9.A. Les faits de la nature

〈272〉 (…)

9.A. Caractérisation des faits de la nature présents sur tous les territoires : les actualisations. Introduction aux catégories d’existence.

Les faits de la nature sont les actualisations. D’autres études ne citant pas Whitehead ont la même approche des faits de la nature, qu’ils nomment aussi actualisation, par exemple celle de Raymond Ruyer, qui fut professeur de l’université de Nancy [1].

Voici le classement que fait Whitehead des différents types de faits. Cette liste est donnée en début de Procès et Réalité, p.22 (p.73-74) : 〈272〉 

FAITS Dénomination technique des catégories d’existence (CX) Symbole
abrégé
Réalités Dernières ou Res Verae Les entités actuelles (ou Occasions Actuelles) CX1
Faits Concrets de Relationalité Les préhensions CX2
États de Fait Publics (Faits manifestes) Les nexus CX3
États de fait Privés (Faits intimes) Les formes subjectives CX4
Purs Potentiels pour la Détermination Spécifique du Fait, ou Formes de Définitude (Pures possibilités pour le fait d’être déterminé spécifiquement, ou Formes de définité) Les objets éternels CX5
États de Fait en Détermination Potentielle ou Potentiels impurs pour la Détermination Spécifique des États de Fait, ou Théories (Faits potentiellement déterminés ou Possibilités impures pour le fait d’être déterminés spécifiquement) Les propositions CX6
Pures Disjonctions d’Entités Diverse (Disjonction pure d’entités diverses) Les multiplicités CX7
Modes de Synthèse des Entités en une unique Préhension , ou Entités Configurées (Modes de synthèse des entités dans une préhension, ou Entités modélisées). Les contrastes CX8

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Figure 9‑1 : Tableau des faits de la nature (qui sont des actualisations). Source : Procès et réalité, p.22 (p.73-74), trad. H.Vaillant -voir annexe 08- (entre parenthèse D. Janicaud).

L’expérience (géographique) de la transformation des territoires (prospective ordinaire) met en évidence la réalité des faits concrets et des formes de définité des faits. Ces faits concrets ne sont ni purement matériels ni purement idéels au sens des présuppositions substantialistes classique :

  • d’un côté une matière inerte et sans spontanéité,
  • de l’autre côté des idées étrangères au monde extérieur, qui seraient des « actualités vides ».

Ainsi, « La théorie des préhensions entend protester contre la bifurcation de la nature. Et, qui plus est, elle proteste contre la bifurcation des actualisations ». [2] L’approche organique est une réponse à la quête de Guy Di Méo et Pascal Buléon visant au dépassement de la dichotomie du 〈273〉 matériel et de l’idéel. Le tableau des catégories d’existence peut être présenté en utilisant le schéma de concrescence de la manière suivante :

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Figure 9‑2 : Schéma des catégories d’existence . Source : PR.22 (p.73-74)

Faisons le rapprochement avec le schéma général de la géographie prospective :

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Figure 9‑3 : Schéma de l’approche de Philippe Destatte (2001)

〈274〉 Ce schéma est celui qui a été annoncé au chapitre 3. On observe que la prise en compte des observations et critiques retranscrites par Philippe Destatte permet un rapprochement d’autant plus pertinent avec le schéma des catégories d’existence. On observe que les (ap)préhensions prises en compte par Philippe Destatte [3] sont à la fois d’ordre « externe universel et particulier », et d’ordre « intérieur particulier » comme les désirs, ce qui correspond parfaitement à l’élargissement organique de la notion de perception. On constate que l’approche conjuguée prospective/évaluation ne présente plus d’oppositions/dichotomies, mais conjuguent les polarités interne/externe, passé/avenir, universel/particulier. En un sens, la géographie prospective, par le chemin de la pratique de terrain arrive à un résultat où l’on retrouve les points principaux de la pensée organique. La géographie prospective propose de façon naturelle une dialectique du matériel et de l’idéel, déclinée dans les listes d’opposés cités. Guy Di Méo & Pascal Buléon disent , rappelons le: « Une claire conscience de la dialectique du matériel et de l’idéel porte le germe de l’invention d’une nouvelle culture qui ne fasse pas violence au milieu naturel, qui pousse l’humanité à maîtriser les processus techniques de la transformation de ce milieu » [4]. Le croisement de la pensée organique avec la géographie prospective (mais pas uniquement) ne permet-il pas d’avancer vers cette nouvelle culture ?

L’apport de la pensée organique à la géographie prospective est ici double : il permet de détailler techniquement les phases internes de la concrescence/créativité et de donner un statut ontologique aux réalités décrites de phases à phases :

  • (ap)préhensions=histoire&désirs (CX2),
  • prospective=potentialités (CX5),
  • projet=proposition (CX6)

Les nombreux liens tissés entre la géographie prospective et les autres approches géographiques permettent de proposer une généralisation de cette conclusion. 〈275〉 

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Notes :

[1] Voit notamment de Raymond Ruyer son ouvrage Eléments de psycho-biologie, PUF, 1946, notamment tout le chapitre IV intitulé « Problèmes de l’actualisation », pages 102 à 132. Il conjugue l’actuel et le potentiel, avec des accents tout whiteheadiens …
[2] PR 289d
[3] Le schéma lui-même a été préparé par Eugène Mommen Voir Destattes, 2002 p.345.
[4] Di Méo & Buléon, 2005, p.120, déjà cité au chapitre 6.B. page 174.