Archives par mot-clé : Passage

14.B. Régions environnantes

14.B.  Expression du « poids » des régions environnantes

14.B. 1. Les régions fortes environnantes

Une région n’émerge pas de façon isolée, mais en relation avec les autres régions qui l’environnent. Seul le rapport à d’autres centres de référence forts permet de défendre au mieux les périmètres possibles. Force est de constater que les recherches actuelles les plus diverses font référence tantôt à des villes, tantôt à des agglomérations, tantôt à des régions, dans une grande confusion d’échelle, de « poids », et d’importance relatives des entités territoriales citées.

Il est tenté ici de préciser d’abord les régions fortes environnantes qui permettent de situer la région « Entre Vosges et Ardennes », en abordant la question de ses marges. Il ne s’agit pas « d’avoir la taille maximum », il s’agit de saisir les enjeux des territoires. Les marges sont lieux de passage, de transition. Paradoxalement, elles peuvent se développer et jouer pleinement leur rôle si leur appartenance à tel ou tel entité régionale est claire. Nommer le « dedans » et le « dehors » d’un territoire n’est pas les mettre en concurrence, voire en opposition. C’est reconnaître que chaque territoire fonctionne avec sa logique propre, sa politique, ses priorités, et son mode de gouvernance. Les territoires intermédiaires se positionnent (démarche de « bottom up », détermination des habitants par eux-mêmes) mais choisissent une appartenance de base (Charleville-Mézières, Strasbourg, Mulhouse, …) sans être laissé « à côté » de la réflexion.

L’identification des régions s’est faite lors d’un atelier de l’association Terre & Cité en Août 2002. La méthode d’analyse et la présentation en termes de potentialité pure, hybride et réelle sont propres à la présente thèse. D’autre part, la présente thèse met en mots une grande part de pratique professionnelle exprimée de façon graphique, mais non encore formulée explicitement. Le graphisme est un langage complet (J. Bertin, 1999 [1], P. Gonod, 2005) qui ne se laisse pas facilement mettre en mots, surtout lorsque la pensée par concepts intuitifs prime sur l’usage ordinaire des mots. Une grande part de la difficulté de lecture des travaux géographiques comme ceux d’Alain Reynaud ou de William Twitchett tient à la difficulté du passage entre la pensée, le texte, le graphisme et la compréhension des faits territoriaux.

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.47.06

Figure 14‑2 : Les régions déjà fortement constituées autour de la région « Entre Vosges et Ardennes » (fond de carte du SESGAR [2] Lorraine)

Les trois sous-chapitres qui suivent peuvent ressembler à un catalogue : il n’en est rien. En effet, l’énoncé de chaque sous-chapitre est l’expression d’une région conviviale de potentialité réelle (Belgique, Nordrhein-Westphalen, Baden-Wurttemberg, Suisse), de potentialité hybride (Moselle-Main, Bourgogne) et de potentialité pure (Seine, Nord-Picardie). Chaque région se définit en relation aux régions voisines, et l’examen se fait en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre à partir de la Belgique. Certaines propositions ne se justifient que dans cette confrontation. L’intérêt de cette liste est aussi dans les régions qui n’y figurent pas. Par exemple, la Land Rheinland-Pfalz n’y apparaît plus : certaines entités tiennent compte des limites administratives et politiques existantes. Dans d’autres cas il est suggéré de tenir compte de certains débats en cours notamment en ce qui concerne SarrLorLux+ : dans cette vision le Land de Rheinland-Pfalz est soumis à l’attraction du Land d’Hessen au Nord et de la région « Entre Vosges et Ardennes » au sud. D’autre part, la région de Baden-Wurttemberg et la ville de Stuttgart disparaissent souvent des cartes françaises, alors que Paris ne manque jamais d’une mention, même lorsque la ville sort du cadre de la carte (la carte ci-dessus est une des rares à intégrer clairement Stuttgart, et la carte du MIATT présentée ci-après à la rubrique B.2.2. figure 14-12 page 455) : cela montre l’attention constante portée à la capitale française, et l’oubli fréquent des autres régions fortement constituées et de leurs centres de référence. L’attention est portée ici sur l’homme dans la cohérence de son espace d’appartenance ou de mieux-vivre ensemble et sur la pertinence écologique régionale, sans oublier aucune région. Ce regard circulaire et global autour de chaque région considérée est celui qui permettra d’énoncer une pré-esquisse de proposition globale pour la définition de régions conviviales en Europe au chapitre 15.B. Ce même regard est celui qui permettra de proposer une esquisse d’évaluation des potentialités en terme de régions conviviales de la planète. Ce sont autant de propositions citoyennes qui peuvent être portées dans un débat public pour susciter la créativité, sortir d’un sentiment de fatalité de la constitution de mégalopoles de plus en plus grandes et souvent peu respectueuses de la nature. Ces propositions portent une attention au territoire des quatre sociétés minérales, animales, végétales et humaines avant toute considération administrative ou politique coupée du réel. La démarche est éminemment politique au sens d’une politique de l’homme dans la nature qui tire sa légitimité de prendre en considération la vie quotidienne des habitants, leur interrelation avec les quatre sociétés précitées, et les interactions des sociétés entre elles. Les animaux, les arbres, les phénomènes climatiques, l’écoulement des eaux dans les bassins versants, les déplacements des hommes, l’organisation des services et des activités, … devancent les organisations administratives et politiques. Ces dernières ne tirent leur légitimité que de l’accompagnement du réel, qui est celui des sociétés concrètes et leur vie interne et externe. C’est à ce travail que servent les cercles de comparaison indicatifs, d’analyse, de comparaison avec d’autre régions, et de prospective. Ces analyses sont indispensables au développement des relations interrégionales, interagglomérations et internes aux agglomérations.

Le tableau des surfaces, populations et densités des régions fortement constituées, en tenant compte du projet de SLL+ et d’un projet européen global  (présenté Ch.15.B) est le suivant :

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.47.37

Figure 14‑3 : Tableau des surfaces et populations des régions fortement constituées autour de la région « Entre Vosges et Ardennes » (Source : SLL+ & Eurostat)

Les chiffres sont de la base de donnée Eurostat [3] à la date du 31/12/2006 pour les entités égales ou supérieures aux NUTS 2, et de l’INSEE 1999 pour les entités territoriales inférieures aux NUTS 2 [4]. Les chiffres spécifiques à la région « Entre Vosges et Ardennes » sont fournis par le rapport SLL+ de 2003.. Quelques chiffres manquant sont fournis par Wikipedia [5] et de Populationdata [6]. Tous les fichiers de base Excel ainsi que les résultats au format PDF sont fournis en annexe informatique. Le détail du calcul pour la France et les pays européens est donné au chapitre 15.A. Ce tableau illustre bien comment des entités régionales potentielles peuvent venir progressivement à l’existence [7]:

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.48.30

Figure 14‑4 : Passage de régions potentielles à des régions réelles

L’harmonisation européenne à travers le mécanisme des NUTS contribue à ce passage. Le schéma qui suit fait le lien avec les définitions de la partie II et du chapitre 13 de la partie III. Les huit régions autour d’« Entre Vosges et Ardennes » illustrent les trois cas de régions de potentialité pure, hybride et réelle.

14.B.1.1. Les régions conviviales de potentialité réelle : la région de Bruxelles ; la région de Nordrhein-Westphalen, la région du Baden-Wurtemberg :

Ces régions conviviales de potentialité réelle sont des propositions qui confirment le périmètre de régions existantes avec leur centre de référence éventuellement modifié pour permettre une meilleure réalisation des critères énoncés p. 397 (chap. 13.D.5.).

La région de Bruxelles  (centre de référence : Bruxelles)

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.49.37

Figure 14‑5 : Application du cercle de comparaison 32 000 km2 : région de Bruxelles (Cartographie P. Vaillant sur fond de plan réservé Michelin)

La Belgique est un pays membre de l’ONU malgré des divisions internes graves concernant la différence linguistique entre le Nord et le Sud. Malgré ces difficultés, on peut remarquer un phénomène de migration quotidienne extrêmement important vers la région de Bruxelles, faisant la démonstration d’une vie interrégionale très forte. On peut aussi constater une réalité de la modernisation importante de l’industrie pendant plusieurs décennies dans la partie Nord, et les grandes difficultés de modernisation de l’industrie dans la Wallonie. En contrepartie d’une centralisation des activités tertiaires sur la capitale, on constate une forte migration hebdomadaire sur la côte et dans les Ardennes. Ce pays a une longue tradition de collaboration avec les deux pays voisins, Pays-Bas et Luxembourg, dans le contexte des accords du Bénélux (ils étaient à la pointe de l’Europe pendant des années). Le nord du pays est fortement intégré dans le réseau fluvial, ferroviaire et autoroutière du Nord de l’Europe (travaux de la MIATT [8]).

Superficie : 30 328 km2 ; Population : 10 376 000 habitants ; Densité : 342 hab/km2.

La région de Nordrhein-Westphalen (centre de référence :Düsseldorf ) :

Il convient de noter que le choix de Düsseldorf plutôt que Köln a été décidé après la guerre par les alliés pour pouvoir contrôler l’industrie de la Ruhr, et éviter le réarmement de l’Allemagne. En effet, Köln pouvait prétendre bien avant Düsseldorf au rôle de pôle de référence.

Superficie : 34 100 km2 ; Population : 18 078 000 habitants ; densité : 530 hab/km2.

La région du Baden-Wurtemberg (centre de référence : Stuttgart) :

Ce land fait partie de l’Allemagne fédérale. Il semblerait que cette entité régionale ait été mise en question dans les années 1950, en ce qui concerne la séparation de la partie Baden, mais il fut voté par référendum la création d’une seule entité politico-territoriale [9]. Dans notre démarche, nous pouvons accueillir cette réalité du choix de la population, en considérant ce Land comme une région conviviale qui fonctionne : elle est à accepter en tant que telle. Nous n’avons pas de raison de la remettre en question .

Superficie : 35 752 km2 ; Population : 10 677 000 habitants ; Densité : 299 hab/km2

La région Suisse, avec pour centre de référence la ville de Bern :

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.50.13

Figure 14‑6 : Application du cercle de comparaison 32 000 km2 : région de Dijon et Bern (Cartographie P. Vaillant sur fond de plan réservé Michelin)

Cette région, la Suisse, pourrait devenir un modèle de confédération pour toute l’Union Européenne, de par la qualité de son système de fédération des cantons.

Superficie : 41 300 km2 ; Population : 7 524 000 habitants ; Densité : 182 hab/km2

14.B.1.2. Les régions conviviales de potentialité hybride : la région Moselle-Main, la région Bourgogne-Franche-Comté :

Les régions conviviales de potentialité hybride sont des propositions qui portent sur un regroupement de frontières existantes, avec un centre de référence existant ou non.

La région de Moselle-Main (centre de référence proposé : Wiesbaden)

La proposition pour la région conviviale de « Moselle-Main » est une réflexion menée sur les deux Lander Hessen et Rheinland-Pfalz. Cette entité territoriale inclut donc la métropole de Frankfurt, ainsi que les capitales des deux länder en question. Il se pourrait qu’historiquement un tel groupement soit impensable. Mais n’est-il pas important de reconnaître qu’il y a une polarisation de cet ensemble autour de 3 villes ? Il est à noter que le territoire de la Bavière arrive presque jusqu’à Frankfurt : c’est une raison qui contribue à la pertinence de regrouper à Wiesbaden l’ensemble des fonctions de gouvernement régional. En tant que pôle symbolique d’entité régionale (ou connurbation), on pourrait considérer que la ville de Wiesbaden en deviendrait le centre symbolique. Mainz apparaît handicapé par les pistes d’envol de l’aéroport, et pourrait être limité dans son développement. Par ailleurs, Frankfurt tient la clé de la Banque européenne et du principal aéroport allemand. Ce dernier accueille la Lufthansa.

La superficie actuelle des deux länder de Hessen & Rheinland-Pfalz est de 40 968 km2 pour 10 128 000 habitants (densité 247 hab/km2). La prise en compte du projet de SLL+ (2003) conduirait aux données suivantes :

Superficie : 32 178 km2 ; Population : 8 990 000km2 ; Densité : 279 hab/km2.

Ce passage n’est pas encore acquis et exigera probablement un débat citoyen et un référendum local pour confirmer l’adhésion à ce projet.

La région de Bourgogne-Franche-Comté (centre de référence proposé : Dijon)

La région d’étude comprend l’ensemble de la Franche-Comté, une partie de la Bourgogne ainsi que le département de Haute-Marne. Ce territoire mérite une étude approfondie et l’adoption de cette proposition serait tributaire d’une bonne collaboration entre Dijon et Besançon, les deux capitales actuelles. La revue géographique de l’Est y a consacré son numéro complet. Le projet de liaison Rhin-Rhône par voie fluviale concerne très particulièrement cette région. Pourrions-nous espérer que le débat pour la réalisation d’une telle infrastructure soit tenu à un échelon européen, pour permettre une prise de conscience sur l’envergure des enjeux, qui dépasse un débat d’écologie de conservation locale, ainsi que d’intérêts parisiens. En effet, dans un débat écologique au sens large, l’avantage du transport par voie d’eau est considérable : c’est le même contraste qu’entre le fer et la route. Cela montrerait que la France peut sortir des solutions jacobines de centralisation exclusive sur Paris.

Superficie : 46 568 km2 ; Population : 2 618 000 habitants ; Densité : 56 hab/km2.

14.B.1.3. Les régions de potentialité pure : la région « Seine » (centre de référence : Paris-Chessy) , la région Nord-Picardie (centre de référence : Arras).

Les régions de potentialité pure sont une proposition qui porte tant sur la frontière que sur le centre de référence.

La région Seine : Paris-Chessy : la région de Paris :

Un consensus [10] existe sur le fait que les limites actuelles de l’Ile de France soient trop petites. Mais faut-il aller jusqu’à regrouper 8 régions comme le propose la DATAR ? Nous pensons que non : la plupart des cartes du SESGAR, des MIATT sans l’écrire explicitement, et surtour sans en tirer toutes les conclusions, donnent pour limite notre proposition (voir plus loin). Cette région d’étude en tant que région conviviale concerne la région Ile de France ainsi que les parties prédominantes des départements traversés par les affluents de la Seine : l’Yonne, Troyes, Châlon en Champagne, Sud de l’Aisne , l’Oise, ainsi que Chartres.

Cette proposition respecte les découpages actuels des départements hormis les ajustements au Nord et au Sud. Même si la conscience de la nécessité d’élargir le périmètre de l’Ile de France augmente (Michel Lussault, dans le numéro spécial Démocraties [11] de la revue Urbanisme le souligne), cette proposition portée par des personnalités reconnues n’est pas encore en débat public. Elle est développée par Edmond Bonnefoy dans son intervention au Congrès de l’AIU/ISoCaRP à Anvers en septembre 2007 [12].

Superficie : 55 666 km2 ; Population : 14 210 000 habitants ; Densité : 255 hab/km2.

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.50.51

Figure 14‑7 : Application du cercle de comparaison 32 000 km2 : région de Paris (Cartographie P. Vaillant sur fond de plan réservé Michelin)

La région Nord-Picardie (centre de référence : Arras)

Cette région « Entre Amiens et Lille » a été étudiée par William Twitchett [13]. Les régions fortes limitrophes sont la Belgique (centre de référence : Bruxelles), la Normandie (centre de référence : Lisieux, « Entre Rouen et Caen ») et la région parisienne (Centre de référence : Paris-Chessy, le lieu d’interconnexion des TGV de France). Le plan qui suit montre qu’à 100 km de Bruxelles se trouve Lille. À 100 km de Rouen se trouvent Amiens et Paris. Le cercle indicatif de 100 km autour d’Amiens rencontre Lille, Boulogne, Rouen et Paris.

Il est ainsi très difficile de trouver un équilibre entre ces fortes régions constituées, et de trouver un pôle de référence (ou centre de référence) qui favorise un équilibre entre les différents ensembles régionaux. Un pôle de référence de synthèse, qui se trouve sur la médiatrice entre Lille et Amiens pourrait être Arras, suivant le schéma ci-dessus.

Superficie : 21 056 km2 ; Population : 4 785 000 habitants ; Densité : 227 hab/km2.

Capture d’écran 2016-04-17 à 22.51.17

Figure 14‑8 : Application du cercle de comparaison 32 000 km2 : région d’Arras (Cartographie P. Vaillant sur fond de plan réservé Michelin)

Après l’étude des régions fortes environnantes incontestables (quelle que soit leur constitution interne), il est maintenant étudié « l’espace en creux » que forment ces régions.

Le plan de présentation de la région « Entre Vosges et Ardennes » devra donc respecter ce plan, à chacune des trois échelles C1, C2, C3.

______________________________________________________
Notes :

[1] Jacques Bertin, Sémiologie Graphique. Les diagrammes, les réseaux, les cartes, Paris, La Haye, Mouton, Gauthier-Villars, 1967. 2e édition : 1973, 3e édition : 1999, EHESS, Paris
Pierre Gonod, « L’hypothèse générale de la prospective anthropologique », Colloque de Cerisy « Intelligence de la complexité », 23-30 Juin 2005, 47 p.. (texte placé en annexe 00b)
[2] SESGAR : Service d’Etude et Secrétariat Général aux Affaires Régionales, situé à Pont-à-Mousson, sur un site commun à l’EPL Lorraine (Établissement Public Foncier de Lorraine).
[3]Site internet : http://epp.eurostat.cec.eu.int/portal/page?_pageid=1996,45323734&_dad=portal&_schema=PORTAL&screen=welcomeref&open=/general/reg/reg_dem/reg_dempoar&language=fr&product=EU_MAIN_TREE&root=EU_MAIN_TREE&scrollto=68
[4] Nomenclature d’Unités Territoriales Statistiques élaborée par l’Union Européenne et dont les données sont disponibles sur le site d’Eurostat. Le fascicule de base utilisé dans la présente thèse est référencé KS-RA-07-020-FR-N , et est consultable sur l’annexe informatique à l’adresse suivante : 00_Annexes\Annexe11-Region-Sous-continent\D2-Europe\Europe-NUTS\NUTS1-NUTS2-NUTS3-CARTES_KS-RA-07-020-FR.pdf. Il donne les plans des NUTS 1, 2 et 3 à jour au 1er février 2007
[5] Site de Wikipedia, à la rubrique « Liste des régions de l’Union Européenne, à l’adresse suivante :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_r%C3%A9gions_de_l%27Union_europ%C3%A9enne.
[6] Voir la bibliographie des sites Internet en annexe.
[7] Voir les explications de la figure 11-7, en partie II, chapitre 11.B.1.
[8] La M.I.I.A.T. (Mission Interministérielle et Interrégionale d’Aménagement du Territoire) des pays du Nord Microsoft a réalisé en 2002 un fichier Powerpoint visible sur le site
musenor.poleuniv-lille-npdc.fr/n_telecharg/prospective/Pays_du_Nord.ppt. La page 7/11 montre le rayonnement de Bruxelles dans un rayon de 100 km environ. Il est placé en annexe00b du DVDrom joint.
[9] voir http://www.baden-wuerttemberg.de/fr/Notre_land/86237.html : « Le Bade-Wurtemberg est le seul land de la République fédérale d’Allemagne à s’être constitué par référendum. Le 16 décembre 1951, la majorité des citoyennes et citoyens du Wurtemberg-Bade, du Wurtemberg-Hohenzollern et du pays de Bade s’est en effet prononcée pour le regroupement de ces trois länder. La création du Bade-Wurtemberg le 25 avril 1952 a été le moteur d’une ascension sans précédent du nouvel État du sud-ouest. Theodor Heuss y voyait un « modèle des possibilités allemandes » »
[10] Dès 1974, Etienne Juillard propose l’aménagement d’une « vaste connurbation urbaine de 200km de rayon, pour créer des structures d’accueil dignes d’une capitale de l’an 2000 » dans son ouvrage intitulé La « région », contribution à une géographie générale des espaces régionaux, p. 230. Ceci est d’ailleurs d’autant plus étonnant qu’il propose « qu’un rayon de 100 km soit un maximum » pour une capitale régionale  (p.202, cité ci-avant). Ce maximum change-t-il vraiment pour une ville mondiale ? Nous pensons que non, car la référence reste le corps humain pour toutes les régions. La rapidité des transports peut amener à nuancer cette affirmation : cette rapidité est à analyser avec l’ensemble des autres contraintes urbaines (ruptures de charges, difficultés de circulations radiales, gestion du temps, …)
[11] Revue Urbanisme, n°spécial, Démocraties,
[12] Voir le texte de son intervention sur le site de l’AIU/ISoCaRP, placé également en annexe informatique à l’adresse suivante : Annexe04-Terre&Cite\TEXTES-Bonnefoy-Twitchett-PV_\Bonnefoy-Edmond-Hildebrandt_a-Francais.pdf
[13] Cette région a fait l’objet d’une intervention au Congrès de Gelsenkirchen. Le texte est sur le site www.tercitey.org.

12.A-B. Passages

Chapitre 12 : Passages de la société hypermoderne vers la société transmoderne.

Introduction

Ce chapitre est une conclusion à l’ensemble de la partie II. Il récapitule sous la notion de passage toutes les découvertes faites au fur et à mesure de l’interprétation de l’expérience en termes de procès (processus interne et externe).

Les chapitres qui précèdent ont montré comment le schème organique lie dans une seule approche les éléments dispersés de l’expérience, en créant ainsi des liens entre des disciplines traditionnellement cloisonnées. Tous ces liens ne sont possibles que parce qu’un certain nombre de passages sont réalisés :

  • Passage d’une pensée substantialiste à une pensée organique basée sur le procès.
  • Passage du dualisme à l’organicité (unité dialectique des opposés analysables).
  • Passage du principe subjectiviste de Descartes à un principe subjectiviste réformé.
  • Passage des Res Verae de Descartes aux entités actuelles
  • Passage des « impressions de sensations de Hume » aux deux modes principaux de perception (causalité efficiente et immédiateté présentationnelle), et aux (ap)préhensions (physiques et conceptuelles).
  • Passage des catégories de la pensée d’Aristote et de Kant aux catégories du sentir de Whitehead : « Kant remis sur ses pieds ».
  • Passage à un mode de pensée qui respecte les notions du noyau dur du sens commun (liberté, intensité, harmonie, …), ce qui conduit à une démarche réaliste (réalisme radical / empirisme radical), constructiviste trans-moderne (basé sur l’expérience, donc non-Kantien), personnaliste, dialectique. Ceci implique le passage d’une rationalité logico-mathématique (hypermoderne) à une rationalité qui inclut l’expérience.
  • Passage à un nouveau glossaire des mots du quotidien : temps, objets, espace, expérience, société …

12.A. La description des passages :

Le schème organique est la confiance que l’univers a un sens, et qu’il est cohérent et logique, c’est-à-dire appréhendable par la raison. La raison dont il s’agit est celle qui prend tous les faits en compte, sans exception, sachant qu’en définitive, il faut s’en remettre à l’expérience personnelle.

Les chapitres qui précèdent ont décrits un certain nombre de passages au niveau de l’homme, des sociétés, des territoires et du continuum extensif. Le tableau qui suit récapitule ces passages. Ils concernent toutes les disciplines, et trouveront des résonances et des applications dans chacune d’elle, comme la présente thèse essaie de la faire pour la géographie dans la partie III.

Ce vocabulaire est nouveau. Mais il présente un schème commun à toutes les spécialités. Ce schème définit une approche scientifique généraliste qui est « l’union de l’imagination et du sens commun, réfrénant les ardeurs des spécialistes tout en élargissant le champ de leur imagination ». Chaque spécialité se définit un vocabulaire souvent bien plus compliqué, dans chacune des spécialités, donc sans exigence de communication avec les « non-initiés » !. L’intérêt du schème organique est de faire appel à l’expérience ordinaire de chacun (critères de Crosby) pour permettre cette union de l’imagination et du sens commun pour toutes les approches disciplinaires. Le chapitre 7 a été consacré au déchiffrage de l’expérience ordinaire, sur les notions d’appréhension, de processus et de dynamique. Ce déchiffrage permet à la fois un mouvement d’une discipline vers une autre, et une relation de la discipline aux autres disciplines à partir de l’intérieur d’elle-même. Ce mouvement et cette relation impliquent les passages qui sont résumés dans le tableau ci-dessus. Ces passages concernent toutes les disciplines. Ils permettent de redéfinir l’économie, la sociologie à partir d’une anthropologie et d’une approche des sociétés qui fait appel à la science la plus en pointe, intégrant la relativité et la mécanique quantique.

NOTION HYPERMODERNE :
Passage de …
NOTION TRANSMODERNE :
… à …
Bifurcation. Concret mal placé
Actualités vides
Noyau dur du sens commun.
Principe ontologique : pas d’actualité vide.
Au niveau de l’homme :
Individu

Individualisation

– Définition processive de l’homme : « La vie d’un homme est un trajet historique d’occasions actuelles qui (…) s’entre-héritent » (PR 89d)
– Références qui exemplifient le procès: Carl Rodgers ; Personnalisme communautaire d’Emmanuel Mounier ; Individu social (Marx, Pomeroy) ; Jung.
(=personne dans sa dimension individuelle et communautaire)
– Perception limitée à la perception sensible

– Le terme « appréhension » est largement utilisé pour expliquer les notions (« appréhender la réalité », « appréhender une situation », …) mais n’est pas lui-même explicité (appel au sens commun intuitif et spontané -non utilisé comme explication-).

– Perception élargie à la perception non sensible (mémoire, anticipation, idées/concepts, …)
– Le terme (ap)préhension devient le terme technique préhension : ce terme technique explicite le sens commun, c’est-à-dire ce que chacun expérimente dans le quotidien.
– un lien peut être proposé avec la médiance d’Augustin Berque.
– La préhension est une notion du noyau dur du sens commun.
– La perception est limitée à la simple vision (PR 121b), ce qui conduit au scepticisme de Hume, qui a « réveillé Kant de son sommeil dogmatique », et qui est devenu la base de la science actuelle.
– Les entités actuelles du monde contemporain sont causalement indépendantes les unes des autres (PR 123).
– Le nexus contemporain perçu sur le mode de l’IP est le lieu présenté (PR 126b). Il se définit par une relation géométrique systématique au corps humain (PR 126f). C’est l’observation de la science avec les appareils de mesure. Cette relation systématique au corps est le lieu de tension. Il se distingue de l’unisson de devenir (ou durée) qui est liée aux événements actuels.
Ce mode de perception est appelé « mode de perception selon l’immédiateté présentationnelle (IP)».
Hume donne une excellente description de ce mode de perception, dont les caractéristiques sont relationnelles et géométriques. Dans ce mode, il n’y a effectivement pas de lien de causalité.
Mais ce mode ignore la perception selon de mode de l’efficacité causale (EF), qui seul rend compte de l’inférence (cône de Minkovski). Pourtant Hume le décrit très bien comme exception à son approche (la couleur bleue manquante).
La perception humaine pleinement éveillée est la combinaison des deux modes (IP+EC), nommée référence symbolique.
– Hume nie la répétition (PR 137 « Dans notre philosophie, il nous faut à coup sûr faire place aux deux idées opposées suivantes : toute entité actuelle persiste, chaque matin est un fait nouveau avec sa mesure de changement .
Ces aspects variés peuvent être résumés par l’énoncé suivant : l’expérience implique un devenir, ce devenir signifie que quelque chose devient, et ce qui devient implique la répétition transformée en une nouvelle immédiateté». (PR 136g-137a)
(Exemple de tissage de notions opposées)
« Je pense donc je suis » (base du principe subjectiviste) « Je préhende d’autres réalités actuelles, donc nous sommes » Griffin, RSS82, 2-1-6 note (principe subjectiviste réformé)
« Le monde actuel est mien » Whitehead, PR76
(voir chap.9 – X)
Mise en valeur de « la pensée claire et distincte » de Descartes La « pensée claire et distincte » n’est qu’une phase avancée du procès de concrescence, et non une phase primaire. Cette phase avancée suppose la conscience. Les sentirs physiques sont premiers et ne présupposent pas la conscience.
L’expérience ne figure plus dans les glossaires de géographie, malgré le travail d’Eric Dardel L’homme et la terre (1952), et Guy Di Meo dans Territoires du quotidien ( 1996). L’expérience est le cœur ultime de la réalité, sous le nom d’occasion actuelle d’expérience ou entité actuelle (la seule différence est que Dieu est une entité actuelle, mais pas une occasion actuelle d’expérience). Le nom imagé est goutte d’expérience, pour reprendre une expression de William James.
Spiritualité : Dieu externe Dieu interne qui procède par mode de persuasion.
Catégories de pensée d’Aristote et de Kant Catégories du sentir de Whitehead
Au niveau de la société :
Le terme de processus est utilisé comme explication faisant appel au sens commun, sans autre explicitation. Il est ainsi utilisé 354 fois dans le Dictionnaire de l’espace des sociétés, sans être une rubrique.
Le terme de processus est très utilisé également en géographie physique (Amat, Dorize, Le Cœur) et en géographie économique (Géneau de la Marlière, Staszak).
Il fait appel à l’évidence de l’expérience quotidienne ordinaire.
Le processus est au cœur de l’expérience. Il est appelés procès de devenir pour le distinguer d’un simple processus externe, et tenir compte des relations internes.
Un lien direct peut être établi avec la notion de procès de production de Marx (Pommeroy).
C’est une notion du noyau dur du sens commun.
Appel au sens commun (par exemple appréhension, processus), mais sans explicitation. Notions du noyau dur du sens commun (ce sont les notions que chacun présuppose en pratique même s’il le nie verbalement, comme la réalité du monde extérieur, la liberté, l’harmonie, les valeurs, …)
Société hypermoderne, basée sur l’individualisme méthodologique, et la notion de société limitée au vivant. Notion de société non limitée au vivant, et non limité au macroscopique (lien entre le microscopique et le macroscopique).

Société transmoderne, basée sur la responsabilité et la convivialité (togetherness).

Dieu fait la corrélation entre les substances étendue et pensante (la matière et l’esprit)

(Pour Descartes, le dualisme était une façon de rendre l’existence de Dieu évidente, puisque corps et esprit sont en parfaite corrélation …)

Théisme scientifique sans surnaturalisme, faisant partie du Noyau dur du sens commun, assumant la « mort de Dieu » par la proposition d’un Dieu intérieur qui propose par mode d’intuition ou de persuasion.
Substance inerte de Descartes, « qui n’a besoin que d’elle-même pour exister ».

(la substance d’Aristote n’est pas inerte, mais a été « rendue inerte » au Moyen Age par l’effet de la scolastique).

Entité actuelle, ou Occasion actuelle d’expérience.

(mais la substance n’est pas supprimée : elle est l’entité actuelle objectivée)

Monades de Leibniz, sans fenêtres Entité actuelle de Whitehead, ouverte à son monde actuel (principe de relativité, qui explique comment une entité actuelle est dans une autre -relation interne-)
Conséquence :
– La science est limitée à l’analyse morphologique, et ne prend pas en compte l’analyse génétique.
– Cela entraîne une dissociation entre les sciences sociales et les « science de l’espace »
Conséquence :
– Élargissement du champ de la science aux relations internes (procès génétique) et non plus seulement aux relations externes de l’analyse morphologique
– Cela entraîne un schème explicatif commun aux sciences physiques/naturelles et les sciences sociales. L’expérience personnelle/sociale éclaire sur l’expérience dans la nature.
Exagération des causes efficientes à la période moderne, après une exagération des causes finales au Moyen-Age et Renaissance. Équilibre entre causes efficientes et causes finales, les causes efficientes étant « première » (importance donnée à la « matière » par le principe ontologique -pas d’actualités vides-)
Espace réceptacle, basé sur les substances (DGES)

Temps et espace absolu : le présent est la nature à un instant

– Plusieurs substances

– Anecdote du petit déjeuner : plusieurs espaces

– La façon dont une entité actuelle entre dans une autre créé l’irréversibilité du temps et de l’espace.

– Quantum d’actualisation.

– Le présent est une durée, trajet d’entités actuelles (voir schéma du chap X-X)

– Il y a un seul continuum spatiotemporel de relationnalité générale (potentialités générales) (PR 72)

Notion d’actant et de société de Michel Lussault, dépassant la base strictement substancialiste, mais sans explicitation du fondement correspondant. La notion d’actant de Michel Lussault rejoint celle de nexus et de société de Whitehead, sur le fondement de la pensée organique.
Auto-organisation des systèmes.
Le système est le cœur de la révolution organique (L. Von Bertalanffy)
Auto-création des organismes.
Révolution organique.
Dichotomies :

Objet / sujet

Substance / Accident

Prédicat / Attribut

Privé / Public

 

Unité dialectique des opposés analysables :
Contraste des notions
Notions qui ne se divisent pas :
Concrescence
(Ap)préhension
Proposition
Potentialité générale et réelleEn géographie :
Territoire,
Paysage
Lieux
Région conviviale
Constructivisme.
Sans autre précision, ce constructivisme est kantien, basé sur une approche dualiste, et sur la théorie de la perception sensible de Hume.
Constructivisme basé sur l’expérience (panexpérientialiste)
Société moderne, dualiste .

« Tout est énergie », mais le passage à « tout est expérience » n’est pas fait (disjonction humain/non humain, urbain / non urbain, …).

Société transmoderne (c’est-à-dire ni pré-moderne, ni postmoderne -sauf dans le sens explicité par Griffin d’une postmodernité basé sur l’expérience-).

« Tout est expérience ».

Au niveau des territoires :
Archipels

Sociétés en réseaux (externes)

Sociétés en réseaux externe et interne
Sociétés emboîtées et interdépendantes (sociétés structurées)
Une certaine approche de la théorie des systèmes qui reste sur des fondements dualistes.
Auto-organisation
Le système est le cœur de la révolution organique (Ludwig Von Bertalanffy, créateur de la théorie des système et auteur « La théorie générale des systèmes »)
Auto-création, poiésis (Varela, Berque, Whitehead, Aristote)
Processus, conçu comme extérieur, où utilisé sans explication (utilisation intuitive non explicitée) Procès, conçu dans sa double dimension de l’analyse génétique (relations internes) et de l’analyse morphologique (relation externes).
Dichotomies :

Nature/Culture

Rural/Urbain

 

Relation de sociétés entre elles :
« Renaturer la culture et reculturer la nature » Augustin Berque
Connaturalité des choses naturelles, sociales et humaines.
Lien difficile entre la morphologie urbaine et les faits sociaux (Frey). Fragments, qualifiés suivant le but subjectif, par saisie de la réalité, expression des potentialités, transmutation et choix des faits saillants (Vidal-Rojas, p.106).
Développement de notions processives de fait d’Alain Reynaud, Guy Di Méo et Pascal Buléon, mais contestées sur leur partie « subjective »).

 

Nouvelles fondations aux notions de
– Formations Socio-Spatiales
– Catégories Socio-Spatiales
d’Alain Reynaud puis de Guy Di Méo & Pascal Buléon.
Fondement « hybride sur le matérialisme dialectique, structuralisme génétique et phénoménologie existentielle (Di Méo, TQ) – Approche unifiée en terme de pensée organique, avec des liens aux autres approches.
Géographie scientifique, fondée sur une ontologie dualiste. Géographie de l’expérience, fondée sur une ontologie organique.
Le territoire est un « ESPACE » Le territoire est brique de base de la gouvernance (Calame)
Espace abstrait conçu comme contenant

« DANS » l’espace

(dans lequel évoluent les individus-citoyens)

Espace de relations et d’échange
« AVEC » l’espace (Calame, Lussault).
Des hommes et femmes s’organisent en communauté humaine sur un territoire.Communauté : lien de sens entre l’homme et l’organisation quotidienne
Territoire : lieu de sens entre une communauté et son environnement (Calame, Fiche11)
Pièges : le territoire
– comme revendication ponctuelle
– comme valeur traditionnelle ou ancien
– comme « espace des pauvres »
Lien au territoire vécu comme abstrait. Sentiment d’appartenance lié à l’organisation quotidienne, aux différentes échelles :
– 32 000 km2 « le plus grand territoire où peut être vécu un sentiment d’appartenance)
– 2 000 km2 (métro territorialité)
– 125 km2 (méso territorialité)

L’ensemble de ces passages peut être présenté de manière dessinée, compacte, synthétique comme suit :

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.46.59 Capture d’écran 2016-04-17 à 14.47.43 Capture d’écran 2016-04-17 à 14.48.18 Capture d’écran 2016-04-17 à 14.50.15 Capture d’écran 2016-04-17 à 14.50.35  Capture d’écran 2016-04-17 à 14.51.39 Capture d’écran 2016-04-17 à 14.51.53

Figure 12‑1 : Tableau des passages des notions hypermodernes aux notions transmodernes.

L’énoncé de ces passages répond aux interrogations actuelles de l’ingénieur, du géographe, de l’urbaniste et l’architecte, de l’anthropologue et sociologue et du scientifique.

  • Pour l’ingénieur, ces passages permettent de fonder une approche généraliste entre toutes les spécialités, et de faire communiquer ces spécialités entre elles, au-delà de la notion de système souvent trop restrictive et ne rendant pas compte du vivant. En outre, l’approche permet une ouverture vers l’ingénierie institutionnelle (Calame).
  • Pour le géographe, ces passages permettent de sortir de « la dichotomie entre le matériel et l’idéel » (Di Méo).
  • Pour l’urbaniste et l’architecte, l’approche fonde une science de l’action donnant aux propositions d’aménagement leur véritable statut entre le réel, les potentialités générales, et les décisions d’aménagement.
  • Pour l’anthropologue ou le sociologue n’existe désormais plus de séparation entre sciences dures et sciences sociales (« molles » ?). Au contraire, le vivant, la biologie, l’étude des sociétés et de l’expérience ordinaire sont les nouveaux lieux d’étude, d’observation et de découvertes, par le « saut imaginatif » (Braconnier) ou « généralisation imaginative » (Whitehead). La pensée organique donne un fondement scientifique aux travaux de la « galaxie de la gouvernance ». La « cour de récréation des petits » (Calame) devient le laboratoire de la planète.
  • Pour le scientifique, le système explicatif de la science est profondément renouvelé. Sans changer la capacité prédictive de la science actuelle, les nouveaux fondements « réenchantent » la science et ouvrent de nouvelles perspectives (Fowler).

L’énoncé de ces passages constitue également un apport pour les différents réseaux mobilisés dans la présente recherche :

  • Pour P.R.H., ses fondements anthropologiques novateurs trouvent une ouverture scientifique, philosophique et sociologique large,
  • Pour l’association HFC, la recherche des passages vers la société de convivialité est une forte motivation de la recherche. Les éléments présentés ici sont une contribution à cette recherche. Ils permettent de comprendre une grande partie des disfonctionnements actuels. Ils permettent de trouver les mots pour fonder une formulation compréhensible et partageable de ce qu’est une système social de fondation, c’est à dire une société qui vit en pleine conscience les 4 critères de l’émergence mutuelle, l’héritage, la filiation et la transmission. Les pièges sont nombreux pour éviter les valeurs archaïques (le traditionnel, l’ancien, les normes) et situer clairement ces notions dans une avancée créatrice.
  • Pour la FPH, ces passages approfondissent l’ensemble des passages qu’ils ont eux même identifiés. En effet, La démocratie en miettes (Calame 2003) est émaillée de passages à réaliser : passage du devoir de conformité au devoir de pertinence, passage d’un esprit hiérarchique à la subsidiarité active, etc. Les passages proposés ici creusent un sillon plus profond dans la culture de la modernité pour en aérer les ferments, et supprimer les mauvaises herbes. La difficulté sémantique des énoncés paraît aller à l’encontre de la volonté pédagogique de la Fondation. C’est vrai. Mais une thèse est aussi une ouverture pédagogique sur le moyen terme, pour accompagner les mutations profondes, et porter une contribution à la compréhension et formulation de ces mutations.
  • Pour T&C, ces passages ouvrent à la capacité de mettre des mots au vécu ordinaire de prospective locale ou globale,
  • Pour l’AITF et le CNFPT, ces passages ouvrent une voie pour accompagner les changements de mentalité dans l’administration, et fournir des bases scientifique/philosophiques pour recréer l’option d’ingénieur généraliste, supprimée depuis 2001.

Ce travail de passage(s) ressemble à une œuvre de déconstruction/reconstruction, à la manière dont une maison est démolie, puis les matériaux de démolition réutilisés pour le nouveau logis, sur de nouvelles fondations [1]. L’intérêt de la démarche est de ne rejeter aucun fait, et de procéder par inclusions, de conjuguer avec des « et » plutôt que des « ou » (Michel Reverdy), par contrastes d’opposés, par remaniement de l’ensemble, et entrelacement/tissage des notions, …

En conclusion : le tableau récapitulatif des passages de la société hypermoderne à la société transmoderne :

Le tableau qui suit est une conclusion à toute la partie II. Il est élaboré à partir du travail de François Ascher dans « Les nouveaux principes de l’urbanisme : la fin des villes n’est pas à l’ordre du jour » [2]. François Ascher expose sa « Fresque schématique de la dynamique de la modernisation occidentale et du contexte des trois révolution urbaines modernes ». Il présente trois révolutions de l’urbanisme du Moyen-Age à nos jours, qui ne sont pas sans rappeler celles décrites par Thierry Gaudin [3]. Tous les textes à caractère bâton droit sont issus du tableau de François Ascher. Les textes en italique sont une proposition de la présente thèse: ils font apparaître une quatrième révolution de l’urbanisme, suivants les développements des parties I et II. Cette quatrième révolution (ou plus modestement « mutation » ?) peut être appelée transmoderne, pour éviter le terme de postmoderne qui est piégé. Toute la présente thèse est l’expression du passage d’une société hypermoderne à une société transmoderne, basée non plus sur la compétition, mais sur la convivialité et la coopération (Mathieu Calame, 2008). On peut ainsi aussi appeler la société transmoderne société de convivialité.

La troisième partie se consacre entièrement à la géographie, en commençant par l’élaboration d’une boîte à outil de l’ingénierie territoriale (chapitre 13). La notion de région conviviale utilise l’ensemble de ces outils. La boîte à outil est alors employée à l’analyse de la région conviviale émergente nommée « Entre Vosges et Ardennes » ou « Vosges-Ardennes » (chapitre 14). Cette région conviviale peut servir de modèle à d’autres régions de France et de l’Union Européenne (chapitre 15.A & B). Une évaluation du nombre de régions conviviales potentielles du monde est alors réalisée (Chapitre 15.C). Un dernier chapitre se consacre à exprimer en quoi cette approche géographique peut changer les pratiques des acteurs (chapitre 16).

Les deux notions clés resteront jusqu’au bout de la démarche celles d’expérience et de potentialité (pure, hybride et réelle).

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.52.58

Figure 12‑2 : Fresque schématique de la dynamique de la modernisation occidentale et du contexte des 4 révolutions urbaines.

Les trois premières colonnes sont issues du tableau de synthèse de l’ouvrage de François Ascher, Les nouveau principes de l’urbanisme, Édition de l’Aube, Avril 2004, page 54 et 55.

11.C. Conclusion générale de la partie II

Tout le chapitre 12 constitue une conclusion à la partie II. Avant d’aborder notre 3ème partie et ses applications, et arrivés au terme de cette réflexion approfondie sur la nature des objets géographiques à travers la diversité de vocabulaire de quelques auteurs engagés dans la même réflexion, il est remarquable de constater qu’il se dégage à travers cette diversité et grâce à la pensée organique de A.N. Whitehead, la possibilité de tendre à une vision du monde (Weltanschauung) mettant en valeur l’unité organique de l’univers, et la créativité qui se manifeste dans les différentes approches. Unité du réel, constante des objets analysés invariants dans le « fleuve de l’expérience » (onflow[4], comme s’ils étaient sur la berge d’un fleuve unique en écoulement permanent.

Et apparaît alors la possibilité d’une connaissance qui soit transculturelle et transmoderne, et de mettre au point les instruments communs d’analyse dans une vision qui les englobe. Le réel est un, à travers ses multiples aspects, de l’infiniment petit à l’infiniment grand et la géographie est l’expression de l’unité de cette Terre diverse.

___________________________________________________________
Notes :

[1] Cf Descartes, Discours de la méthode, page 61.
[2] François Ascher, Les nouveaux principes de l’urbanisme : la fin des villes n’est pas à l’ordre du jour, Éditions de l’Aube, 2001, 104 p. Le chapitre IV expose les 10 principes du nouvel urbanisme, p. 77-97. Un tableau de synthèse est proposé par 52-53.
[3] Thierry Gaudin, L’aménagement du territoire vu de 2100, Éditions de l’Aube, 1994.
[4] Titre d’un récent ouvrage de Ralph Pred, Onflow, Dynamics of Conciousness and Experience, a Bradford Book, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 2005, 348 p.

7.E. Géographie et spiritualité

7.E. Place de la spiritualité dans l’approche organique : importance pour la géographie.

Une cosmologie n’en serait pas une si elle omettait de parler de la place de la spiritualité, symbolisée par l’utilisation de la notion de Dieu. Dieu doit donc bien trouver sa place dans une approche globale du monde, et l’importance de ce questionnement pour la géographie n’a pas échappé à Eric Dardel, dont l’ouvrage, préfacé par Philippe Pinchemel, montre comment les approches mythique & prophétique ont complètement transformé la relation de l’homme à la Terre. Le dépassement du dualisme et de ses traditionnelles oppositions : science/spiritualité, urbain/rural, humain/non humain, public/privé, …. Permettrait de définir une approche que nous appellerons transmoderne [1]. Il en ressortirait une géographie des sociétés unifiée, de la nature aux territoires de l’homme.

La difficulté est de prendre en compte la notion de transcendance, dans une approche non dualiste. Transcendance et immanence se saisissent d’un même mouvement dans la pensée organique.

7.E.1. Présentation de l’approche organique de Dieu :

Le chapitre deux des Clés pour la lecture de Procès et réalité de Donald W. Sherburne s’intitule « Les éléments formatifs » et son petit texte d’introduction commence par « Dans les dernières phrases du Chapitre I, Whitehead faisait référence à la « potentialité » et à la « créativité ». Ces termes renvoient à deux des trois éléments formatifs, à savoir : les objets éternels et la créativité. Le troisième élément formatif est Dieu ». Puis il continue comme si l’utilisation de Dieu paraissait normale, et sans référence à Procès et Réalité. Le refus d’admettre Dieu sans pouvoir méditer sur la nécessité rationnelle de son admission dans le schème nous a obligé à mener l’enquête sur l’histoire de cette admission. D’autant que Sherburne ouvrira quelques années plus tard (1967-1973) un débat sur Whitehead sans Dieu [2], et que Whitehead voulait éviter de succomber au travers philosophique qui consiste à faire appel à Dieu dès que quelque chose est difficilement -ou pas- explicable (comme par exemple Descartes et Leibniz l’ont fait). «La théorie leibnizienne du « meilleur des mondes possibles » n’est qu’une affabulation audacieuse produite en vue de sauver la face d’un Créateur construit par les théologiens de son époque ou antérieurs à lui » [3] dit-il. Il a refusé à plusieurs endroits de succomber à « une malheureuse habitude : celle de Lui adresser ses compliments métaphysiques » [4]. Il est plutôt agnostique [5], après même une phase athée. On sait que plus jeune, il a mis l’ensemble de ses livres de théologie dans une brouette, et s’en est débarrassé après 8 ans d’étude. Alors d’où vient cette référence ?

Une réponse très complète se trouve chez Michel Weber [6], avec la citation de l’ensemble des sources existantes dans l’œuvre de Whitehead. Il est impossible de reprendre ici toutes les étapes de l’enquête de Michel Weber : nous ne reprendrons que les éléments nécessaires à notre propre enquête et susceptibles d’aider nos collègues (notamment les ingénieurs territoriaux -pour la rationalité, puis les géographes -pour l’expérience intime de la Terre-). Il faut saisir à quel moment Whitehead a introduit Dieu dans son schème, pourquoi ?.

Tout d’abord, Dieu n’est pas dans le schème catégorial de PR. La catégorie ultime (CU) est la créativité : elle ne fait pas appel à Dieu. Les 8 catégories d’existence (CX 1 à 8), les 27 catégories de l’explication (CE1 à 27) et les 9 catégories de l’obligation (C01 à 9) ne citent pas Dieu. Ainsi, si Dieu intervient, c’est comme toutes les « créatures ». Il respecte le schème catégorial. « Dieu est dérivé du schème catégorial comme un théorème l’est d’un système axiomatique. Dieu émerge en tant que construit » [7] S’il y a un compliment métaphysique, il n’est pas ici. Dieu est une entité actuelle intemporelle [8]. Plus exactement, toutes les occasions actuelles d’expérience sont des entités actuelles, mais Dieu, nous allons le voir, est en acte et non temporel [9], il n’est pas une occasion actuelle. Ainsi, entité actuelle et occasion actuelle sont des expressions synonymes, à la différence de Dieu près. Alors comment s’est opérée cette construction ?

7.E.2. Importance pour la géographie, notamment dans la « géographie de l’expérience » d’Eric Dardel.

La thèse ne porte pas sur Dieu, mais cette question a un tel poids d’émotion, d’histoire, et surtout d’expérience, que si nous voulons suivre les traces d’Eric Dardel dans une « géographie de l’expérience »[10] des relations entre l’homme et la Terre, qu’il appelle géographicité, nous ne pouvons l’éluder. Ceci d’autant plus qu’Eric Dardel, dans son histoire de la géographie, explique qu’à la « géographie mythique » [11] a succédé « la Terre dans son interprétation prophétique » [12]. Mais le Dieu décrit par Dardel semble être celui dont Leibniz essaie de sauver la face [13] : Il est important d’aller plus loin et de saisir le « Dieu suprême de la religion rationalisée » [14] pour saisir la figure d’un Dieu qui partage le même schème catégorial que la science, et ainsi pouvoir argumenter aux prochains chapitres notre proposition d’émergence d’une société -et donc d’une géographie- trans-moderne. Un tableau synthétique est proposé en partie II, chapitre 12.

Whitehead refuse l’opposition de la science et de la religion, ce qui est justifié par son effort pour fonder la philosophie sur les éléments les plus concrets de l’expérience, à savoir les entités actuelles, les préhensions et les nexus [15]. Et l’émotion est le mode primitif d’objectivation. « Le mode primitif d’objectivation est celui qui passe par l’intermédiaire du tonus émotionnel » [16]. Toute la démarche de Procès et Réalité est de chercher les notions génériques que présuppose inévitablement notre expérience réflexive [17]. Quand on constate que le terme d’expérience ne figure plus au DGES et semble remplacé par la notion de réflexivité [18], on peut saisir l’importance et la nouveauté de la démarche. A l’autre opposé, le problème du lien entre l’expérience et l’émotion se pose également. Écoutons Jean-Marc Besse dans son commentaire d’Eric Dardel :

« L’expérience géographique n’est pas primitivement l’application d’un système de catégories et de lois sur un ensemble d’objets qu’il s’agirait d’intégrer dans un registre théorique. Cette expérience possède tous les caractères d’une émotion, c’est-à-dire d’une dépossession de soi au contact du monde extérieur, qui permet au géographe de se laisser saisir, envahir par la tonalité propre du lieu. L’intentionnalité secrète qui anime le savoir géographique consiste, selon Dardel, à articuler cet étonnement originaire en une parole communicable. »

Or, le projet de Whitehead est justement d’établir un système de catégories, dans lequel l’émotion a une place privilégiée, au point que l’énergie soit caractérisée comme transfert d’impulsion émotionnelle d’occasion en occasion [19]. « L’exister est de nature expérientiel, et le fondement de cette expérience est émotionnel » [20]. Les catégories de Whitehead ne sont pas des catégories de pensée, comme Aristote ou Kant, mais sont justement des catégories du sentir, des catégories de l’expérience. D’autre part, l’émotion, dans notre expérience personnelle, n’est pas une dépossession de soi, mais au contraire le sentiment d’exister pleinement, d’être pleinement vivant. Chacun peut trouver ses propres expériences, ses propres mots. Si nous faisons le lien à la réflexivité, c’est comme si la réflexivité, application d’un système de catégories et de lois kantiennes, devait nous couper du monde extérieur, et que le monde de l’émotion et de la réflexion ne pouvaient pas se rejoindre. Entre Dardel, qui a tenté une « parole communicable » à partir de l’émotion, et le DGES[21] (et F. Ascher[22]) qui se concentrent sur la réflexivité, un chemin est à tracer. Nous verrons que cela remet en cause du côté de l’émotion la théorie de la perception géographique, telle qu’on la rencontre chez Alain Corbin [23], et du côté de la réflexion la théorie de la représentation telle qu’elle est présentée chez Jean-Pierre Paulet [24]. Finissons donc notre enquête sur Dieu afin de reprendre la description de la concrescence, et mener ces autres enquêtes.

Tout d’abord, rassurons le lecteur : le Dieu de Whitehead n’est pas une étrangeté, il est étudié largement tant dans le monde chrétien que bouddhiste. En effet, il semble que l’approche ait une parenté avec les modes de pensée orientaux et offre une possibilité de dialogue occident/orient, ce qui serait une opportunité permettant de sortir du mode de pensée matérialiste/surnaturaliste occidental : la science n’a en effet pas besoin d’être matérialiste pour être ce qu’elle est, et la religion (notamment catholique) n’a pas besoin d’être surnaturaliste. Il n’y a pas d’autre condition pour être en accord avec la pensée organique. Je résume par cette double condition l’immense travail de David R.Griffin dans RSS et 2V [25]. Résumons nous en disant que Whitehead, en scientifique (mathématicien et physicien) propose un schème commun à la science et la religion.

L’enquête nous mène dans la « deuxième trilogie » de Whitehead qui concerne les 3 ouvrages SMM (1925), PR (1929) et AI (1933). Nous pouvons ajouter, compte tenu du sujet, RG (1926), ouvrage contemporain à PR. La « première trilogie » était PNK, CN et R. Dans cette première trilogie, Whitehead travaillait en scientifique et s’interdisait toute métaphysique. La question de Dieu n’apparaît donc que dans La science et le monde moderne (SMM), avec le Principe de Concrétion : « l’irruption du concept de Dieu correspond à une nécessité catégorielle, non à une inflexion due directement à la religiosité de notre auteur » [26]. Whitehead est parti, pour son schème, de la triade de la créativité, et non de Dieu, ou des pures potentialités que demeurent les objets éternels [27]. Objets éternels et potentialités sont deux termes synonymes. Le terme « objet éternel » a été choisi pour échapper à la querelle des universaux. Le débat sur la dichotomie entre les universaux et les particuliers traverse la philosophie depuis le Moyen Age. C’est une autre figure du débat de la « dichotomie entre le matériel et l’idéel ». La potentialité est appelée à entrer dans la composition interne d’une entité actuelle : en cela, elle est particulière. À l’inverse, une entité qui préhende une potentialité transcende l’existant en apportant de la nouveauté. Nous voyons déjà commencer à fondre la dichotomie que la présente thèse met en question.

  • « Attendu qu’ordre et valeurs pétrissent le monde, nous sommes contraints de poser des pures possibilités et un mécanisme pourvoyeur de but initial subjectif ;
  • attendu qu’ordre, valeur, et but initial sont décrits par les objets éternels, il faut leur conférer un lieu originaire, une entité doit être désignée pour abriter ces pures potentialités (sinon confinées dans les limbes de l’être et pour les fulgurer à bon escient). Dieu devient « réservoir de possibilités » et pourvoyeur de but initial » [28].

Michel Weber rappelle par deux fois la nécessité d’un lieu ontologique de la hiérarchisation des valeurs [29]. Whitehead résume cette question lui-même de la façon suivante : « La portée du principe ontologique n’est pas épuisée par le corollaire selon lequel une « décision » doit pouvoir se référer à une entité actuelle. Tout doit être quelque part, « quelque part » signifiant ici « quelque entité actuelle » [30]. La potentialité générale de l’univers doit donc être quelque part, puisqu’elle conserve sa proche relevance vis à vis des entités actuelles pour lesquelles elle n’est pas réalisée. Cette « proche relevance » réapparaît dans une concrescence subséquente (c’est à dire quui vient à la suite dans le temps) comme étant une cause finale régulatrice de l’émergence de la nouveauté. Ce « quelque part » est l’entité actuelle non-temporelle.

Le principe ontologique qui est invoqué ici est tout simplement le refus des actualités vides, à savoir vide d’expérience : tout a une « raison », et cette raison ne saurait être qu’une entité actuelle. Locke était d’accord avec cette affirmation. Le refus des actualités vides est la base de la rationalité, la base de toute démarche scientifique. Une autre façon de dire est la réponse de Whitehead à un étudiant qui demandait « Pourquoi Dieu ? » ; la réponse a été : « Que penseriez-vous d’une approche philosophique qui se veut une cosmologie et qui n’inclurait pas Dieu ? ».

A ce point de notre enquête, Dieu est une entité actuelle non temporelle, qui est l’ensemble des potentialités de l’Univers. C’est ce que Whitehead appelle la « nature primordiale de Dieu ». Le tableau suivant récapitule cette place [31] que donne Whitehead à Dieu :

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.53.25

Sans entrer dans les linéaments de la démarche, très vite, entre La religion en gestation (RG 1926 [32]) et PR (1929), Whitehead a senti la nécessité (ontologique) d’un dialogue entre Dieu et le monde, ce qu’il appellera sa « nature conséquente » [33]. Il lui ajoutera une « nature superjective » [34]. « Si la relation entre Dieu et le monde n’est pas un rapport réel, Dieu ne se trouve pas réellement en rapport avec le monde » [35]. C’est cette remarque de bon sens d’un théologien éminent qui nous permet de conclure sur la rationalité de la présence de Dieu dans le schème [36]. Voici le schéma qui résume la situation :

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.54.18

Figure 7‑11 : Schéma des trois natures de Dieu dans PR.

En synthèse de cette partie sur Dieu, il est intéressant de présenter une citation de synthèse de Whitehead lui-même, car cette citation montre bien comment une opposition peut être transformée en contraste, et comment sur la base de l’ontologie organique, les contraires peuvent être mutuellement nécessaires l’un à l’autre. La récapitulation finale ne peut être exprimée que dans les termes d’un groupe d’antithèses dont les auto-contradictions appa­rentes ne tiennent qu’à la négligence des diverses catégories de l’existence. Dans chaque antithèse on trouve un déplacement de sens qui transforme l’opposition en un contraste:

« Il est aussi vrai de dire que Dieu est permanent et le monde fluent, que de dire que le monde est permanent et Dieu fluent.

Il est aussi vrai de dire que Dieu est un et le Monde multiple, que de dire que le Monde est un et Dieu multiple.

Il est aussi vrai de dire que Dieu, comparé au Monde, est éminemment actuel (actual), que de dire que le Monde, comparé à Dieu est éminemment actuel.

Il est aussi vrai de dire que le Monde est immanent à Dieu, que de dire que Dieu est immanent au Monde.

Il est aussi vrai de dire que Dieu transcende le Monde que de dire que le Monde transcende Dieu.

Il est aussi vrai de dire que Dieu crée le Monde que de dire que le Monde crée Dieu [37].

Dieu et le Monde sont les opposés contrastés selon lesquels la Créativité accomplit sa tâche suprême de transformation de la multi­plicité disjointe, avec ses diversités en opposition, en une unité concrescente, avec ses diversités en contraste. Dans chaque actualité se trouvent deux pôles concrescents de réalisation : la jouissance (enjoyment) et l’appétition, c’est-à-dire , le pôle physique et le pôle conceptuel. Pour Dieu le conceptuel prime sur le physique, et pour le Monde les pôles physiques priment sur les pôles conceptuels ». [38]

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.55.22

Figure 7‑12 : La conception de Dieu dans Procès et réalité.

Dans son article de l’Encyclopédie Universalis, Claude Geffré conclue au mot « Dieu » en opérant le même rapprochement entre Dieu et l’homme : « Confrontée à la sécularisation, la pensée chrétienne a reformulé son langage sur Dieu. Ce nouveau langage ne sépare plus le discours sur Dieu et le discours sur l’homme. Il a pris finalement au sérieux le mystère de l’humanisation de Dieu en Jésus-Christ, en sorte que la réalité de Dieu se découvre comme la réalité de l’homme » [39].

St Thomas a fait sur Aristote de la « subversion » du message du Christ, comme les Romains l’ont fait pour créer l’église catholique hiérarchique sur le modèle des Empereurs romains [40]. Kant a réduit l’espace de Dieu à la moralité. Donc la mort de Dieu ne concerne que ce Dieu là.

Or, cette « subversion » est exactement ce que fait Whitehead, mais sur la base de la science moderne (Relativité, Mécanique Quantique, …). Le réel, rien que le réel et tout le réel. Il ne prend pas un objet extérieur (la culture romaine, la philosophie d’Aristote, … ). Au contraire, il dénonce ces emprunts. Il prend le réel scientifique le plus en pointe, et l’expérience personnelle de chacun. En ce sens, il crée de la subversion en faisant appel à nous-mêmes, en cohérence avec ce que la science nous dit du réel … il nous engage dans l’Aventure, et il n’en a pas le dernier mot. Il nous oblige à penser (Stengers).

7.E.3. Vers une place ajustée de la spiritualité dans une société transmoderne : sur les traces d’Eric Dardel. Intuition d’une géographie des sociétés unifiée, de la nature à l’homme.

Eric Dardel consacre un chapitre de son ouvrage L’homme et la Terre à la répercussion sur la géographie de l’interprétation prophétique. Son approche est celle d’un Dieu extérieur, bien loin du Dieu des Hébreux et de l’approche organique du divin. L’intérêt ici est de ne plus opposer science et spitirualité, et de tracer les lignes d’une approche qui refuse les oppositions arbitraires et stériles. Refuser ces oppositions « oblige » (au sens des catégories étudiées ci dessus) la pensée, sans enlever aucun acquis ni à la science, ni à la spiritualité. Alors pourquoi ne pas explorer le bénéfice pour la géographie ? L’enjeu est la sortie du dualisme, et un ensemble de propositions pour dépasser les oppositions humain/non humain, urbain/rural, public / privé, décriés notamment par Pierre Calame en fin de Mission possible [41].

Voici les passages du Dieu décrit par Eric Dardel au Dieu qualifié de « transmoderne » par la pensée organique proposée ici [42]: ces passages seront décrits au chapitre 12.

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.55.52

Figure 7‑13 : Tableau des passages de la conception moderne de Dieu à l’approche organique

Ceci dit, il semblerait selon Michel Weber qu’il resterait un compliment métaphysique ambigu, qu’il serait possible d’éliminer. Hartshorne [43] a proposé une amélioration en considérant Dieu non comme une simple entité actuelle, mais comme une société d’entités actuelles, au même titre que tout individu. On le voit, rien n’est figé dans le schème organique … il évolue organiquement avec les contributions croisées issues des expériences conjuguées.

_______________________________________________________
Notes :

[1] voir le chapitre 12 pour une présentation complète des caractère d’une société transmoderne ;
[2] Voir note ci-dessus.
[3] PR47a.
[4] SMM, 179b. Voir aussi PR 343e, souligné par Weber, DIW174c.
[5] agnostique du Dieu traditionnel. Il est « athée de tous les dieux extérieurs et tout-puissants ».
[6] DIW 174 à 196
[7] Weber, DIW, 184b.
[8] PR18b. Les autres sont les « occasions actuelles ». Pour Hartshorne, Dieu est une société personnellement ordonnée d’entités actuelles.
[9] Weber, 253b et suiv.
[10] Cette expression est mienne. Sans être utilisée par Eric Dardel, l’index des termes (complété par nos soins) fait apparaître 19 occurrences du terme expérience sur les 133 pages de l’ouvrage. « L’expérience géographique, si profonde et si simple, invite l’homme à prêter aux réalités géographiques une sorte d’animation et de physionomie où revit son expérience humaine, intérieure ou sociale ». Eric Dardel s’ouvre donc aux relations tant internes qu’externes, et à une approche large de la perception qui rejoint la notion de préhension de Whitehead, qu’il cite p.54. « Toute géographie, selon Dardel, engage une ontologie » commente Jean-Marc Besse, op. cit. p.140. L’ontologie engagée par Dardel s’explicite selon nous mieux dans les termes de la pensée organique qu’une ontologie substantialiste, nous le montrerons plus loin dans la partie II-chapitre 11-D.
[11] Eric Dardel L’homme et la terre (HT), ECTHS, 1990, p.64 à 90.
[12] Dardel, HT 91 à 98.
[13] Cit. ci-dessus PR47a. A la place d’un Dieu au cœur de la matière (Teilhard), Eric Dardel explique que « L’homme n’a rien à espérer de la Terre, en elle-même. Il n’a aucune vérité essentielle à en tirer. Il n’est pas issu de la Terre, (…) » (L’Homme et la Terre, p.94b). Il parle page 6 de « la notion des « Cieux » opposés à la Terre ». On retombe alors dans une série d’oppositions Terre/Ciel, temporel/spirituel, qui s’ajoutent à la liste des dichotomies déjà repérées par Guy Di Méo & Pascal Buléon dans L’espace social.
[14] W, RG 90b.
[15] PR18a.
[16] PR 141b.
[17] PR18a.
[18] Voir notre analyse de l’expérience en partie I chapitre 2
[19] PR116c.
[20] Weber, DIW 189c.
[21] Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, J.Levy et M.Lussault, 2003, 1034 p.
[22] Voir notamment La société hypertexte, l’Aube, 2005, 301 p.
[23] Alain Corbin, L’homme dans le paysage, Paris Textuel, 2001, 190p.
[24] Jean-Pierre Paulet, Les représentations mentales en géographie, Ed ; Economica, Anthropos, 2002, 152 p.
[25] Réenchantement sans surnturalisme (1998) et Les deux vérités (2004).
[26] Weber, DIW 175c.
[27] Weber, DIW 176b.
[28] Weber, DIW179c, qui cite SMM161a, puis PR 31 & 44. Nous rajoutons PR 46b
[29] En plus de DIW 179c, voir 182a (fin de paragraphe) et DIW 184c.
[30] PR 46b. Sur le « quelque part signifiant ici quelque entité actuelle », voir PR [59] et PhW.333, n.65.
[31] Weber, DIW 353b.
[32] La religion en gestation va paraître en traduction française aux éditions Chromatica au premier semestre 2008. La précédente traduction avait été intitulée faussement Le devenir de la religion.
[33] Weber, DIW 188 à 191
[34] Weber, DIW 191 à 194
[35] Jan Van der Veken, « Dieu et la réalité. Introduction à la « Process Theology » », Revue Théologique de Louvain, VIII, 1977, pp. 423-447, p.433.
[36] Même si « Dieu est la limitation ultime, et Son existence est l’irrationalité ultime (…) on ne peut donner aucune raison de la nature de Dieu, parce que cette raison est le fondement de la rationalité. » (SMM178c).
[37] Ce groupe d’antithèses est analysé par H. Küng dans Dieu existe-t-il ?, (Seuil, p.214.), et par J-M. Breuvart dans DSMR (1976), p. 373.
[38] PR 348b à h.
[39] Encyclopædia Universalis 2006, recherche sur « objectivation ».
[40] Les communions humaines p.53 . C’est un « retournement vectoriel » que Pierre-Jean Borey analyse dans sa thèse sur Whitehead et la politique (2007.)
[41] Pierre Calame, Mission possible, DDB, 1995, page 222. Il exprime : « L’individuel et le collectif, le singulier et l’universel, le penser et l’agir, le rêve et la gestion terre à terre, la tradition et la modernité, le sens et la connaissance, l’imagination et l’organisation, c’est de l’association intime de ces contraires que doit être fait l’humanisme de demain. »
[42] Inspiré de DIW 193d et
[43] Charles Hartshorne, Whitehead’s Philosophy. Selected Essays, 1935-1970, Lincoln and London, University of Nebraska Press, 1972.

7.D. Processus au quotidien

7.D. L’utilisation courante de la notion de processus dans la vie quotidienne.

La notion de processus est très répandue, et concerne essentiellement les relations externes plutôt que les relations internes. C’est pourquoi il est préférable pour tenir compte des deux d’employer l’ancien mot français procès (origine du process anglais).

La notion de procès dans un sens whiteheadien [1] est déjà utilisée couramment dans l’économie pour la description, par exemple, du procès de production marxiste. Le terme retrouve alors le sens du mot process anglais qu’il a perdu dans l’usage courant en dehors de l’économie. Dans le quotidien, c’est le terme de processus qui est utilisé. Nous avons déjà noté qu’il est utilisé 354 fois dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (DGES) sans être une rubrique par lui-même. De la même manière que les notions d’(ap)préhension et d’importance, la notion de processus permet de se faire comprendre de manière intuitive dans la vie ordinaire, sans avoir à expliquer le terme. Pour entrer dans l’explication, il est nécessaire ici encore de dépasser l’évidence . Ce dépassement est difficile, car bien souvent le mot est utilisé pour faire comprendre des notions qui présupposent le processus, mais ne le prennent pas en compte en tant que tel. Une ambiguïté reste toujours entre une description interne et externe, et le processus n’a pas dans l’explication l’importance qui est pourtant présupposée (notion du noyau dur du sens commun).

A la suite du DGES, nous pouvons ici aussi citer L’homme spatial de Michel Lussault (2007). Le terme processus figure notamment aux pages 20, 22, 40, 129, 182, 183, 189, 190, 234, 237, 303 (2), … Stéphane Rosière, dans son ouvrage Géographie politique et géopolique l’utilise aux pages 53a, 53d, 59d, 143d, 147c (2), 150d, 150f, (2),156d, 157f, 161a, 163d (3), 165c (3), 166c, 167a, 168 (7), 171b, 172c (3), 175 (5), 196b, 196c (2), 211, 281b, 285, 294a, 297d (2), 299c, 301d, etc. Les géographes Marie-Françoise Durand, Jacques Levy et Denis Retaillé l’utilisent dans Le monde. Espaces et systèmes aux pages 16b, 19c, 25d, 27b, 27c, 28b, 30a, 31note2 31a, 32a, 189a, 190b (2), 191a, 231a, etc. On trouve aussi la notion de processus dans le terme procédé, et dans le verbe procéder. Pierre Calame insiste sur le passage de la procédure au processus [2], et les composantes de son cycle de la gouvernance [3] sont les phases du procès (voir chapitre 4.B.3). Il utilise très fréquemment le terme de processus, et y fait référence par exemple aux pages 41, 84, 266, 288a, 302b (2), 303a, 304a, 314a, 312a, 313a (2), etc.

Chacun pourra dans sa vie quotidienne relever l’usage conscient ou inconscient de cette notion, et confronter ses conclusions avec celles de la pensée organique. L’intérêt du schème organique (totalement soumis au réel, donc concret) est de bien distinguer (et articuler, sans jamais opposer) les relations internes et les relations externes. Les relations externes reviennent à considérer le monde composé d’objets comme de boules de billard, alors que les relations internes permettent d’expliquer la genèse des choses (ce qui est nommé « adaptation [4] » en géographie physique). Sans utiliser le terme de procès, l’approche de Michel Lussault rend compte tant de relations externes [5] qu’internes [6]. En un sens, son approche est quasi processive de fait, à la seule condition de reconnaître qu’il y a un seul continuum spatio-temporel (et non des espaces « radicalement séparés [7] ») et de substituer à une approche substantialiste l’approche organique (les quantum d’actualisation jouent le rôle d’une substance dynamique).

La notion de dynamique est souvent utilisée comme synonyme de processus, en un sens plus général. Chez Stéphane Rosière (2003), elle apparaît aux pages 59d, 91f, 105b, 143 (4),149f, 152a, 161b, 169c, 174d, 177 (5), 182d, 183a, 183 c (2), 193 (5), 218f, 296c, 300b, 300d, 301a, etc. Stéphane Rosière emploie également la notion de puissance (288, 288 à 301) dans un sens proche du procès et la notion de potentialité. Le DGES accorde à la notion de dynamique une rubrique de catégorie 1 (« concepts les plus fondamentaux de la géographie » [8]) de deux pages (p.281 & 282), en reconnaissant aux systèmes dynamiques des « mouvements internes ». Mais cette notion se réfère quasi exclusivement à la théorie des systèmes, devient synonyme de changement et « tend à se substituer au terme d’histoire (…) ce qui permet au passage d’escamoter une réflexion sur le temps social et l’historicité » [9]. Reliant les notions de système, de dynamique et de processus, on pourrait résumer leurs relations par la phrase suivante « Les systèmes ont une dynamique constituée de processus ». Par exemple, dans Éléments de géographie physique de Jean-Paul Amat, Lucien Dorize, Charles Le Cœur, (Bréal, 2002), il est expliqué p.412 : « Le système n’est pas figé. Sa dynamique est faite constamment de (…) processus de rétroaction (…) processus impliqué (…) processus dans leur fonctionnement intime. ». Mais il n’est rien dit sur le fonctionnement « intime » du processus. C’est pourquoi il apparaît important de tenter une description technique du procès, en dépassant la barrière de l’évidence (Lussault, 2007, 17).

7.D.1. Pourquoi le procès ?

Dans Modes de pensée, Whitehead explique : « L’état de la pensée moderne est tel que chaque élément singulier de cette doctrine générale est démenti, mais que les conclusions générales tirées de la doctrine prises comme un tout sont fermement maintenues. Il en résulte une confusion totale dans la pensée scientifique, dans la cosmologie philosophique et dans l’épistémologie. Pourtant, toute doctrine qui ne présuppose pas implicitement ce point de vue et taxée d’inintelligibilité » [10]. Il fait alors l’inventaire des éléments singuliers qui sont démentis, et les nouvelles notions qui les remplacent. Pour être en adéquation avec l’expérience ordinaire (le noyau dur du sens commun), de nouvelles notions doivent alors êtres proposées pour une interprétation cohérente et logique. Ces notions, tout en étant explicatives, doivent aussi être nécessaires, c’est-à-dire donner une raison aux Lois de la Nature.

Le tableau qui suit présente les différents passages des anciennes notions aux nouvelles notions scientifiques, ou aux propositions de la pensée organique. La compréhension de ces passages est indispensable pour saisir la nécessité du procès pour l’interprétation adéquate des faits de la Nature, sans en omettre aucun.

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.36.05 Capture d’écran 2016-04-17 à 08.37.25 Capture d’écran 2016-04-17 à 08.38.00

Figure 7‑6 : Tableau du passage de la pensée moderne à la pensée organique (Source : Whitehead, Modes de pensée)

La faiblesse de l’épistémologie des XVIIIe et XIXe siècles a été de se fonder purement sur une formulation étroite de la perception sensible. De plus, parmi les divers modes de sensation, c’est l’expérience visuelle qui fût choisie comme l’exemple type. Le résultat fût d’exclure tous les facteurs réellement fondamentaux constituant notre expérience. La prise en compte dans une vision globale des remises en cause réalisées par la science depuis Bacon (au XVIème siècle) conduisent aux deux notions d’activité et de procès. Telle est la théorie de « l’avance créatrice » grâce à laquelle il appartient à l’essence de l’univers de passer au futur (avec l’idée de transformation). Ces remises en cause conduisent à concevoir la fonction de la vie dans une occasion d’expérience, dans laquelle il faut discriminer les données actualisées présentées par le monde antécédent, les potentialités non-actualisées qui se tiennent prêtes à provoquer leur fusion en une nouvelle unité d’expérience, et l’immédiateté de la jouissance de soi qui appartient à la fusion créatrice de ces données avec ces potentialités. [11] La première activité de l’occasion d’expérience est la préhension [12].

Beaucoup de ces conclusions peuvent se retrouver de fait en grande partie dans L’homme spatial de Michel Lussault, avec de nombreux exemples concrets. Notons par exemple sa référence fréquente à la notion d’activité (pages 37, 41, 69, 86, 262, 299, etc.). En ce qui concerne l’espace, ses conclusions vont aussi dans le sens de la pensée organique. Il propose en effet à travers l’exemple du tsunami la notion d’interspatialité (p.37, 38, 342). Mais ses observations n’intègrent pas le temps [13], bien qu’il exprime que « Dans tous le cas, les évaluations de distance associent fréquemment l’espace et le temps » en s’appuyant sur les exemples des tribus nomades du désert mauritanien, ou sur les temps de crise comme le tsunami. Or, nous l’avons vu, c’est la durée (à travers l’expérience du corps animal) qui permet de faire le lien entre la présentation immédiate et la causalité efficiente, et seul ce lien peut permettre de rendre compte à la fois d’une avancée créatrice (la transition) et de la permanence (la transmission d’occasion en occasion). Seul ce lien peut articuler l’atomicité temporelle (les quantum d’actualisation) et le flux du devenir. L’approche organique rend compte à la fois de l’intuition atomique de Démocrite, et du flux héraclitéen.

C’est à partir de la notion nouvelle d’occasion d’expérience que seront construits désormais à l’épreuve du réel et comme une nécessité les objets permanents de la vie quotidienne

7.D.2. Présentation technique du procès organique :

La concrescence est un des deux flux du procès: la concrescence et la transition [14].

« Ici, le groupe des philosophes du xviiè et du xviiiè siècles fit pra­tiquement une découverte qu’ils ne réalisèrent qu’à demi bien qu’elle affleurât dans leurs écrits. Cette découverte était qu’il existe deux sortes de fluidité (fluency) : l’une est la concrescence, qui dans le langage de Locke est « la constitution interne réelle d’un existant particulier », l’autre est la transition d’un existant particulier à un autre existant particulier. Cette transition, exprimée encore dans le langage de Locke, est le « périr perpétuel » (perpetually perishing) qui est un aspect de la notion de temps ; sous un autre aspect, la transition est la genèse du présent en conformité avec la « puissance » du passé »[15].

L’expression « la constitution interne réelle d’un existant particulier », la description de l’entendement humain comme un procès de réflexion sur des data, l’expression « périr perpétuel », ainsi que le mot « puissance » en même temps que son élucidation, se trouvent tous dans l’Essai de Locke. Cependant, étant donné le champ limité de sa recherche, Locke ne généralisa pas et ne réunit pas ensemble ces idées dispersées [16].

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.38.31

Figure 7‑7 : Schéma de la Créativité, du multiple à l’un, et les deux sortes de fluence : la concrescence et la transition dans Procès et réalité.

La citation précédente et le schéma proposé peuvent être complétés par la citation suivante pour être pleinement interprétés : « Pour résumer : Il y a deux sortes de procès, le procès macrosco­pique et le procès microscopique. Le procès macroscopique est la transition d’une actualité accomplie à une actualité en accomplisse­ment, tandis que le procès microscopique est la conversion de condi­tions simplement réelles [le datum] en une actualité déterminée [la concrescence]. Le premier procès effectue la transition de l’« actuel » au « simplement réel » ; le second effectue la croissance du réel à l’actuel. Le premier procès est efficient, le second est téléologique. Le futur est simplement réel, sans être actuel, tandis que le passé est un nexùs d’actualités. Les actualités sont constituées par leurs phases génétiques réelles. Le présent est l’immédiateté du procès téléologique par lequel la réalité devient actuelle. Le premier procès fournit les conditions qui gouvernent réellement l’accomplissement (attainment), tandis que le second fournit les fins accomplies effectivement (actually attained) » [17].

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.38.51

Figure 7‑8 : La Créativité, du multiple à l’un, et les deux sortes de procès : macroscopique et microscopique, dans Procès et réalité.

L’autre façon d’exprimer les deux procès est la suivante :

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.39.29

Figure 7‑9 : La Créativité, du multiple à l’un, et les deux sortes de procès : téléologique et efficient, dans Procès et réalité.

On constate ici le mode de pensée spécifique de Whitehead, et le passage d’une notion à une autre pour tisser les notions entre elles, et favoriser la création de liens entre elles.

Il convient de faire une remarque sur le terme « d’actualisation ». Whitehead écrit « The macroscopic process is the transition from attained actuality to actuality in attainment. » Dominique Janicaud traduit invariablement actuality par actualisation, alors que le terme actuality signifie aussi tout simplement l’entité actuelle [18]. Il semble donc qu’il perde ici les nuances, pour la simple raison d’éviter toute confusion avec la substance d’Aristote.

« L’organisme » est la communauté des choses actuelles : il est le procès de production en mouvement pris comme unité du multiple.

D.W. Sherburne souligne que ces deux procès, macroscopique et microscopique sont les cas d’un procès unique : « il n’y a pas deux procès dans le système de Whitehead : il y a un unique procès, mais il est possible de le discuter dans deux perspectives différentes, dans deux contextes différents » [19].

La suite de la citation de Whitehead sur la différence entre procès et organisme est caractéristique de son mode de pensée : il permet une lecture à plusieurs niveaux et la création d’un « tissus de sens » qui invite le lecteur à des approfondissements en fonction des liens qu’il peut établir lui-même en résonance à la proposition faite. L’expression schématique est la suivante :

Capture d’écran 2016-04-17 à 08.40.02

Figure 7‑10 : La Créativité, du multiple à l’un, dans Procès et réalité.

________________________________________________________
Notes :

[1] Voir ci-après au chapitre 10-C le résumé de la démonstration d’Anne Fairchild Pomeroy.
[2] Pierre Calame, La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Ed. CLM, 2003, page 304. Il parle « du passage d’une démocratie de procédures, fixant le lieu et les formes de la décision, à une démocratie de processus, où s’identifient les grandes étapes de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation d’un projet collectif. Ce que j’appelle le cycle de la gouvernance ».
[3] Pierre Calame, idem, pages 304b, 305c, 307a, 311a, etc.
[4] Voir par exemple dans Éléments de géographie physique de Jean-Paul Amat, Lucien Dorize, Charles Le Cœur, Bréal, 2002, page 390d, à propos de l’adaptation des mangroves, de génération en génération.
[5] Pour les relations externes, Michel Lussault insiste à de très nombreuses reprises sur l’importance des distances et de la mesure « avec » l’espace (et non pas « dans » l’espace).
[6] Pour les relations internes, un exemple se trouve page 29b (« le vaste Monde souffrant entre en entier dans ma sphère personnelle »), même si à la page 101 il exprime qu’il « n’adhère pas facilement à l’idée que le Monde puisse en constituer un (lieu) ». Notons ici au passage une très rare référence à la notion de personne à travers le qualificatif de « personnelle » (au lieu d’acteur, ou actant, ou d’individu social).
[7] Page 52b : « Au cœur de l’expérience individuelle et sociale se tient le caractère radical du principe séparatif ». Mais cette radicalité est reconnue comme un artifice page 39 : « on saisit bien que cette partition est un artifice scientifique : toute réalité sociale, telle qu’elle s’appréhende au quotidien, combine toujours toutes les dimensions. Mais cet artifice est une condition de possibilité du travail de pensée de la société ».
[8] DGES, p.5.
[9] DGES, p.282b.
[10] Mode de pensée (MP), 180b (151).
[11] MP 207b (170).
[12] PR 52a.
[13] Michel Lussault exprime en note 1 de la page 85 « L’instantanéité communicationnelle instaure une métrique où le temps nécessaire pour assurer le contact n’est plus une donnée pertinente ». Voir le numéro spécial RGE sur la symétrie, Beyer A(dir.) 2007, La symétrie et ses doubles : approches géographiques, Nancy, RGE, 2, p.77-134.
[14] PR 210b et c. Voir aussi les commentaires d’Alix Parmentier (PhW 281) et de Jean-Marie Breuvart (PE 136).
[15] Cf le commentaire éclairant de J-C. Dumoncel dans l’article Whitehead ou le cosmos torrentiel (Arch. de Phil., 47, 1984, 569-89) : « La concrescence est le devenir rétrospectif au cours duquel l’occasion devient elle-même par préhension de son monde ambiant (cône arrière [du passé]). La transition est le devenir prospectif au cours duquel l’occasion présente est sacri­fiée aux occasions qui l’objectifient dans le cours de la constitution du monde futur (suivant les directions dont le cône avant [du futur] fait la gerbe). La tran­sition se fait par causalité efficiente entre occasions ; la concrescence met en jeu, pour chaque occasion, sa cause finale privée. Ainsi se dissipe l’antinomie de l’occasion à la fois monadique et analysable. L’occasion est l’atome de transition, mais elle est analysable en différentes phases de concrescence… [c’est] la dualité atome/organisme constitutive de l’occasion actuelle »
[16] PR 210b & c
[17] PR 214 e
[18] cf le lexique d’Alix Parmentier.
[19] Clés, glossaire, page 333 à l’article « procès ».

Chapitre 5 : Expérience de l’AITF, GT DST-Généraliste

Chapitre 5 : L’expérience de l’ingénieur territorial au sein de l’A.I.T.F. Grand-Est: passage des dynamiques des acteurs au procès.

Ce chapitre souhaite rendre compte du point de départ de la thèse, de son origine, et des questions que sa démarche provoque. Il est conçu de manière indépendante du mouvement général de la thèse, car il déchiffre l’expérience telle qu’elle s’est passée dans ce groupe professionnel précis. L’ordre de prise de conscience des dynamiques et de leurs relations n’est pas l’ordre d’exposition qui a été adopté aux chapitres 2 à 4. L’expérience relatée est un exemple de plus de la convergence des approches autour de cinq composantes principales de l’expérience.

Le point de départ de ce travail de thèse a été la remise de l’ouvrage Lunéville à travers les plans, de 1265 à 2000 , publié en 2000. Il s’agit d’un travail collégial coordonné et en grande partie rédigé sous ma direction. L’ingénieur territorial est enraciné dans sa commune. Il y acquiert une vision globale grâce à la rencontre quasi quotidienne des élus, des habitants, des services municipaux et autres acteurs de la ville. A l’interface entre la « matière » et les « propositions d’aménagement », il doit manipuler beaucoup de documents, rechercher l’histoire des équipements, des rues, des places pour créer du neuf étroitement articulé sur l’ancien.

Ayant décidé de poursuivre ce travail dans une thèse, la première idée a été de rendre compte du travail de transformation des territoires de l’ingénieur territorial ainsi que de l’expérience d’échange d’expériences des ingénieurs territoriaux du Grand Est entre 1998 et 2004, par la création avec Jean-Jacques Funke [1], en 1998, d’un groupe de travail « Ingénieurs généralistes » au sein de l’Association des Ingénieurs Territoriaux de France (AITF). Les grandes étapes des prises de conscience de ce groupe ont été indiquées dans l’introduction, à la section méthodologie. Ces étapes sont ici détaillées afin de montrer le plus finement possible la succession de ces prises de conscience collective, puis le point de départ personnel de la présente thèse, en vue d’approfondir des questions posées collectivement.

5.A. Les étapes de la recherche :

L’histoire qui est présentée ci-après est celle du commencement d’un passage.

  • Passage de l’isolement à une mise en réseau.
  • Passage du silence à une parole d’échange d’expériences.
  • Passage d’une technique d’application de procédure à une technique d’écoute, d’où émergeront des techniques ajustées aux usages, et de nouvelles approches participatives.

Au delà des réalisations, le principal passage est celui d’une pensée de spécialistes en techniques urbaines à une pensée généraliste. Au point de départ se trouve la réaction des ingénieurs des groupes de travail spécialisés, issus essentiellement des grandes villes : « Une pensée généraliste n’existe pas ! Le généraliste est celui qui monte en grade et « prend de la hauteur » !». Cette pensée entre en contraste avec le vécu des ingénieurs des petites et moyennes villes : ce vécu est généraliste de fait, non lié à la montée en grade. N’existe-t-il pas une science généraliste, qui puisse être le support de ce vécu de généraliste de fait, le support d’une activité organisée et le support de l’échange d’expérience ?

Voici le détail des sept étapes déjà citées de cette prise de conscience progressive des 3 dynamiques des collectivités territoriales : la dynamique des élus (politique), des services (organisation) et des usagers (usagers/citoyens).

Des liens entre les cinq réalités de chacune de ces dynamiques ont été tracés, jusqu’à constater que cinq « réalités d’expérience » apparaissent comme des invariants, ou des constantes dans toutes les dynamiques. La pratique montre que pour arriver à un changement (social ou territorial), ces réalités doivent fonctionner toutes ensemble. Mais comment s’articulent-elles entre elles ? L’étude du procès (le process anglais) permet d’expliciter ces liens, et d’exprimer le procès de transformation des territoires, avant son application au cas de la région « Entre Vosges et Ardennes ».

Les numérotations qui suivent sont à référer au tableau suivant (également présenté dans la méthodologie). Elles en marquent la continuité d’analyse. Les notions qui suivent ont déjà été exposées. La perspective ici est différente de l’exposition : elle est celle de la chronologie du vécu.

Capture d’écran 2016-04-16 à 17.26.55
Capture d’écran 2016-04-16 à 20.24.23

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.28.20 Capture d’écran 2016-04-16 à 20.29.15

Figure 5‑2: Schéma des étapes 1 à 4 de l’expérience au sein de l’AITF (juin 1998 à Juin 2004 )

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.44.26Capture d’écran 2016-04-16 à 20.45.32

Figure 5‑3 : Schéma des étapes 5 à 7 (juillet 2004 à Septembre 2007)

Cette analyse en 7 étape doit beaucoup à la pédagogie d’analyse des organismes PRH et HFC, et notamment au dialogue avec Francis Manet : les 7 étapes sont une reconstruction à postériori de l’expérience collective, pour tenter de la faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas vécue.

5.B. Étape 1 : La recherche géographique classique (1997-2000)

A cette étape, une recherche systématique a été faite dans les archives de la ville de Lunéville entre 1997 et 2000 pour rechercher tous les plans et documents produits depuis 1265 (date de franchise de la ville de Lunéville par la Charte de Beaumont), les répertorier, et les présenter dans un travail d’analyse diachronique et synchronique. Une analyse de la ville par fonction a également été réalisée, suivie d’une synthèse de l’évolution de la ville depuis 1265.

L’ingénieur territorial occupe une position privilégiée dans les collectivités territoriales pour réaliser ce travail de croisement entre les archives, le terrain, et le vécu de la cité à travers son histoire et dans l’actualité. Le résultat est un ouvrage au format A3 de 129 pages avec près de 50 plans. Cette étape m’a conduit à envisager de mener une thèse de géographie.

La recherche a d’abord porté sur les dynamiques des acteurs. Dans la présente étape, elle porte sur l’expérience des 3 dynamiques des collectivités (politique, d’organisation et des usagers). Cette phase se situe entre Juin 1998 et Juin 2004. Au cours de nombreux échanges formels ou informels, des partages ont eu lieu sur les expériences de chacun des membres du groupe de travail concernant les réalités des dynamiques. De l’expérience de ces réalités ont émergé progressivement des réalités d’expérience qui restent de même nature à travers toutes les dynamiques (réalité de la vision, des objectifs, des valeurs, des interactions, et de la structure). Ces réalités se retrouvent également dans la dynamique des territoires à l’étape 4. L’étape 5 fait part de l’intuition de la correspondance de chaque réalité avec les phases de concrescence du procès organique. De cette intuition est issue une proposition pour un procès whiteheadien de transformation des territoires aux étapes 6 & 7.

5.C. Étape 2 : Les 3 dynamiques des acteurs de la transformation des territoires : expériences des réalités de ces dynamiques (juin 1998 au 6 décembre 2001).

A cette étape ont été mises en évidence les 3 dynamiques de base des 3 acteurs principaux des Collectivités Territoriales : les élus, les services municipaux, les habitants (2000-2001).

L’auteur de cette thèse est de formation ingénieur en architecture et urbaniste. Or, le statut de la fonction publique territoriale ne connaît que les ingénieurs territoriaux (IT), et c’est sous cette appellation qu’il intègre les architectes et les urbanistes. L’université, elle, ne connaît que ses spécialités, par exemple celles de « géographie-aménagement » ou « géographie régionale ». Peuvent y adhérer les urbanistes, les aménageurs, et les développeurs de territoires. A qui s’adresse donc ce travail, en définitive ? à l’architecte ? à l’urbaniste ? au géographe ? à l’ingénieur ? La figure de base est l’ingénieur territorial (car les exemples sont tous situés dans l’organisation territoriale), avec un élargissement au fil du travail à tous les autres acteurs, jusqu’à proposer une approche géographique organique.

Un Groupe de Travail régional au sein de l’AITF a été lancé en Juin 1998 pour sortir de l’isolement les IT [9], partager l’expérience et la mutualiser. Le cadre pédagogique chargé de la formation, M. Bernard Poureyron, a mandaté un consultant international, M. Samir Toumi, pour faire un exposé introductif aux travaux du groupe (voir l’encadré ci-après). Cet exposé a permis de clarifier les invariants des structures municipales (la double structure élus / fonctionnaires) et les évolutions structurelles des collectivités (nouvelles finalités).

Le CNFPT fait appel à des formateurs extérieurs, et n’a pas de méthodologie spécifique pour la formation de réseaux de professionnels et l’échange/mutualisation/capitalisation d’expérience. L’outil PRH a été la formation relationnelle officielle. Cet outil se prolonge dans l‘outil pour les groupes de l’association Hommes Femmes dans la Cité (Brainville/Nancy). L’outil d’analyse de la dynamique de l’expérience de l’Association « Hommes Femmes dans la Cité » a été adoptée par le groupe, après expérimentation dans les premières rencontres. La validation de cet outil s’est faite au Congrès régional Est de l’AITF à Montbéliard en 2001. La méthodologie d’échange d’expérience a alors été trouvée dans les méthodes d’intelligence collective de la Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH) [10]. La Fondation pour le Progrès de l’Homme est connue internationalement pour la qualité de réflexion et d’action pour la mutualisation et capitalisation d’expérience, et la méthodologie de réseaux. Les Chromatiques whiteheadiennes sont des séminaires internationaux qui se réunissent à la Sorbonne : elles sont une tribune d’analyse critique des travaux des participants : le présent travail a été soumis à cette critique. Enfin, la petite association Terre & Cité fonde son approche sur une thèse menée par William Twitchett sous la direction de Paul Claval. L’Université joue donc ici le rôle d’unifier la diversité (uni-versité) : le présent travail est une mise en relation la plus rigoureuse possible entre les éléments cités.

Le groupe de travail régional est devenu un nouveau groupe de travail national en 2003 (premier groupe de travail orienté vers le métier d’ingénieur territorial généraliste parmi les 16 groupes techniques existants. Le généraliste est souvent « DST » -Directeur des Services Techniques)-).

Le groupe réunit des techniciens ayant à s’investir dans les villes de 10 000 habitants à 45 000 habitants, élargi aujourd’hui aux villes de plus de 8 000 habitants, soit 92 villes sur le Grand-Est (9 départements).

Le groupe a médité au long des années sur le métier d’ingénieur généraliste, au point de faire sienne cette remarque de A.N. Whitehead : « Il revient aux sciences particulières de modifier le sens commun. La philosophie est l’union de l’imagination et du sens commun réfrénant les ardeurs des spécialistes tout en élargissant le champ de leur imagination ». (PR17). Cette philosophie a un caractère scientifique (rappelons que Whitehead a été mathématicien pendant 40 ans) et peut devenir celle des ingénieurs généralistes …

Notre conviction est que l’ingénieur généraliste pourrait avoir un statut, un métier (une pratique) et un champ de compétence (l’ingénierie territoriale) avec pour outil généraliste une approche scientifique généraliste. Cette approche scientifique a d’abord pris la figure des dynamiques des acteurs dans la présente étape. Elle prendra la figure de la dynamique des territoires à l’étape 4 puis du procès organique à l’étape 5, et d’une proposition pour un procès whiteheadien de transformation des territoires aux étapes 6 & 7.

Une thèse de géographie ne pouvait être purement descriptive : elle doit expliciter ses présupposés méthodologiques et ses références de base, et parler autant des acteurs de la transformation du territoire que du territoire transformé lui-même. La dynamique de transformation des territoires apparaît dans cette interaction, pour être concrète.

Souvent dans les communes ces trois types d’acteurs sont bien séparés : un ingénieur ne se mêle pas de politique et applique les décisions des élus, un élu ne s’occupe pas de gérer les services (même si la tentation est grande), et les habitants sont consultés pour leur présenter les projets dans les réunions de riverains, et exprimer leurs souhaits dans les réunions de quartier. Beaucoup de petites et moyennes villes fonctionnent ainsi, avec toutes les nuances possibles.

Cette étape est la tentative de formulation de la dynamique des acteurs au service de la transformation des territoires. L’expérience est celle de l’ingénieur territorial, dans sa pratique quotidienne, dans les petites et moyennes villes.

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.54.05

Figure 5‑4 : Les finalités des collectivités et les changements structurels en cours : passage de l’expertise technique à l’expertise managériale. Source : CNFPT, Samir Toumi, consultant.

Le consultant du CNPFT, Samir Toumi, a clairement situé avec le document ci dessus la perspective de travail du nouveau groupe des ingénieurs et techniciens généralistes de l’Est de la France. L’apport principal est d’apprendre à distinguer les disfonctionnement qui viennent de l’évolution structurelle des services techniques en France d’avec les éventuelles difficulté personnelles des Directeur des Services Techniques.

Les acteurs principaux de la Cité sont les élus, les services municipaux (représentés ici par l’ingénieur), et les habitants. Chacun de ces acteurs a sa dynamique : dynamique politique pour les élus, dynamique d’organisation pour les services municipaux, et dynamique citoyenne/territoriale pour les habitants.

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.55.50

Figure 5‑5 : Schéma de la lecture structurelle des collectivités. Source : CNFPT, Samir Toumi, consultant.

Très naturellement, on trouve donc les trois dynamiques correspondant à chacune des trois entités structurelle de la collectivité : la dynamique des élus, des services municipaux, et des usagers/habitants/citoyens.

La tentative de formulation de la dynamique des acteurs au service de la transformation des territoires demeure une étape essentielle. Elle met en avant l’expérience de l’ingénieur territorial, dans sa pratique quotidienne, au sein des petites et moyennes villes.

Un rapprochement a été fait à cette étape entre l’exposé de Samir Toumi et les trois dynamiques des ateliers de la Fondation Hommes Femmes dans la Cité : la dynamique politique de l’atelier « La Cité, réalité politique », la dynamique d’organisation de l’atelier « Hommes, Femmes dans la Cité » et la dynamique du citoyen (usager ou habitant) dans l’atelier « Le Citoyen au quotidien ».

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.56.52

Figure 5‑6 : Les trois dynamiques des élus, des services et des usagers.

A cette étape, les trois dynamiques sont bien séparées. Il n’est pas rare d’entendre chacun veiller scrupuleusement sur « ses prérogatives », et bien cloisonner les fonctionnements. Il n’est pas rare d’entendre « les services sont là pour exécuter, il ne faut surtout pas se mêler de politique ». Il est d’ailleurs une tradition :les DST doivent rester neutres afin de pouvoir continuer à fonctionner le lendemain d’élections, même si la municipalité a changé.

Pourtant, le métier d’ingénieur territorial est tout entier relation(s) et événement(s). C’est de la maîtrise de la trame des relations et des événements et du croisement des expériences que peut naître du neuf, concrétisé par la prise de nouvelles décisions mise au service de la progression de la collectivité. En même temps, l’ingénieur offre une expertise technique, basé sur les « sciences dures ». La fierté d’un ingénieur est de réaliser les opérations décidées par les élus dans un esprit cartésien. Dès lors, il doit apprendre à conjuguer procédures et relations.

Cette conjugaison l’oblige à remettre en cause les présupposés scientifiques qui ne sont pas en harmonie avec les relations et avec les événements. Toutes ses propositions aux élus conjuguent ainsi science, techniques, relations et événements. L’ingénieur territorial replace la science et la technique dans l’ensemble des pures possibilités du monde. Il se laisse guider par les valeurs qui actualisent ces possibilités et donne aux élus une précieuse aide à la décision. Cela réclame une attention au réel pour en saisir les possibilités et proposer aux élus des avancées de la collectivité. Ils ne prennent pas de décision à leur place. Pour autant, ils prennent en compte tout le réel, y compris politique, dans l’aide à la décision. L’art de l’ingénieur réside dans l’art des propositions et l’Art de la gouvernance, ou ingénierie institutionnelle. Il travaille sur les mêmes dynamiques que l’élu, ou l’habitant, avec un point de vue différent et une culture différente. Cela oblige à L’intelligence de l’autre (titre d’un livre récent de Michel Sauquet [11]). Les propositions ne se font pas sans participation au débat politique, et l’ingénierie institutionnelle ne se fait pas sans écoute des services, habitants et usagers.

Notre conviction à ce stade est que l’ingénieur généraliste pourrait avoir un vrai métier, amenant à appréhender de façon globale, systémique et organique le territoire qui est le sien. Or, ainsi que l’explique avec clarté Edmond Bonnefoy [12], un métier comporte trois éléments :

  • un statut,
  • une pratique
  • un champ de compétence

Force est de constater à ce jour que si l’ingénieur territorial a une situation et une pratique, son champ de compétence n’est pas clairement défini (manager urbain / manager territorial ? aménageur / géographe ? technicien / expert ? ). Le titre de « généraliste » a existé, et figurait aux options du concours d’ingénieur avant 2002. Mais l’absence de contenu scientifique à cette option a conduit à la supprimer. La présente thèse voudrait contribuer à créer ce contenu scientifique pour inviter à réintroduire l’option généraliste aux concours d’ingénieurs. Ce contenu reste à construire autour des notions de systèmes et d’organisme. A l’inverse, l’agent de développement territorial a un champ de compétence et une pratique en rapide évolution, mais sa situation dans les collectivités ne s’est clarifiée que depuis peu [13]. L’urbaniste s’est doté d’un référentiel au sein de l’Office Public de Qualification des Urbanistes [14]. Pour le géographe, au sein des Universités, la Charte de l’APERAU [15] offre également un référentiel. Au sein de cet univers fragmenté de l’urbanisme en France, seul l’ingénieur territorial semble absent, tant de l’Union Nationale des Associations de Développement Local (UNADEL), de l’Association Pour l’Enseignement et la Recherche en Aménagement et Urbanisme (APERAU) que du Conseil Français des Urbanistes (CFDU). Une déclaration commune de Claude Bastouil (Président de l’AITF) et de Bernard Lensel (Président d’Urbaniste des Territoires – UT-) en mai 2004 montre pourtant le partage des questions communes sur l’avenir des métiers territoriaux.

L’ingénieur est au cœur des dynamiques politique, d’organisation et territoriale. Il ne peut pas séparer son action de transformation des territoires de l’expérience personnelle et collective. En effet, il est impliqué dans des projets nouveaux (par exemple, plan de stationnement du Centre-Ville ou création d’un réseau de transport public à Lunéville) sans disposer de données autres que celles qu’il constitue et institue dans ses relations avec les élus, les habitants et les usagers.

Depuis la création du groupe de travail régional Est, la conviction collective est que seule une démarche de formulation du métier relatif au territoire, sans entrer dans les considérations de hiérarchie municipale, correspond à la réalité du métier : de fait, l’analyse fonctionnelle de fait le montre.

La présente thèse voudrait contribuer à l’élaboration d’un outil généraliste sur une base scientifique clairement établie. Sur ces bases pourra se développer une analyse des dynamiques des acteurs avec l’approche HFC, une ingénierie institutionnelle dont Pierre Calame a d’ores et déjà tracé les grands traits dans ses derniers travaux [16], et une capacité à exprimer les potentialités d’un territoire avec l’approche T&C [17].

La fonction assurée au sein des Collectivités Territoriales amène à se poser la question de cette « science généraliste ». Cette question est en filigrane des 14 rencontres du groupe de travail du Grand-Est entre le 16 septembre 1998 à Vandoeuvre, et le 6 décembre 2001 à Sarreguemines. Le fruit de ces travaux a été présenté au Congrès régional Est des 12 et 13 octobre 2001 à Audincourt-Pays de Montbéliard. Le compte-rendu des 14 réunions, les documents préparatoires (environ 30 000 pages en fichiers interactifs) et le bilan du Congrès sont présents en intégralité dans un CDROM qui figure en annexe 2 [18]. Les deux dernières démarches de concertation intégrées dans la présente thèse ont été effectuées lors de la rencontre d’Angers du 31 mars 2004 (28 personnes) et l’atelier « ingénieurs généralistes) du congrès de Perpignan le 10 juin 2004 (58 personnes). Une première ébauche de la boîte à outil de l’ingénieur territorial généraliste a été présentée au Congrès de l’Association Internationale des Urbanistes à Genève en septembre 2004.

Une thèse de géographie peut prendre pour départ une approche descriptive, mais doit expliciter ses présupposés méthodologiques et ses références de base, parler autant des acteurs de la transformation du territoire que du territoire transformé lui-même. Pour être concrète, la dynamique de transformation des territoires doit apparaître dans cette interaction. Elle apparaîtra à l’étape 4, avec l’expérience de l’Agglomération transfrontalière de Sarrebruck-Moselle Est.

5.D. Étape 3 : Passage de l’expérience des 5 réalités de chaque dynamique (6 déc 2001 à avril 2003) au constat de 5 « réalités d’expérience » de toutes les dynamiques

Cette étape est celle de la prise de conscience d’une même dynamique pour tous les acteurs, autour des 5 « réalités d’expérience » mentionnées ci-dessus [19]. Ainsi, on passe de l’expérience de l’échange d’expériences d’un certain nombre de réalités en étape 2 aux cinq « réalités d’expérience » de la présente étape. Ces réalités d’expérience rejoignent le développement local. Elles doivent être simultanées pour obtenir une efficacité d’action des acteurs et de la transformation des territoires. (2001-2003). Un « saut de l’imagination » est ici nécessaire pour réaliser cette généralisation.

Passage de l’expérience des réalités aux 5 réalités d’expérience de toutes les dynamiques :

Il semble qu’il y ait quelque chose d’universel dans ces 5 réalités que l’on retrouve partout. En les numérotant de R1 à R5 (R1=Vision, R2=Objectifs, R3=Valeurs, R4= Interactions, R5=Structure), il est possible d’émailler les marges des livres de géographie des signes de la réalité traitée : on découvre vite que les 5 réalités se retrouvent dans toutes les recherches, avec des nuances d’expression dues aux points de vue et aux perspectives différentes des auteurs. C’est à cette étape qu’il a été constaté la correspondance des réalités dans les différences dynamiques, alors que leur nombre et leur dénomination sont issus de la pratique. Cette constatation est le fruit d’un « savoir pratique », en grande partie oral, hormis quelques supports pédagogiques. Les questions ont été nombreuses : ces réalités sont-elles structurées dans un ordre précis ? Comment s’articulent-elles ?

Ces questions ont été travaillées dans le groupe de travail régional Grand-Est de l’AITF. Le groupe a fonctionné de janvier 1998 à Juin 2003, date à laquelle il est devenu un nouveau groupe de travail national en 2003-2004, le premier orienté « métier » dans une approche généraliste (transdiciplinaire), sous la présidence de Claude Bastouill

A cette étape a eu lieu le Congrès de Montbéliard [20], organisé par J-J. Funke, Claude Mainpin et Philippe Vaillant en lien avec Patrick Berthenand d’Audincourt. Le CDROM est joint en annexe 02. Ce fut l’objet d’un travail de suivi fait par l’AITF, section Grand-Est, assistée de Gérard Vautrin, sociologue à l’Université-CUCES de Nancy. Cet auteur a conforté l’analyse des trois dynamiques lors de ce Congrès et lors de l’introduction aux ateliers du Congrès AITF Grand-Est de Sarreguemines en 2002. Ce dernier Congrès, organisé par Bruno Neiss et Christian Kieny, marque la prise de responsabilité de responsables de petites et moyennes villes dans l’organisation régionale de l’AITF, jusque là animée en Grand Est uniquement par les responsables de grandes villes.

C’est à cette étape qu’est apparue la correspondance horizontale des trois dynamiques des collectivités territoriales. Cette correspondance est obtenue en mettant en tableau les dynamiques, suivant le schéma n°3 du tableau de synthèse en tête de chapitre.

Cette tranche de vie relève de la prise de conscience que la logique d’acteurs s’applique aussi aux territoires à travers la dynamique du développement local et à travers la dynamique territoriale. L’Étude de préfiguration de l’agglomération transfrontalière de Saarbrücken-Moselle-Est a permis cette prise de conscience.

Capture d’écran 2016-04-16 à 20.58.40

Figure 5‑7 : Schéma de l’étape 3 : passage de l’expérience des réalités aux 5 réalités d’expérience

Ce travail de différentiation des dynamiques suivant les acteurs d’un côté, et de rapprochements des dynamiques de l’autre n’est pas sans rappeler la démarche de Michel Sauquet dans L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun [21], sur les thèmes propres à la présente thèse. Il analyse finement les liens psycho-sociologiques entre les acteurs, et l’articulation entre les notions communes et leur utilisation différenciée. Il aide au passage entre les deux.

Au-delà de la logique des acteurs qui a des conséquences sur le territoire, le territoire par lui-même a une logique de développement, une dynamique de transformation. On passe ici le cap de la géographie, c’est à dire du mécanisme de transformation des territoires. « Les 5 critères doivent être réunis simultanément pour pouvoir créer l’agglomération transfrontalière de Saarbrücken/Moselle Est » (J. Degermann, Étude de préfiguration). Pourtant, dans le quotidien, tout sépare ces critères (réalités), et ils sont dans la pratique considérés isolément.

Quelle géographie permettra d’approfondir la dynamique des territoires en rendant compte simultanément des 5 réalités ? Force est de constater qu’il existe plusieurs géographies : une géographie empirique/descriptive, une géographie prospective, une géographie/aménagement, et une géographie d’analyse spatiale qui se veut scientifique. Dès lors se pose la question des liens entre ces différentes approches. Les géographes qui veulent faire un travail scientifique pour intégrer l’expérience, le vécu (par exemple Guy Di Méo & Pascal Buléon), buttent sur « la dichotomie du matériel et de l’idéel ». Ils tentent une réponse avec le soutien de Maurice Godelier qui travaille dans le champ de l’anthropologie. L’approche anthropologique de ce dernier montre l’imbrication du matériel et de l’idéel. Mais il semble que la réponse à ces questions soit plus dans le champ de la philosophie que de l’anthropologie. Régis Debray répond à Maurice Godelier dans sa Critique de la raison politique[22], et place clairement la question dans le champ de la philosophie. La « dichotomie du matériel et de l’idéel » vient directement de l’ontologie dualiste cartésienne qui décrète arbitrairement « la séparation entre la substance pensante et la substance étendue ».

La prise de conscience relève ici de la nécessité d’une ontologie non dualiste pour approfondir une géographie à partir de l’expérience et découvrir des liens entre les 4 approches énoncées, afin qu’elles contribuent à s’enrichir les unes aux autres. Cette ontologie doit réunir les éléments de la dynamique, les articuler étroitement entre elles, sans dissocier le « physique/matériel » de « l’idée ».

Ces 5 réalités d’expérience sont ici présentées de façon pédagogique suivant l’ordre des phases du procès, pour préparer l’interprétation en termes de pensée organique (voir le schéma n°3 du tableau de synthèse en tête de chapitre).

5.E. Étape 4 : Lancement du réseau national. Les fiches d’échange d’expérience. Prise de conscience du cercle des activités humaines, sociétales, territoriales & naturelles. (mai 2003 à juin 2004)

Cette étape est celle de la mise au point des fiches d’expériences dans la préparation des réunions du Groupe de travail et dans la préparation des Congrès. C’est de la capacité de rédaction de telles fiches que dépendent la possibilité et la qualité de l’échange d’expérience, la mutualisation, et la capitalisation. Toute l’organisation de l’intelligence collective en dépend.

Le soutien du CNFPT, l’outil d’analyse de HFC et l’apport des travaux de la FPH (à travers le réseau d’échange d’expérience DPH [23]) ont été déterminants pour permettre l’apprentissage de l’écriture de l’expérience et la mise en commun. En préparation du Congrès AITF de Perpignan de Juin 2004, et en synthèse des années d’expérimentation des étapes 2 & 3, les premières fiches d’expérience, et fiches méthodologiques ont été produites. Ces fiches sont jointes en annexe 02 et 05. Elles se trouvent sur le site de l’AITF [24]. Une fiche est fournie en exemple sur les pages qui suivent. Toutes les fiches sont produites intégralement dans l’annexe 02a, b & c.

Le schéma de synthèse de cette étape est le suivant :

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.00.52

Figure 5‑8 : Schéma de synthèse de l’étape 4: l’échange d’expérience et la mutualisation.

Le congrès de Perpignan a été un franc succès de participation (59 personnes). Ce succès nécessite une organisation adéquate qui reste à inventer, comme un conseil scientifique interne avec un noyau de quelques personnes chargées de recevoir les fiches d’expériences, de permettre leur finalisation leur validation, et leur mise en ligne pour la transmission.

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.02.04

Figure 5‑9 : La liste des fiches d’expérience consultable sur le site de l’AITF à la rubrique (GT DST des petites villes) (Mai 2008), et l’exemple de la fiche n°4 du 08/02/2005 (p.158-159).

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.07.23  Capture d’écran 2016-04-16 à 21.08.13
Capture d’écran 2016-04-16 à 21.08.59

5.F. Étape 5 : Intuition d’une correspondance entre les 5 réalités et les phases du procès. Découverte du procès organique. Géographie et expérience (Guy di Méo, Eric Dardel) (juil. 2004 à Oct. 2004) :

Cette étape est celle de l’intuition d’une correspondance entre les 5 réalités d’expérience (identifiées à l’étape 3) et les phases du procès de concrescence organique.

Simultanément, l’importance des cercles d’activité (Passet) présentés en début de chapitre 3 et détaillés en partie III (chapitre 13.E., p.386 & 389) s’est imposé afin d’éviter les ambiguïtés du développement durable.

L’approfondissement du procès organique permet de montrer comment les 5 réalités d’expérience sont réunies dans le procès organique. Ces réalités croissent ensemble : elles sont concrescentes (co-croissantes). (Avril 2002). Le procès permet d’expliquer l’expérience, et pourrait devenir la base d’un langage commun entre les différentes approches (été 2007).

La pensée organique d’A.N. Whitehead prend toute son importance à partir de la définition d’une occasion actuelle d’expérience, aussi appelée goutte d’expérience par William James, qui est une analyse génétique du procès de concrescence (co-croissance) de tous les éléments appréhendés dans la réalité au cours de 5 phases logiques :

  • a– appréhension du réel (phase « matérielle »), ou préhension physique* (en enlevant le préfixe « ap »).
  • b– appréhension des potentialités pures ou générales (phase « idéelle »), ou préhension conceptuelle *.
  • c– propositions qui sont la combinaison/intégration des deux phases précédentes,
  • d– choix/décision dans un jugement entre les propositions, et
  • esatisfaction*.

On reconnaît vite, dans un ordre différent, les réalités de la dynamique, qui se retrouvent dans l’ordre respectif suivant : interactions, vision, objectifs, valeur (au sens de jugement), structure. Il convient de noter que dans la goutte d’expérience, la valeur est partout, reprise entre toutes les phases, par l’« évaluation ». C’est une valeur au sens de « ce qui a de l’importance », sans entrer dans le contenu qui change suivant les personnes et les cultures. La valeur fait partie du lien entre les réalités. En ce sens, elle est une réalité d’expérience, mais pas une phase. Le présent travail montrera que la valeur est la saisie d’une potentialité, le passage d’une préhension physique  à une préhension conceptuelle . D’autre part, la satisfaction n’existe qu’une fois dépassée : « et ainsi jamais complètement n’est » disait Platon dans le Timée. Cette double difficulté à propos de la valeur et de la satisfaction conduira

  • à expliquer la distinction entre les catégories d’existence (les interactions, les potentialités, les propositions, la décision) et les catégories d’obligation (notamment les valeurs, résultats de l’évaluation)
  • à expliquer comment satisfaction et transition* d’une goutte d’expérience à une autre sont liées.

C’est ainsi que l’on passe du schéma de l’étape 3 au schéma ci-dessous :

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.13.29

Figure 5‑10 : Schéma de l’étape 5 : passage des réalités d’expériences aux phases du procès organique

La pensée organique (qui est à la fois une philosophie et une science) répond directement à la question du dépassement du dualisme cartésien, par une critique nuancée de Descartes : réforme de son principe subjectiviste, rejet de sa séparation arbitraire entre substance pensante et substance étendue, et développement de sa notion de res verae, lesquelles ne sont autres que les « gouttes d’expérience », ou occasions actuelles d’expérience. Cette démarche a le mérite de nous faire redécouvrir notre propre culture, et de l’approfondir avec un sens critique, sans tout rejeter en bloc. Whitehead dit « réaliser le rêve de Descartes ». Au-delà de la pointe d’exagération (compte tenu de l’importance de la réforme), la volonté d’enracinement dans la culture moderne classique est clairement affirmée. Une notion nouvelle ainsi enracinée aura en principe plus de chance d’être entendue et acceptée.

Cette approche organique n’est pas uniquement un système (Bertalanffy, Le Moigne): c’est une mise en lien, une mise en tension qui est toujours remise en cause en fonction des faits premiers. Si des faits nouveaux arrivent, ils peuvent faire bouger les éléments du procès, voire faire changer le schème explicatif. La référence ultime est l’expérience. Et l’expérience, en définitive, ne peut être que personnelle [25], dans une tension constante entre le flux et la permanence. Ludwig Von Bertalanffy, le père de la systémique, précise d’ailleurs dans son œuvre maîtresse que le système n’est que le cœur de la révolution organique [26].

La philosophie organique examine ces notions, que tout le monde emploie en pratique sans jamais les expliciter, et les organise dans un schème explicatif global, ayant pour critère les notions du noyau dur du sens commun *. Le noyau dur du sens commun est ce que tout le monde présuppose en pratique même s’il le nie verbalement  [27]. Par exemple, les termes d’« appréhension du réel » et de « processus » sont des mots que tout le monde emploie, alors qu’ils ne sont pas explicités en eux-mêmes, et leur utilisation peut être contradictoire avec la théorie exposée. Ainsi, le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés fait figurer le processus à l’index avec 354 entrées, mais le processus n’est pas une rubrique par lui-même.

Un approfondissement de la notion de procès organique aboutit à un schéma de la dynamique de la concrescence qui rend compte des 5 réalités. Ce schéma permet-il d’expliquer l’expérience concrète, au niveau de l’homme, de la société et des territoires ? Est-il vraiment universel au sens d’expliquer les faits concrets ? Seule une confrontation concrète avec l’expérience à ces trois niveaux peut esquisser une réponse.

Pour réaliser cette confrontation, le schéma du procès a été mis sous forme de questions pour interroger l’expérience (chapitres 2 et 3). C’est le « schéma de questionnement » de la partie I : il présupposerait un petit exposé rapide de ce qu’est le procès, ce qui a été fait à la fin du chapitre 2.

Une première approche rapide du procès est donc nécessaire pour comprendre l’enjeu de ce schéma de questionnement. L’enjeu est de bien faire le lien entre ce schéma à la fois scientifique et philosophique et l’expérience concrète au niveau de l’homme, de la société et des territoires.

Le but n’est pas de tout ramener au procès, le but est de tester la notion de procès pour rendre compte de sa capacité explicative dans le domaine de recherche de la présente thèse.

Cette étape tente d’évaluer la pertinence de la notion de procès, et de tracer les liens avec les travaux des géographes, architectes, urbanistes, ingénieurs. Cette confrontation permet indirectement de tracer des liens entre ces 4 approches des territoires. Le résultat pourrait être une avancée vers un langage commun. Ce langage commun, toujours ouvert, basé sur la relation et les réalités d’expérience, est le véritable enjeu de notre travail.

Est-ce la seule démarche ? Les autres démarches sont nombreuses : matérialisme dialectique (Marx, …), structuralisme génétique (Lévy-Strauss, Piaget, …), phénoménologie existentielle (Husserl, Heidegger, …). A notre connaissance, elles n’abordent pas la question du dépassement du dualisme à partir des acquis de la science d’aujourd’hui, c’est à dire de la relativité et de la mécanique quantique, et de l’examen critique et constructif de l’apport de Descartes à la modernité. Avec la pensée organique, des liens se tissent entre philosophie, science et géographie. Le choix de cette ontologie vient de l’attention portée à la science par la formation scientifique et le statut d’ingénieur territorial. Ce choix est conforté par l’ensemble des liens possibles avec toutes les autres démarches citées ci-dessus, par l’unité de son approche, sa valeur pédagogique et son applicabilité à la géographie.

En géographie, il existe déjà une démarche exemplaire, qui est celle d’Augustin Berque. En première approche, les liens et les rapprochements avec la pensée organique sont nombreux [28]. Quelles sont les remises en cause de cette façon de penser ? Comment éviter de retomber dans la séparation des notions, la perte des relations entre tous les éléments ? Pour répondre à ces nouvelles questions, il est nécessaire d’approfondir le procès par lui-même, en puisant des exemples dans l’expérience.

Ici, l’ingénieur territorial a franchi les frontières d’autres domaines pour arriver au domaine de la philosophie et de l’articulation de la philosophie avec la géographie. Il est confronté à une approche nouvelle, le procès organique, qui correspond bien à sa pratique de terrain et qui est solidement fondé scientifiquement et philosophiquement, mais peu ou pas employé dans la réflexion sur la géographie actuelle.

5.G. Étape 6 : Approfondissement technique du procès organique appliqué à la géographie : une ontologie qui fonde la démarche géographique. (nov. 2004 à avril 2007).

Ce n’est que très progressivement que s’éclairera le lien entre ces réalités et les 5 phases de la concrescence organique. Ces réalités se révéleront de même nature ontologique que les phases de la concrescence « a », « b », « c », « d », « ab » étant le vecteur d’appréhension entre « a » et « b » (la démonstration est faite à l’étape 6). La pratique rejoint donc l’analyse de la pensée organique. Les termes des réalités sont fixés par la pratique, et se trouvent confirmés dans leur pertinence par l’analyse de l’expérience par Whitehead.

Cette prise de conscience étant faite, comment dès lors travailler à un langage commun pour approfondir cette notion de dynamique, et comment, surtout, réunir ces dynamiques dans une notion qui crée les liens entre elles, au lieu de les maintenir séparées ? L’exemple d’un Conseil Municipal où les trois dynamiques coexistent, voire se confrontent, permet d’entrer dans la compréhension de ces liens. Il s’agit d’une étape d’approfondissement technique du procès organique appliqué à la géographie, et du cheminement vers un procès whiteheadien de transformation des territoires. Voici le schéma du procès organique :

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.14.30

Figure 5‑11 : Schéma de l’étape 6: détail des phases du procès organique de transformation des territoires

Cette schématisation est la tentative de synthétiser un exposé technique du procès en puisant les exemples concrets dans l’expérience. La volonté est pédagogique. L’enjeu est d’expliquer le contenu des termes de dynamique et de processus, employés de façon surabondante, mais généralement sans explication. Proposer une explication oblige à dépasser la barrière de l’opacité de l’évidence (Lussault, Perec [29]). Elle montre l’ampleur de la remise en cause qu’impliquent les relations entre les 5 réalités d’expérience constitutives des dynamiques et des processus. Citons les trois principales questions formulées :

  • le rejet de la notion de substance inerte,
  • le rejet de la notion de perception limitée à la seule perception sensible,
  • le rejet de la notion de représentation : la carte n’est pas le territoire.

Cette étape est présentée dans les derniers chapitres de la partie II.

5.H. Étape 7 : Application géographique à la région « Entre Vosges et Ardennes » :.

C’est l’étape du retour à la géographie : le procès est une réponse philosophique à la question géographique . En quoi le procès peut-il contribuer à la géographie ? Le procès permet-il de fournir un langage commun à beaucoup de démarches urbanistiques et géographiques ?.Le but de la démarche a été de contribuer à la compréhension et à la mise en œuvre de la dynamique de transformation des territoires.

L’explication technique du procès organique rend possible une explication de plusieurs notions générales (espace, temps, …) et de plusieurs notions géographiques (territoire, lieu, paysage, …). Ce sont des notions géographiques qui ne se laissent pas diviser. Le procès organique permet également de rendre compte de plusieurs démarches géographiques existantes, et de mieux les situer les unes par rapport aux autres, pour mieux saisir leur contribution à la dynamique de transformation du territoire. Le procès apporte un éclairage nouveau sur les évolutions actuelles en urbanisme, à la suite de William Twitchett, de Patrice Braconnier, de Thierry Paquot, de Guy Di Méo, d’Augustin Berque, d’Eric Dardel, et des poètes (Julien Gracq [30]).

La démarche énoncée cherche son application dans les études régionales qui peuvent se dérouler selon les quatre phases du procès:

  • a/ L’(ap)préhension de la situation et des relations
  • b/ L’(ap)préhension des possibilités nouvelles, ou potentialités générales
  • c/ L’élaboration de propositions ou potentialités hybrides.
  • d/ La mise en œuvre de structures ou dispositifs de gouvernance ou potentialité réelle.

L’idée neuve est que les notions de potentialité et de valeur font partie intégrante de la démarche géographique, appuyée sur l’expérience. L’ingénieur territorial trouve un fondement scientifique à l’approche de la dynamique de transformation des territoires. L’architecte-Urbaniste trouve un lien fort et incontournable entre ses propositions d’aménagement et la prospective d’un côté, et la géographie d’analyse spatiale de l’autre. Le géographe trouve un fondement à la fois scientifique et ontologique à sa discipline.

L’étude de la région émergente « Entre Vosges et Ardennes » nous servira d’application concrète.

Capture d’écran 2016-04-16 à 21.15.41

Figure 5‑12 : Schéma de l’étape 7: l’étude de la région « Entre Vosges et Ardennes »

Cette étape est développée dans toute la partie III.

5.I. Conclusion générale de la partie I

Le chapitre 5 est le récit de « comment s’est réellement passée la recherche » au sein du Groupe de Travail des ingénieurs généralistes du Grand-Est français, puis au niveau national. La conclusion générale ne diffère pas de la conclusion du chapitre 4. Il était toutefois indiqpensable de réaliser ce chapitre 5, car l’enjeu est la compréhension du passage du particulier au général. En effet, tout travail de généralisation à partir de l’expérience butte sur la transmission de l’expérience elle-même, pour faire passer l’idée générale. Ou l’explication se noie dans les détails sans transmettre le message d’ensemble, ou le message d’ensemble devient abstrait et « sans chair », rendant ainsi abstrait et sans âme ce qui est pourtant le fruit d’une expérience de terrain. La présente thèse a pris le risque de se placer à l’articulation de ces deux premiers pôles de l’expérience : les données de terrain et la généralisation de ces données.

Sans reprendre les conclusions de la partie 4, nous pouvons dire que nous observons une convergence de l’analyse de l’expérience autour des cinq réalités principales que sont les interactions, la vision (ou potentialités), les propositions (ou objectifs) et la réalisation (la mise en œuvre, le geste à poser).

C’est en partie II que nous développerons sur la base du même schéma, éventuellement modifié et complété par les recherches qui vont suivre [31], les travaux sur la structure de l’expérience de Whitehead, sur la base de ses références à Aristote, Descartes, Hume et Kant. Nous développerons les liens qui nous semblent assez étroits entre son approche expérientielle et l’œuvre d’Eric Dardel L’homme et la terre (il cite Whitehead page 54). Nous proposerons une réponse à la question de « la dichotomie du matériel et de l’idéel » de Guy Di Méo, et nous montrerons comment le procès organique whiteheadien approfondit l’analyse de l’expérience géographique et des territoires dans le prolongement des analyses de Rodrigo Vidal-Rojas. Les exemples seront puisés dans le « réservoir d’expérience » de la partie I. Nous verrons de quelle façon les travaux de Thierry Paquot, Michel Lussault, François Ascher, Guy Di Méo, Augustin Berque, William Twitchett contribuent à cette approche. Un tableau de déchiffrage de ce que nous proposerons d’appeler un urbanisme transmoderne récapitulera les travaux de la partie II.

____________________________________________________________
Notes :

[1] Directeur des Services Techniques de Pont-à-Mousson en 1998, et actuellement Directeur Technique de la Communauté de Communes de Pont-à-Mousson.
[2] Voir annexe 01 : Publication de 129 pages A3 avec plus de 35 plans de ville.
[3] Voir annexe 02 : Liste des 14 réunions ; CDROM du Congrès de Montbéliard élaboré avec le GRETA de Lunéville ; 25 études de cas, 30 000 pages de documents organisés suivant les 5 dynamiques.
[4] Voir annexe 03 : Etude de préfiguration de l’agglomération transfrontalière dans son intégralité.
[5] Voir annexe 04. : CR d’Angers et fiches de Perpignan.
[6] Voir annexe 05 : 5 fiches et intervention sur le « Génie territorial » au Congrès AIU de Genève en Octobre 2004
[7] Voir annexe 06 : Interventions aux Chromatiques whiteheadiennes (CW) de septembre 06 et Avril 07
[8] Voir annexe 07 : Intervention géographique au Congrès de l’AIU de septembre 2007 à Anvers.
[9] Solitude d’autant plus forte qu’à l’époque, Internet ne s’était pas encore généralisé.
[10] Cette Fondation a fait du territoire la brique de base de la gouvernance, avec une reconnaissance du ministère de l’Equipement pour cette démarche :
http://www.institut-gouvernance.org/fr/document/fiche-document-29.html
http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-5195.html
Voir en annexe n°2 le CDROM congrès de Montbéliard. Cliquer dans « Ateliers » ou « Dynamique » dans la rubrique « Tenir le cap », puis choisir dans la sous-rubrique « Les textes de référence » les éléments suivants :
F.001 Repenser les territoires de Claude BASTOUILL et de Pierre CALAME :
F0102 Voir page 13 du document du Ministère de l’Equipement suivant « Le territoire, Brique de base de la gouvernance »
[11] Michel Sauquet, L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, Éditions ECLM, 2008, 207, 331 p.
[12] Travaux au sein de l’Association Internationale des Urbanistes, délégation française, en 1999-2000.
[13] Voir sur le site de l’UNADEL le référentiel de métier de l’agent de développement local : http://www.unadel.asso.fr/ puis chercher Accueil/Les articles/2. Métiers/La plate-forme « Métiers du développement territorial »
[14] http://www.opqu.org/, avec pour les urbanistes des Collectivités territoriales http://urbanistesdesterritoires.com/
Peuvent également être consultés les sites : www.cfdu.org et www.urbanistes.com
[15] http://www.aperau.org/presentation.html. On y lit à propos de la Charte de l’APERAU « Cette charte est actuellement considérée comme fixant les principes de base à respecter pour la formation des urbanistes par le CFDU et par l’Office de Qualification des Urbanistes (OPQU), avec lesquels l’APERAU entretient des relations étroites. ». Ceci est à rapprocher du travail de la Société Française des Urbanistes (SFU) sur son site http://www.urbanistes.com/homepage.php qui prétend, elle à l’antériorité sur tous les autres organismes en France (la SFU a été créé en 1919).
[16] Pierre Calame, depuis L’Etat au cœur, Le Meccano de la gouvernance, DDB, 1997 à La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, ECLM, Descartes & Cie, 2003. Voir le site http://www.pierre-calame.fr, http://www.fph.ch/fr et la base d’échange d’expérience http://www.ritimo.org/B/b5_bdd_dph.html.
[17] Sur la base de la thèse de William Twitchett, élaborée avec Paul Claval et soutenue en 1995.
[18] Pour obtenir les 14 Compte rendus, cliquez sur « Ouvrez-moi ». A la page d’éditorial, cliquer sur « Entrer » en bas à droite. Sur la page d’accueil qui apparaît, les 14 compte-rendu s’obtiennent en cliquant en bas à gauche sur « Conception : GT Génaraliste Est ». On obtient les 25 comptes rendus d’échange d’expérience, les 5 réalités de la dynamique et le tableau des ateliers en cliquent sur les ronds jaunes correspondants, ainsi qu’environ 30 000 pages de documents.
[19] Voir page 54 le récit de la prise de conscience au cours d’un entretien avec Léonard Aronica, lors d’un atelier de HFC
[20] Congrès de la section Grand-Est de AITF, tenu les 12 et 13 octobre 2001 à Audincourt, Commune de Montbéliard.
[21] Michel Sauquet, L’intelligence de l’autre, prendre en compte les différences culturelles dans un monde à gérer en commun, Éditions ECLM, 2008, 207, 331 p.
[22] Régis Debray, 1981, p.147.
[23] http://www.d-p-h.info/spip.php?article3.
En 2007, ce site de ressources valorise aujourd’hui une base de données d‘« expériences » composée d’environ 7000 fiches, articles courts qui relatent des expériences, des analyses, des lectures. Il propose aussi une vingtaine de dossiers.
L’idée de la base de données d’expériences dph est née en 1986, avec pour ambition de relier des individus et des groupes travaillant à la construction d’un monde solidaire et responsable. En mettant au service de chacun une mémoire et une réflexion issues du terrain de l’expérience, ce site ressources souhaite valoriser les analyses et les expériences par une recherche facile et des résultats utiles à l’action citoyenne.
dph est né d’une initiative de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH) qui a toujours milité en faveur d’un équilibre entre action et réflexion.
[24] Les fiches sont consultables à l’adresse suivante : http://www.aitf.asso.fr/groupe/index.php?frm_id_instance=36
[25] Whitehead dit individuelle. Nous préférons ici le terme personnelle en se référant à la notion de personne, au sens d’Emmanuel Mounier. Cette notion récapitule toutes les facettes du terme composé d’« individu-personne-sujet-acteur-agent » utilisée par les géographes. L’analyse est présentée en partie II, chapitre 11.
[26] Ce point est détaillé dans le texte complémentaire joint en annexe00 à l’adresse suivante : 00_Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\01-PartieI_Chap5-ExpérienceAITF-7etapes.doc
[27] Ce point est approfondi au début de la partie II
[28] Voir Partie II, Chapitre 8.D.1. pp.258-261
[29] Ainsi que cela a déjà été mentionné, Michel Lussault, en introduction de L’homme spatial, faisait référence à Georges Pérec pour constater la difficulté à expliquer les mots qui paraissent « évidents », mais en fait révèlent une « certaine opacité ». Dynamique, processus et appréhension font partie de ces mots. Nicholas Rescher et Maurice Merleau-Ponty ont exprimé ce fait à leur façon (voir note n°15 page 11).
[30] Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, roman (1951) : prix Goncourt, refusé par l’auteur ; Lettrines I, « cahiers » (1967) ; Lettrines II, « cahiers » (1974).
[31] Voir les premiers éléments d’approfondissement par aller et retour entre la partie II et le schéma de questionnement dans le texte complémentaire intitulé 01-PartieI_Chap1-ApprofondissementSchémaQuestionnement.doc à l’adresse suivante :
Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\01-PartieI_Chap1-ApprofondissementSchémaQuestionnement.doc