2.F. La pensée organique

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2.F.  La pensée organique est une alternative à la pensée substantialiste .

Pour A.N. Whitehead (A.N.W.) la réalité ultime est faite d’entités actuelles [1]. Il exprime clairement dès l’expression de son schème organique au début de Procès et réalité : « Par leur nature, les entités sont une « pluralité » disjonctive dans le procès de passage à une unité conjonctive. Cette Catégorie de l’Ultime remplace la catégorie aristotélicienne de « substance première » [2]. Plus exactement, la notion de substance est remplacée par la notion de société d’entités actuelles, ce que confirme la thèse de Michel Weber [3].

Ainsi, la « production d’un nouvel être ensemble * » est l’ultime notion représentée par le terme de « concrescence ». Ces notions ultimes de production de nouveauté et d’« être-ensemble concret » sont inexplicables aussi bien en fonction d’universaux plus élevés qu’en fonction des composants participants à la concrescence. L’analyse des composants s’opère à partir de la concrescence, et par déduction abstraite. La seule instance d’appel est l’intuition.

Il est intéressant d’observer que les références culturelles d’A.N.W. sont quasiment les mêmes que le DGES. A savoir :Aristote, Berkeley, Descartes, Newton, Leibniz.

A la rubrique empirisme : (cat.4, 13 ref. CR, p.308) sont cités Hume et Locke. Il est expliqué que l’empirisme réduit l’expérience aux données sensorielles, et contient « une confusion entre expérience et expérimentation, entre sensation et observation, entre fait et phénomène, etc … ». (p.309). Notons ici tout de suite qu’A.N.W. a analysé soigneusement toutes ces difficultés et a 〈49〉 proposé un remaniement de l’approche empirique. C’est pourquoi son empirisme est nommé « empirisme radical » (ou réalisme radical), à l’instar de celui de William James.

On comprend ainsi mieux le passage à réaliser entre une approche à partir de la substance d’Aristote et une approche à partir de la créativité de la pensée organique, principe ultime par lequel « la pluralité, qui est l’univers pris en disjonction, devient occasion actuelle unique, qui est l’univers pris en conjonction » [4]. Unité et diversité sont ainsi saisis de façon simultanée. Le contraste des deux, ensemble, ouvrent à la nouveauté et à l’avancée créatrice.

Les notions du DGES qui se rapprocheraient des notions de base de la pensée organique sont les suivantes : processus (cat.) sans entrée, organisation (absence du mot organisme, alors que la rubrique vivant renvoie à la notion d’organisme, et à l’importance du corps), flux (cat.1), milieu, acteur ; actant, agencement * (faire le lien aux « lieux de tension »), événement, réseau, autoorganisation, système, symbolique, forme (un lien peut être tracé aux objets éternels *).

Presque à l’issue de cette enquête, à la lecture du résumé de la notion de réflexivité (cat.4, 14 réf. ML, p.775), à savoir « Activité de retour sur soi d’un individu (ou/et d’un groupe) sur ce qu’il est et ce qu’il fait. Par extension, démarche de connaissance qui porte sur l’action cognitive et ses acteurs » [5], il est apparu que cette notion remplace dans le DGES la notion d’expérience. Le premier paragraphe renforce cette idée ; Michel Lussault l’exprime ainsi : « Déjà apparaît le champ premier d’application de la notion : la personne, et ce en quoi consiste toute démarche réflexive – le retour compréhensif d’un sujet sur lui-même ». Il devient d’autant plus étonnant qu’il n’existe ni rubrique ni index à « personne », et pas de rubrique sujet. La réflexivité, comme « l’objectivation du sujet objectivant » [6] cité à propos de Pierre Bourdieu, pourrait être rapprochée de la notion de sujet-superjet de Whitehead. La connaissance de soi procèderait par appréhension de l’intérieur (p.495 à individu) ou par saisie de soi par l’intérieur [7]. C’est bien l’usage du sens C du VTCP d’André Lalande pour expérience. Mais ici l’usage du terme de 〈50〉 réflexivité semble donner une place prépondérante à la conscience, alors que l’expérience peut ne pas être consciente : la pensée organique généralise l’expérience jusqu’aux entités ultimes de la réalité, les entités actuelles, ou occasions d’expérience. Un exemple d’expérience ordinaire non consciente est notre propre corps : il fonctionne sans que l’on y prête attention : on n’y fait attention que lorsqu’ « il fait mal », c’est à dire quand il dysfonctionne. L’expérience peut se trouver dans toutes les unités de la nature à des degrés divers, ce qui n’est pas le cas de la réflexivité, qui est un stade plus avancé d’évolution, et limite donc la notion à l’humain. C’est l’unité d’approche entre la nature, la société et ses territoires qui est ainsi perdue de vue.

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Notes :

[1] voir ci-dessus chapitre 2D page 40. L’entité actuelle est appelée aussi occasion actuelle d’expérience ou en référence à William James goutte d’expérience.
[2] PR 22
[3] Dialectique de l’intuition chez A.N. Whitehead, page 187f « le principal résultat de la philosophie organique est la destruction de l’ancien concept de substance et son remplacement par le concept de sociétés d’entités actuelles ».
[4] PR 21e
[5] p.775
[6] p.776
[7] p.775 à « réflexivité »