 2005, et séminaire DIV 2006)

« C’est le rêve de tous les commanditaires des exercices de prospective territoriale : passer commande d’une étude qui permette de déboucher sur une feuille de route directement applicable. Hélas, le territoire le plus souvent résiste … » (2006, p.70) Ce propos introduit à la nécessité de n’occulter aucune des phases logiques a, b, c et d du schéma de questionnement.

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Notes :

[1] Rodrigo Vidal-Rojas, Fragmentation de la ville et nouveau modes de composition urbaine, tableau 1 « Synthèse des contributions des textes et des projets à la compréhension du tout et des parties » (p.49 à 54)
[2] Jacques de Courson, L’appétit du futur, voyage au cœur de la prospective, Éditions Charles Léopold Mayer, 2005. Voir les schémas des pages 29 et 38.
[3] Rencontres des acteurs de la ville Les éditions de la DIV Séminaire 1er décembre 2006 Colloque «Villes, prospective et cohésion sociale» Séminaire du 1er décembre 2006 Rencontres villes, prospectives et cohésion sociale Délégation interministérielle à la ville 194, avenue du Président Wilson 93217 Saint-Denis La Plaine Tél : 0149174646 – Site internet : http:/www.ville.gouv.fr. Citation de la page 27.

3.C.4. G. Di Meo & P. Buléon

3.C.4. Confrontation avec la démarche de Guy Di Méo & Pascal Buléon,

La démarche de Guy Di Méo et de Pascal Buléon s’apparente, selon l’analyse faite à un prolongement de la démarche d’Alain Reynaud dans son ouvrage Société, Espace et Justice [1].

Il est étonnant de constater comment Alain Reynaud, dans son ouvrage majeur Société, Espace et Justice (PUF, 1981) définit le concept de classe socio-spatiale de façon quadripartite de la manière suivante :

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Figure 3‑12 : La problématique des classes socio-spatiales, selon Alain Reynaud, 1981

Dans le schéma interprétatif proposé, sur sa base à droite, le côté qualifié par A.Reynaud d’« objectif », signifie que l’« étude peut faire l’unanimité à partir du moment où ont été définies et acceptées les limites des classes socio-spatiales étudiées ». Le reste, sans qu’il le précise, est classé dans le « subjectif » … On ne peut en dire plus ici, mais un approfondissement de la confrontation au schéma de questionnement est proposé en partie II, au chapitre 9.

La valeur d’inégalité se retrouve à tous les niveaux de l’analyse, comme notre description de la valeur. L’inégalité est ce qui fait mal au corps social. On peut faire pour ce choix de valeur l’analogie avec le corps humain : on sent le corps quand ça fait mal. Quand tout va bien, on ne sent rien. Ainsi, A. Reynaud propose un contraste entre l’égoïsme socio-spatial et l’injustice socio-spatiale. N’y a-t-il pas de place pour l’harmonie, et la coordination, comme en Afrique entre les tribus différentes par exemple la coexistence paisible entre Hutus et Tutsi au Rwanda avant la colonisation ?

La conscience est pour lui un sentiment d’appartenance éprouvé [2], et assumé. Nous avons ici un début d’analyse de potentialité, mais directement porté au niveau de la conscience, alors que bien souvent, cela se passe sans conscience, ce qui ne signifie pas ne pas exister : en reprenant l’exemple du corps, c’est plutôt sans avoir conscience de son corps que le sentiment d’exister peut être intense. Pourtant le corps se fait oublier. Nous irons plus loin dans l’analyse en partie II, chapitre 9.

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Notes :

[1] REYNAUD Alain, Société, espace et justice : inégalités régionales et justice socio-spatiale, PUF, 1981, 263 p., 21e & 22a.
[2] SEJ, 25b

3.C.3. Patrice BRACONNIER

3.C.3. Confrontation avec la démarche de la thèse de Patrice Braconnier

La thèse d’économie de Patrice Braconnier [1] propose un processus de connaissance et d’action pour une gouvernance dans le sens du développement territorial. L’approche se réfère autant à l’économie (Amartya Sen, 2000) qu’à la psychanalyse à travers l’œuvre de Carl Gustav Jung.

Cette approche est originale par l’insistance portée sur le diagnostic [2], avec une ouverture à la prospective basée sur l’intuition [3] et une approche de la coordination [4]. En effet, il s’agit d’une thèse de « recherche action » portant sur le cas d’une jeune organisation, le C.C.R.E.F.P. (Comité de Coordination Régional de l’Emploi et de la Formation Professionnelle). La thèse analyse l’état de la démarche en 2005, et formule des propositions pour l’avenir. La prospective en est donc à ses débuts, et pour la phase de coordination « Le CCREFP de Poitou-Charente ne s’est pas encore engagé dans cette phase » [5].

L’objet de la mise en œuvre relève du schéma du processus présenté. sont les alliances d’entreprises et les engagements personnels pour favoriser ces alliances. D’autre part, il y est précisé que les valeurs sont incluses dans toutes les phases. Ainsi, concertation et diagnostic seraient la réalité des interactions. L’intérêt de souligner le diagnostic réside dans le fait qu’il existe dans toutes les méthodologies professionnelles relatives aux problèmes de transport, d’analyse territoriale, de programmation d’équipements, de chartes d’environnement, d’agenda 21 … Le diagnostic est donc incontournable en milieu professionnel. Le « processus de connaissance et d’action pour une gouvernance dans le sens du développement territorial » (titre de la thèse) est le suivant :

  • 1/ Concertation (concertation sur la base du quadripartisme)
  • 2/ Diagnostic (Élaboration d’un diagnostic partagé sur la situation régionale)
  • 3/ Prospective (Réflexion prospective sur l’avenir du territoire régional
  • 4/ Coordination (Coordination des politiques d’emploi et professionnelles).

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Figure 3‑10 : Schéma du processus de connaissance et d’action. P.Braconnier (2005) p.246

La prospective correspond à la deuxième réalité. Elle réclame un « saut de l’imagination ». Ce saut est plus facile hors d’une institution administrative. Sur la figure 3.10, on remarque qu’il n’y a pas de flèche entre 1 et 3, alors que ce lien figure explicitement dans le schéma de base. Cela peut expliquer et renforcer la difficulté de développer la créativité dans l’exercice de prospective : le diagnostic peut étouffer les intuitions. La présente thèse insiste sur l’importance du lien direct entre les acteurs et la prospective, sans détour obligatoire par le diagnostic qui ne peut jamais être partial s‘il s’agit de préparer l’avenir. Le passage par les valeurs et l’intuition est un passage incontournable, mais il convient de ne pas surestimer le diagnostic. Un changement de point de vue peut infléchir les données du diagnostic (voir le cas du diagnostic de la gare de Vandières entre Nancy et Metz selon l’adoption du point de vue parisien ou européen sur l’axe Londres-Munich).

Le processus n’est pas circulaire, tant dans la thèse de P. Braconnier que dans le schéma de base (flèche inversée entre 1 et 4). Cela montre qu’il s’agit d’un processus d’unification en train de se faire. C’est la concrescence de la pensée organique que nous détaillerons en partie II.

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Figure 3‑11 : Schéma du questionnement de l’expérience géographique à travers l’approche de Patrice Braconnier, 2005.

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Notes :

[1] Patrice Braconnier, Un processus de connaissance et d’action pour une gouvernance dans le sens du développement territorial : application au C.C.R.E.F.P. en Poitou Charente, sous la direction de Bernard Guesnier, Université de Poitiers, 2005.
[2] Braconnier, p.284 à 302
[3] Braconnier, p. 302 à 312
[4] Braconnier, p.312 & applications p 328, 331, 334, 336, 338, 342, 345
[5] Braconnier, p.312