3.C.8-9. P. Sansot & E. Dardel

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3.C.8. Confrontation avec la démarche de Pierre Sansot :

Pierre Sansot, né le 9 juin 1928 et décédé le 6 mai 2005 à Grenoble, était un philosophe, sociologue et écrivain français. Durant trente années (1963 à 1993), il a enseigné la philosophie, puis l’anthropologie à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, puis de 1993 à 1998 à l’Université Paul Valéry de Montpellier.

La démarche de Pierre Sansot dans Poétique de la ville [1] est exemplaire à plusieurs titres : cet urbaniste/philosophe a tout au long de sa carrière bien explicité le lien entre sa démarche d’urbaniste/géographe (de « topologue urbain [2] ») et de philosophe ; d’autre part, tout son travail témoigne d’un dépassement de « la dichotomie entre le matériel et l’idéel » [3], par l’exploration systématique du lien réciproque entre l’objet et le sujet, au point de parler de la ville comme d’un « quasi-personnage » [4], dans une notion très proche de celle d’actant de Michel Lussault [5].

Le schéma ci-après indique les notions prises en compte par Pierre Sansot, en suivant les étapes du schéma de questionnement. 〈106〉

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Figure 3‑16 : Schéma du questionnement de l’expérience géographique à travers l’approche de Pierre Sansot dans Poétique de la ville, Payot, 2004.

C.C.9. Confrontation avec la démarche d’Eric Dardel

Éric Dardel est un géographe français, né en 1899 et décédé en 1967. Spécialiste de la pêche, il mène une carrière de professeur d’histoire-géographie puis de proviseur de lycée. C’est cependant par son livre L’homme et la terre que la communauté des géographes le redécouvre, cet ouvrage étant passé inaperçu lors de sa parution en 1952. Éric Dardel s’intéresse de manière sensible aux relations entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le rapport qu’entretient chaque homme avec les lieux et l’espace géographiques, sa façon d’habiter, selon son concept de « géographicité », qui est le « moyen par lequel l’homme réalise son existence, en tant que la Terre est une possibilité essentielle de son destin » [6]. L’approche d’Eric Dardel montre la participation de l’homme à la substance des choses [7] : les 23 occurrences du terme montrent une approche bien loin d’une 〈107〉 substance statique et sans spontanéité : sa substance est relationnelle, et liée à une expérience intime de la Terre. L’expérience géographique élémentaire est celle de la « réalité-expérience », c’est à dire « une certaine manière pour nous d’être envahi par la terre, la mer, la distance, d’être dominé par la montagne, conduit par la direction, actualisé par la paysage comme présence de la Terre » [8]. L’espace s’ouvre ainsi sur sa perspective temporelle, ce qui rejoint « l’intuition spéculative de Whitehead, pour qui l’espace lui-même est relation d’évènements », ainsi que la vision du poète. L’homme est inséparable de son milieu (il cite Merleau-Ponty), et la géographie s’adresse « à l’homme lui-même comme personne et sujet » [9].

La référence à l’événement chez Whitehead renvoie à la première élaboration métaphysique de La science et le monde moderne (1925), le lien à l’entité actuelle de Procès et réalité étant établi par Lewis Ford [10] et par Whitehead lui même en PR 73 : il définit l’événement par « un nexus d’occasions actuelles, interconnectées selon une figure déterminé dans un quantum extensif unique. Une occasion actuelle est le cas limite d’un évènement ne comportant qu’un seul membre ». La notion de nexus est développée dans la partie II. L’expérience de l’homme à la Terre est « source qui nous fait être » (p.59), « fulguration de l’être » (p.61) : elle manifeste notre historicité fondamentale. Elle est une base pour se poser et se reposer, c’est à dire habiter. Ce sera en partie III le critère n01 de la région conviviale.

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Notes :

[1] Pierre Sansot, Poétique de la ville, PPB n°512, Payot, Paris, 204 (1996), 626 p.
[2] Sansot, 2004, p.64
[3] Di Méo & Buléon, 2005
[4] Sansot, 2004, PP.19, 368, 576.
[5] Levy & Lussault, DGES, 2003, pp.38-39
[6] DARDEL Éric, L’homme et la terre, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1990, 198 p. , 1ère éd. PUF, Paris, 1952, citation page 124.
[7] Un texte complémentaire précise toutes les occurrences de la notion de substance à l’adresse suivante : Annexes\Annexe00b-Textes-Citations\Dardel-Eric-Mentions-de-la-Substance.doc
[8] Ibid, p.54.
[9] Ibid, p.54.
[10] Lewis S. Ford, Emergence de la Métaphysique de W., 1925-1929. Selon Lewis Ford, c’est prise en compte du caractère atomique de la temporalité (“l’atomicité temporelle”) qui a permis à Whitehead d’aboutir à la conception des entités actuelles. “Il y a un devenir de la continuité, mais pas de continuité du devenir” explique Whitehead.