Chapitre 3: L’expérience

〈75〉 Chapitre 3 : L’expérience au niveau de l’homme, de la société et des territoires

L’objet de la présente thèse est d’essayer de déchiffrer l’expérience géographique avec l’aide de catégories adéquates, et de proposer des applications. Ces catégories se trouvent en partie dans les approches géographiques actuelles (Guy Di Méo, Vidal-Rojas, Michel Lussault, …) et également dans des approches inédites à proposer à partir de nouveaux fondements philosophiques non dualistes, en particulier la pensée organique de Whitehead. L’intérêt de Whitehead est de prendre sa source dans la culture européenne : Platon (Timée) et Aristote puis chez les philosophes des Lumières. Ces catégories déjà déchiffrées et en partie nouvelles sont à reconnaître dans la pratique quotidienne pour apprendre à mieux nommer l’expérience. Il s’agit de montrer l’applicabilité de ces catégories dans le domaine de la géographie prospective (et non plus seulement descriptive). Les réseaux sociaux d’échange d’expérience (université comprise à travers certaines thèses) contribuent à la prospective, avec des raisons que nous avons commencé à entrevoir dans le chapitre précédent. Ces réseaux illustrent la dimension de l’homme, de la société et du territoire. Toutes les approches nouvelles insistent sur le croisement de ces trois dimensions [1].

Voici le schéma d’emboîtement de ces trois dimensions, se terminant par une quatrième : le continuum extensif, ou cosmos:

Capture d’écran 2016-04-16 à 07.17.56

Figure 3‑1 : Le schéma d’emboîtement des activités humaines, sociétales et naturelles.

〈76〉 Ce schéma existe déjà dans les travaux de René Passet L’économique et le vivant  [2] (1979). En pratique (voir partie I, chap.1), chaque personne et chaque groupe se crée au fil du temps un langage qu’il met en œuvre consciemment ou inconsciemment dans son action, ses écrits, ses échanges (P. Calame, 2003). Chaque approche est sous-tendue par un certain nombre de présupposés, ces présupposés s’appuient sur une philosophie implicite, et chaque philosophie est sous-tendue par une cosmologie. C’est l’explicitation de ce qui est présupposé en pratique dans l’expérience ordinaire et dans les exemples de la partie I qui nous montrera l’intérêt de la philosophie organique. Cette dernière est aussi une cosmologie au sens du DHLF d’Alain Rey, c’est à dire une « théorie générale de l’espace-temps »[3]. La contribution de la pensée organique à la géographie est définie en partie II.

Avant d’aborder l’expérience géographique, nous avons rappelé au chapitre 1 l’importance de situer cette expérience par rapport à la pratique de la dynamique de changement dans le réseau des fondations et associations professionnelles dont l’activité est basée sur l’échange d’expérience et sa capitalisation, et sur les approches géographiques déjà existantes qui nomment l’expérience comme base de travail.

Avant la discussion géographico-philosophique développée en partie II de ces présupposés, il faut ici confronter un certain nombre d’approches au schéma de questionnement, pour en tester la validité. Chaque confrontation est un dialogue en vue de le faire évoluer, à partir de l’expérience concrète considérée. Inversement, l’analyse théorique de l’expérience permet de mettre des mots sur le vécu de terrain, « l’expérience géographique ».

Il pourrait bien sûr être proposé l’analyse d’autres démarches toutes aussi intéressantes. Ici sont choisies celles qui sont les plus proches de notre histoire, de notre expérience personnelle quotidienne, de nos méditations et échanges lors de rencontres et de l’expérience professionnelle de 〈77〉 transformation des territoires. La méthode étant mise en place, chacun pourra confronter le schéma de questionnement avec ses proches références, réseaux, et auteurs. Le choix s’est fait en fonction des trois dimensions d’activité : l’homme (CNFPT/AITF, PRH), la société (HFC, FPH) et le territoire (BT, AIU, développement local avec B.Vachon, …). Ces trois dimensions sont l’enjeu d’une triple réconciliation * à favoriser : l’homme avec lui-même, avec la société sur son territoire, et les sociétés entre elles avec la nature (P. Calame).

Toutes les démarches décrites ont en commun une volonté d’évolution, de création. Il est cherché un changement concret. Cette recherche d’un « neuf » (ou de la nouveauté -signe d’avancée créatrice- en langage plus philosophique) est le fil rouge de chacune des approches. On pourra observer progressivement la convergence des analyses, dans des contextes à chaque fois différents, des mots différents, mais avec cette préoccupation commune : comment favoriser les changements vers un avenir souhaitable.

Les auteurs ou groupes étudiés, seront :

Pour la dimension de l’homme :

  • L’outil pédagogique de Personnalité et Relations Humaines (PRH).

Pour la dimension de la société :

  • L’outil pédagogique de l’école de citoyenneté « Hommes Femmes dans la Cité » (HFC).
  • La démarche du développement local, à travers la synthèse proposée par Bernard Vachon.
  • Les propositions pour le territoire de la Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH, Paris).

Pour la dimension des territoires :

  • La démarche de la thèse de William Twitchett, sous la direction de Paul Claval (1995) et de l’association Terre&Cité.
  • La démarche de l’AIU à son 43ème congrès de septembre 2007.
  • La démarche de la thèse de Patrice Braconnier, sous la direction de M-B. Guesnier (2005).
  • La démarche de Guy Di Méo & Pascal Buléon, à la suite d’Alain Reynaud.
  • La démarche de Rodrigo Vidal-Rojas, à travers la notion de fragmentation de la ville.
  • 〈78〉 La démarche de Jacques de Courson.
  • La démarche de Philippe Destatte & de M.C. Malhomme.
  • La démarche de Pierre Sansot.
  • La démarche d’Eric Dardel
  • La démarche d’Augustin Berque
  • La démarche de l’AITF
  • Autres

_____________________________________________________
Notes :

[1] Voir par exemple G. Wackermann 2005, p.14 e à 15c et JP Husson, ibid p.233c
[2] René Passet L’économique et le vivant, Payot, 1979. Voir aussi la thèse de Wendy Sarkissian (www.sarkissian.com.au), Keynotespeakers au 43ème Congrè de l’AIU (Association Internationales des Urbanistes) le jeudi 20 septembre 2007. Elle propose l’emboitement du cercle de l’économie, dans le cercle de la société dans le cercle de l’environnement, comme René Passet. Elle s’appuie sur l’économiste Bill Rees pour préciser : trois cercles entrecroisés « Communities / Cultures/ Economies » se trouvent dans le cercle « Social sustainability trough engagement », lui-même dans le cercle de la nature. D’autres démarches existent chez les hollandais et les allemands, pour faire également apparaître la culture, et redonner à l’économie une place normale et non hypertrophiée.
[3] Alain REY, DHLF, Éditions quadrige, p.908.