6.A. Quelle géographie ?

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6.A. De quelle géographie parler ?

La géographie est l’étude de la disposition des objets naturels, matériels et des hommes dans l’espace. Pourquoi ceci est-il à tel emplacement ? Comment se développe tel ou tel phénomène dans l’espace ?

L’image de la géographie reste marquée par une démarche empirique apprise sur les bancs de l’école tout au long du 20ème siècle. Cette démarche s’appuyait initialement sur « l’école française de géographie » fondée par Vidal de la Blache.

De cette façon empirique est née l’étude de la localisation des « objets géographiques » dans l’espace, parfois à l’aide des outils mathématiques (démarches de Thérèse Saint-Julien et Denise Pumain [4]). Face aux critiques relatives à l’aspect inhabituel de cette approche, la réponse fût positive. Il est possible de faire des équations avec les hommes, les commerces, les coûts du foncier, les échanges de marchandises. Il semble même qu’à partir des mathématiques des ensembles flous, il soit possible de transformer des données qualitatives en données quantitatives afin de déterminer des typologies de territoires. Mais reconnaissons que l’on s’y sent à l’étroit.

Une autre géographie qualifiée d’humaniste développe naturelle­ment et sans explicitation théorique les valeurs humaines dans les méthodes employées. Ces géographes (par exemple Jacqueline Beaujeu-Garnier, 1980 [5], Jean Brunhes, 1946, …) combinent tout naturellement les valeurs et la recherche du mieux être de l’homme comme une évidence dans l’analyse des phénomènes spatiaux, naturels, culturels, sociaux ou économiques. Elisée Reclus, précurseur de la géographie, le faisait 〈173〉 déjà instinctivement à la fin du 19ème siècle : il analysait autant les phénomènes naturels que politiques, économiques et sociaux. Anarchiste, il avait exprimé dans ses nombreuses publications pour le grand public parues aux éditions Hachette, l’obligation morale de compenser son appartenance politique par la qualité de sa documentation et de ses analyses.

Toute une géographie s’est également développée vers 1970 autour d’Armand Frémont avec la notion d’espace vécu, puis autour d’Alain Reynaud avec la notion de justice socio-spatiale (1984) [6]. Cette notion de justice socio-spatiale a été reprise et transformée par Guy Di Méo et Pascal Buléon à travers des publications qui s’étalent entre 1985 et ce jour. Guy Di Méo cherche à rendre compte à la fois de l’espace vécu (Géographie de la fête, Les territoires du quotidien), de l’expérience humaine, et de l’inscription de cette expérience dans l’espace. Chacun de ses ouvrages comporte un protocole philosophique préalable important où sont précisées les bases philosophiques de la démarche. Elles sont résumées dans Les territoires du quotidien (1996, pages 36 à 42) par une addition de trois corpus :

  • Le matérialisme dialectique (Marx)
  • Le renfort au corpus précédent par le structuralisme « génétique » ou « constructiviste » (Bourdieu Pierre, Piaget)
  • La phénoménologie et l’humanisme : « l’inévitable détour » (Sartre, Husserl, Merleau-Ponty).

Les derniers travaux de Guy Di Méo et Pascal Buléon se concentrent tous sur l’approche en terme de « dialectique du matériel et de l’idéel » (voir Maurice Godelier, dans son ouvrage de 1984 L’idéel et le matériel: Pensées, économies et sociétés). Le dernier ouvrage de référence de Guy Di Méo, qui fait l’objet de toute l’analyse qui suit, est L’espace social : lecture géographique des sociétés, Armand Colin, 2005. 〈174〉

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Notes :

[1] Ce thème a fait l’objet d’une communication au Colloque des Chromatiques whiteheadiennes d’Avignon, les 10-12 Avril 2007.[2] Le texte a été écrit en revenant du massif du Mont Blanc où nous avons gravi deux sommets de plus de 3200m en 2 jours au dessus du glacier de Tré la Tête, près de Chamonix.
[3] «Spéculative philosophy as a généralized mathematics » (Publication début 2008 dans l’annuaire des Chromatiques whiteheadiennes).
[4] Les interactions spatiales, Denise Pumain, Thérèse Saint-Julien, Armand Colin, Paris 2001, 191 pages.
[5] Beaujeau-Garnier Jacqueline, Géographie urbaine, 5ème édition, Armand-Colin, 1980, 1997.
[6] Alain Reynaud, Société, Espace et Justice, PUF, 1984. Voir aussi Analyse Régionale : application au modèle de centre et de périphérie, UFR de Reims, 1988.