Archives par mot-clé : Expérience

10.C. Géographie non dualiste ?

10.C Conclusion :

Nous sommes arrivé au terme de l’analyse scientifique et philosophique des notions nécessaires pour répondre aux questions posées par le schéma de questionnement de la partie I. Ces questions étaient de caractériser les 5 invariants rencontrés dans la pratique, et de comprendre comment ces cinq invariants fonctionnent ensemble. L’exposé de la pensée organique a permis de tracer le lien entre l’analyse des entités ultimes et l’analyse de l’expérience ordinaire. Le schéma qui suit résume et illustre la démarche intellectuelle qui a permis de proposer la pensée organique comme une réponse à la question de Guy Di Méo et Pascal Buléon sur le dépassement de la dichotomie entre le matériel et l’idéel dans L’espace social (2005).

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.33.48

Figure 10‑4 : schéma du lien proposé entre la philosophie et la géographie

La nouveauté des idées scientifiques et philosophiques de Procès et réalité (1995), et la nécessité d’en proposer un exposé pédagogique dans la présente thèse n’a pas permis de développer l’approche plus sociologique d’Aventure d’idées (1993). Ce développement est apparu prématuré ici. Il pourra être fait dans le prolongement de la thèse avec la prise en compte également des travaux d’application à l’urbanisme et à l’environnement de Joseph Grange (1997 et 1999, non encore traduits de l’américain). Un prolongement possible serait également le rapprochement du schéma de questionnement avec la schématisation de Jean-Claude Dumoncel (1998, p.212) et la schématisation de la thèse de Pierre-Jean Borey (2007). Nous avons abordé de manière détaillée la notion de préhension et de procès (processus interne et externe), mais l’approche détaillée de la notion d’immédiateté présentationelle et de lieu de tension est nécessaire pour aller plus loin. Cela ne nous semble pas nuire ici à l’approfondissement du schéma de questionnement en terme de pensée organique.

Le tableau qui suit est la confrontation du schéma de questionnement de la partie I avec le fruit de l’exposé de la partie II. Il montre comment l’analyse génétique au niveau microscopique pourrait permettre d’esquisser une analyse génétique au niveau macroscopique. Les termes des notions impliquées sont tous des termes du langage courant, ce qui semble bien montrer, dans le droit fil de nos démonstrations, la pertinence de cette explication, et l’adéquation de l’explication des faits concrets de l’expérience ordinaire. L’approche organique donne une explication aux trois niveaux d’interprétation de l’expérience décrits par la FPH (P.Calame) dans le Cahier de propositions : Le territoire, lieu des relations : vers une communauté de liens et de partage de septembre 2001 (voir chap 3.B.3. p.87). L’approche organique a des liens forts avec les 14 autres approches présentées en partie I, chapitre 3 (PRH, HFC, B.Vachon, W.Twitchett, AIU, P.Braconnier, G.Di Méo, R.Vidal-Rojas, J.De Courson, P.Destattes &MC Malhomme, P.Sansot, E.Dardel, A.Berque, AITF). Elle est donc bien un langage commun à l’ensemble de ces démarches.

La grande différence entre cette démarche et l’approche traditionnelle réside dans l’articulation des notions au sein du procès. Dans l’approche traditionnelle, ces notions sont disjointes à la base à cause d’une conception de la matière comme substance inerte et sans spontanéité. Dans la pensée organique la démarche est inverse : les notions sont unies à la base, dans le réel ; on ne trouve pas, dans la nature comme dans la société, de substance inerte mais des entités actuelles qui sont des procès de devenir. La disjonction est uniquement le résultat d’une bifurcation (PR 289-290) qui ne correspond pas à l’expérience quotidienne ordinaire. La principale bifurcation est le dualisme cartésien qui entraîne l’erreur du concret mal placé  (prendre l’abstraction pour le réel) et la référence implicite ultime à une notion de substance inerte et sans spontanéité. La pensée organique répond donc au souhait de dépassement de « la dichotomie du matériel et de l’idéel » souhaité par Guy Di Méo et Pascal Buléon.

Il est récapitulé dans le schéma qui suit l’ensemble des acquis des parties I et II. Le schéma de la concrescence et de la transition présenté aux chapitres 7 et 8 s’enrichit ici de l’analyse de la dualité entre le pôle physique et le pôle mental qui est à la source de tous les dualismes apparents. Ce schéma se réfère au concret, au réel lui-même. Il n’est pas un modèle, une théorie, mais l’expression imagée du schème organique qui interprète l’expérience. Ce schème restera toujours à affiner en fonction de nos observations, de nos analyses, de nos « gouttes d’expérience ».

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.35.57Capture d’écran 2016-04-17 à 14.36.32

Figure 10‑5 : Schéma de synthèse: la structure de l’expérience

Assurés maintenant de l’intérêt de la pensée organique, nous pouvons sans plus attendre la mettre en œuvre pour la définition des objets géographiques en cette fin de partie II. Ces définitions permettront des applications géographiques en partie III.

Ch. 2. Qu’est l’expérience ?

Chapitre 1 : Qu’est-ce que l’expérience ? Première approche du procès ; mise au point du schéma de questionnement

Dans ce chapitre est mise en œuvre la méthode de travail à propos des notions présentées jusqu’ici. Cette méthode est justifiée par le fait que le terme d’expérience * [1] ne figure pas dans le Dictionnaire géographique de l’espace des sociétés, qui est pourtant notre référence de base par la qualité de sa recherche des fondements philosophiques de la géographie. L’enquête amène à chercher la cause de cet oubli ou de cette « éviction », et ses conséquences. La recherche oblige à élucider les présupposés qui ont présidé au choix de « l’éviction » de l’expérience.

Pour une bonne compréhension du raisonnement, il faut largement citer les sources utilisées, avec un resserrement progressif du sens jusqu’à pouvoir exprimer avec nos propres mots la source du problème. Ces mots seraient incompréhensibles sans ce fil directeur. Il n’y a pas de géographie sans expérience de terrain, sans voyage, sans une confrontation au monde extérieur. De l’expérience de géographie à une géographie de l’expérience du terrain, le chemin à parcourir est escarpé.

L’exposé donne les définitions des dictionnaires et ouvrages spécialisés. Les commentaires sont identifiés en précédant notre propos du terme « Commentaire :» (sans autre précision). Ceux-ci iront grandissant, pour arriver progressivement à la compréhension de la définition processive de l’expérience, puis à la mise en question de sa pertinence et de son intérêt pour la géographie.

9.A. Les faits de la nature

Chapitre 9 : Le procès : présentation générale. Analyse morphologique & analyse génétique. La structure de l’expérience

Le présent chapitre présente l’ensemble de la généralisation de la pensée organique, à travers la catégorie de l’Ultime (la créativité), les catégories, d’existence, les catégories d’explication et les catégories d’obligation (ou Obligations catégoriales). Nous avons exploré de façon minutieuse aux chapitres 7 et 8 les premières de chacune des catégories (l’(ap)préhension, le processus, les propositions, …), afin de mettre en évidence la démarche par laquelle chacun peut reconnaître dans son quotidien comment ces catégories sont à l’œuvre « en pratique », souvent sans en avoir conscience.

Cette présentation générale est indispensable, car tout le réel est nécessaire pour pouvoir appliquer cette démarche à la géographie : d’abord pour définir les objets géographiques (chapitre 11) puis pour appliquer ces notions à la région « Entre Vosges et Ardennes » (Chapitre 13 à 17).

Nous aborderons successivement les catégories d’existence (les faits de la nature), les catégories d’obligations (notamment les valeurs) puis le tableau général du schème organique.

9.A. Caractérisation des faits de la nature présents sur tous les territoires : les actualisations. Introduction aux catégories d’existence.

Les faits de la nature sont les actualisations. D’autres études ne citant pas Whitehead ont la même approche des faits de la nature, qu’ils nomment aussi actualisation, par exemple celle de Raymond Ruyer, qui fut professeur de l’université de Nancy [1].

Voici le classement que fait Whitehead des différents types de faits. Cette liste est donnée en début de Procès et Réalité, p.22 (p.73-74) :

FAITS Dénomination technique des catégories d’existence (CX) Symbole
abrégé
Réalités Dernières ou Res Verae Les entités actuelles (ou Occasions Actuelles) CX1
Faits Concrets de Relationalité Les préhensions CX2
États de Fait Publics (Faits manifestes) Les nexus CX3
États de fait Privés (Faits intimes) Les formes subjectives CX4
Purs Potentiels pour la Détermination Spécifique du Fait, ou Formes de Définitude (Pures possibilités pour le fait d’être déterminé spécifiquement, ou Formes de définité) Les objets éternels CX5
États de Fait en Détermination Potentielle ou Potentiels impurs pour la Détermination Spécifique des États de Fait, ou Théories (Faits potentiellement déterminés ou Possibilités impures pour le fait d’être déterminés spécifiquement) Les propositions CX6
Pures Disjonctions d’Entités Diverse (Disjonction pure d’entités diverses) Les multiplicités CX7
Modes de Synthèse des Entités en une unique Préhension , ou Entités Configurées (Modes de synthèse des entités dans une préhension, ou Entités modélisées). Les contrastes CX8

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.19.31

Figure 9‑1 : Tableau des faits de la nature (qui sont des actualisations). Source : Procès et réalité, p.22 (p.73-74), trad. H.Vaillant -voir annexe 08- (entre parenthèse D. Janicaud).

L’expérience (géographique) de la transformation des territoires (prospective ordinaire) met en évidence la réalité des faits concrets et des formes de définité des faits. Ces faits concrets ne sont ni purement matériels ni purement idéels au sens des présuppositions substantialistes classique :

  • d’un côté une matière inerte et sans spontanéité,
  • de l’autre côté des idées étrangères au monde extérieur, qui seraient des « actualités vides ».

Ainsi, « La théorie des préhensions entend protester contre la bifurcation de la nature. Et, qui plus est, elle proteste contre la bifurcation des actualisations ». [2] L’approche organique est une réponse à la quête de Guy Di Méo et Pascal Buléon visant au dépassement de la dichotomie du matériel et de l’idéel. Le tableau des catégories d’existence peut être présenté en utilisant le schéma de concrescence de la manière suivante :

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.19.47

Figure 9‑2 : Schéma des catégories d’existence . Source : PR.22 (p.73-74)

Faisons le rapprochement avec le schéma général de la géographie prospective :

Capture d’écran 2016-04-17 à 14.20.23

Figure 9‑3 : Schéma de l’approche de Philippe Destatte (2001)

Ce schéma est celui qui a été annoncé au chapitre 3. On observe que la prise en compte des observations et critiques retranscrites par Philippe Destatte permet un rapprochement d’autant plus pertinent avec le schéma des catégories d’existence. On observe que les (ap)préhensions prises en compte par Philippe Destatte [3] sont à la fois d’ordre « externe universel et particulier », et d’ordre « intérieur particulier » comme les désirs, ce qui correspond parfaitement à l’élargissement organique de la notion de perception. On constate que l’approche conjuguée prospective/évaluation ne présente plus d’oppositions/dichotomies, mais conjuguent les polarités interne/externe, passé/avenir, universel/particulier. En un sens, la géographie prospective, par le chemin de la pratique de terrain arrive à un résultat où l’on retrouve les points principaux de la pensée organique. La géographie prospective propose de façon naturelle une dialectique du matériel et de l’idéel, déclinée dans les listes d’opposés cités. Guy Di Méo & Pascal Buléon disent , rappelons le: « Une claire conscience de la dialectique du matériel et de l’idéel porte le germe de l’invention d’une nouvelle culture qui ne fasse pas violence au milieu naturel, qui pousse l’humanité à maîtriser les processus techniques de la transformation de ce milieu » [4]. Le croisement de la pensée organique avec la géographie prospective (mais pas uniquement) ne permet-il pas d’avancer vers cette nouvelle culture ?

L’apport de la pensée organique à la géographie prospective est ici double : il permet de détailler techniquement les phases internes de la concrescence/créativité et de donner un statut ontologique aux réalités décrites de phases à phases :

  • (ap)préhensions=histoire&désirs (CX2),
  • prospective=potentialités (CX5),
  • projet=proposition (CX6)

Les nombreux liens tissés entre la géographie prospective et les autres approches géographiques permettent de proposer une généralisation de cette conclusion.

____________________________________________________
Notes :

[1] Voit notamment de Raymond Ruyer son ouvrage Eléments de psycho-biologie, PUF, 1946, notamment tout le chapitre IV intitulé « Problèmes de l’actualisation », pages 102 à 132. Il conjugue l’actuel et le potentiel, avec des accents tout whiteheadiens …
[2] PR 289d
[3] Le schéma lui-même a été préparé par Eugène Mommen Voir Destattes, 2002 p.345.
[4] Di Méo & Buléon, 2005, p.120, déjà cité au chapitre 6.B. page 174.

7.A. Principes régulateurs

Chapitre 7: Au cœur ultime de l’expérience ; le noyau dur du sens commun, les entités actuelles, la préhension :

7.A. Les principes régulateurs formels et non formels, et le noyau dur du sens commun :

Aucun penseur ne développe sa pensée sans se fixer un guide, une sorte de boussole  pour l’orienter. Ce guide, cette boussole peut prendre différents noms suivant le penseur ou le courant de pensée considéré : principes, valeurs, normes, fondamentaux… Citons par exemple : les principes fédérateurs de Nagel, repris par David Ray Griffin dans ses derniers travaux [1], les Principes de Santiago (Fondation pour le Progrès de l’Homme), les Principes du développement durable, les principes des traditions de beaucoup de peuples (Indiens d’Amérique [2], etc), les quatre principes de base de PRH (Association Personnalité et Relations Humaines) : ouverture au réel intérieur, goût de la vérité, humilité, détermination.

L’approche organique est fondée pour sa part sur le noyau dur du sens commun, c’est-à-dire sur ce que chacun peut vérifier par soi-même (selon une méthode chère à Descartes, rectifiée par Whitehead sur quelques points). Elle peut donc être à la base de la recherche d’une analyse et d’une interprétation des faits qui soit la plus proche du réel concret – non comme un « axiome » de départ, mais comme une synthèse des acquis scientifiques vérifiables d’aujourd’hui, qui soient en même temps des jalons, des repères vérifiables pour la recherche de demain, le tout étant inscrit dans un protocole validé. C’est le « cadre de fécondité » dans lequel toute recherche pourra se déployer, car cette synthèse se propose d’intégrer tous les faits d’expérience, sans en omettre aucun.

Une méditation sur les notions du noyau dur du sens commun peut permettre de donner une consistance personnelle (et donc une définition ouverte liée à l’expérience et l’analyse) aux catégories du schème organique de Whitehead. Plusieurs auteurs se sont engagés dans cette démarche. Citons Bertrand Saint-Sernin dans son ouvrage sur Whitehead [3], J-M. Breuvart ou Alix Parmentier dans leurs thèses respectives, ou Ivor Leclerc, chacun définissant sa propre approche [4].

Quant au noyau « mou » du sens commun, il réunit les idées, les préjugés d’une époque qui peuvent être raisonnablement rejetés : il se réfère à des notions particulières qui peuvent être niées sans tomber dans une contradiction implicite. Ce noyau mou est à distinguer soigneusement des notions (le noyau « dur ») qui ne peuvent pas être rejetées sous peine de se contredire elles-mêmes. La science révèle successivement des vérités qui, d’un domaine à l’autre, montrent la nature illusoire du sens commun. Mais il faut distinguer entre la signification faible et la signification forte du sens commun, et donc entre les choses qui semblent seulement évidentes à certains et celles qui sont réellement évidentes en un sens qui ne peut être nié.

Nous pensons que le schème organique développé par A.N. Whitehead est une invitation à penser par soi-même à partir de son expérience, pour en préciser ses différents éléments au fur et à mesure. I. Stengers l’exprime à sa façon dans le titre même d’un de ses derniers ouvrages rédigé à l’attention de ses étudiants : Penser avec Whitehead : de la libre et sauvage création de concepts (2003). Elle exprime aussi le fait que Whitehead contraint à un choix : s’embarquer dans l’aventure ou rester sur la berge.

Combien de penseurs qui connaissent bien Whitehead, voire l’ont utilisé pour leur créativité personnelle, ne le citent même pas, par peur probablement de se voir « embarqués dans l’aventure » malgré eux ? Edelmann 1992, 2004) est de ceux-là. Isabelle Stengers elle-même, entre 1983 (La Nouvelle Alliance) et 2002 (Penser avec Whitehead) n’a plus cité Whitehead que dans des notes de fin de chapitre de ses ouvrages. Nous avons fait le travail de recenser ces notes qui, lues jusqu’au bout, rappellent quasi systématiquement l’importance de ce penseur [5]. Nous pouvons dire que désormais Whitehead en Europe sort d’une position cachée, voilée, secrète [6] . Ce « secret » était déjà présent dans le monde anglo-saxon entre 1925 et 1950. Bertrand Russell lui-même, co-auteur avec Whitehead des Principia Mathématica, ne le citait même plus dans ses ouvrages malgré plus de dix années de collaboration intense et fructueuse, entre 1904 et 1914 (Whitehead a été son professeur puis collaborateur !), au mépris, nous semble-t-il des règles élémentaires de déontologie. Un travail de synthèse sur les relations entre Whitehead et Russell a été réalisé pendant la thèse pour éclaircir ce point [7]. Citer Whitehead revient en effet à poser la question même des présupposés de la culture moderne, à soulever ses incohérences … Or, ce chemin est d’emblée une invitation à la réflexion, à s’embarquer dans une Aventure d’Idées [8]

Quels sont ces éléments que chacun présuppose de fait, même s’il le nie verbalement ? Le premier élément est que chacun présuppose de fait l’existence du monde extérieur. Le réel est une donnée, on en tient compte « en pratique » même si l’on défend une théorie idéaliste. Le deuxième élément est que je participe à la construction du monde à partir de ces données du monde extérieur. J’appréhende le monde. Il devient « mien », et j’agis sur le monde en retour, il devient « autre ». Le troisième élément est le caractère organique de mon lien au monde. Le quatrième est que l’abstraction doit justifier comment la façon dont elle rend compte du réel permet d’agir de manière renouvelée sur ce réel. Le cinquième élément est l’ordre d’importance des faits : les faits premiers sont issus du réel, de l’observation du réel, et l’abstraction obtenue par généralisation imaginative en est un effet. Le sixième est le constat de la solidarité des éléments de l’univers à travers leurs interactions multiples. Il serait possible de développer et d’approfondir chacun de ces éléments [9]. Ils sont résumés dans les 6 approches suivantes :

  • approche réaliste (le réalisme organique)
  • approche constructiviste (postmoderne, panexpériencialiste, issue du principe subjectiviste réformé, à ne pas confondre avec le constructivisme idéaliste et le principe subjectiviste de Kant).
  • approche organique (qui inclut la systémique)
  • approche pragmatique (qui inclut l’approche dialogique)
  • approche par l’observation/généralisation imaginative (objectivations)
  • approche relativiste (solidarité des éléments de l’univers)

Ces éléments ne sont pas sans résonance avec les principes énoncés par Michel Lussault et Jacques Lévy dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (DGES), page 19. Même si les mots paraissent proches, réalisme, empirisme et constructivisme ont des significations différentes :

  • Le réalisme organique conduit à définir des objets géographiques qui sont des potentialités pures, potentialités hybrides et potentialités réelles (voir le chapitre 11.A & B, et le tableau récapitulatif au chapitre 11.B.3), et l’espace ne peut se séparer du temps. Nous verrons que l’espace et la spatialité du DGES correspondent (en y intégrant le temps) à l’extension * et l’extensivité
  • L’empirisme organique inclut tous les faits, et le fait ultime est l’entité actuelle, réelle et concrète. La distinction entre humain et non humain fait place aux différentes potentialités pures, hybrides et réelles.
  • Le constructivisme du DGES reste kantien en faisant appel à la cognitivité même si « objectiver le sujet objectivant » conduit au sujet-superjet organique. Il reste en effet à opérer l’inversion organique entre le sujet et l’objet.

L’ensemble de ces notions du noyau dur du sens commun vont à l’encontre du préjugé largement répandu que la réalité serait composée de fragments de matière insécable, sans spontanéité et sans expérience. Or ce préjugé est contredit par la science actuelle, et la pensée organique en a pris toute la mesure, en nommant « entité actuelle » les éléments ultimes du réel, et en en définissant leurs caractéristiques.

_____________________________________________________
Notes :

[1] David Ray Griffin, Réenchantement sans Surnaturalisme : une philosophie de la religion basée sur la Philosophie du Procés de A.N.Whitehead et de Charles Hartshorne, Cornell University Press 2001, Trad. H. Vaillant, Avril 2002
David Ray Griffin, Démêler le nœud du monde, Conscience, Liberté et le problème de l’Esprit et du Corps, Université de Californie 1998, Trad H. Vaillant, Avril 2003
[2] T. C. McLuhan, Pieds nus sur le terre sacrée, Denoël, Paris, 4e éd. 1987 (titre original: Touch the Earth: a Self Portrait of Indian Existence, Outerbridge and Lazard, New York, 1971), passim.. Le film : Danse avec les loups (Dances with Wolves) est un film américain réalisé par Kevin Costner en 1990.
[3] Bertrand Saint-Sernin, Whitehead, un univers en essai, Éditions Vrin, 2000, 208 p.
[4] Il est ici intéressant de noter qu’en cherchant sur Internet les termes « penser par soi-même », beaucoup de références sont données. Ces références permettent d’apprendre à formuler nos propres notions du noyau dur du sens commun.
[5] I.STENGERS dit notamment, dans La science moderne: « Nous pensons que cela s’élucidera dans les termes de la pensée de Whitehead … ». Cette position radicale est énoncée dans un endroit bien caché de l’ouvrage ! Cette position est compréhensible quand on se rend compte par soi-même du temps nécessaire à l’intégration des notions de base, alors même que l’on est « saisi » d’emblée par la pertinence de l’approche.
[6] Un philosophe américain, George R. LUCAS, a même écrit récemment un ouvrage sur La réhabilitation de Whitehead.
[7] Ce travail est présenté dans un dossier fourni en annexe informatique sous le titre 02-PartieII_Ch10-Whitehead-Russell.doc . Ce fichier se trouve à l’adresse suivante : 00_Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\02-PartieII_Ch10-Whitehead-Russell.doc
[8] Aventures d’Idées est le titre de son ouvrage de 1933 qui a suivi PR de quatre années.
[9] Cet approfondissement est proposé dans le texte intitulé 02-PartieII_Ch7_NoyauDurSensCommun.doc placé à l’adresse suivante : 00_Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\02-PartieII_Ch7_NoyauDurSensCommun.doc

3.C.13. Conclusion

3.C.13. Conclusion du chapitre et introduction aux exemples géographiques :

La confrontation du schéma de questionnement aux 15 exemples ci-dessus montre la convergence des approches de chercheurs issus d’horizons variés. Il semble donc bien que les cinq réalités qui se retrouvent dans toute expérience ont un caractère universel. Il aurait été possible en plus de ces 15 exemples d’en citer beaucoup d’autres. Chacun pourra trouver dans son expérience et dans ses références de nombreux autres exemples. Chacun vérifiera pour lui-même la pertinence des liens, des formulations, et la consistance de chacune des cinq réalités d’expérience. Il y mettra ses propres mots : il ajoutera un point de vue particulier, un « angle de vue » (Rodrigo Vidal-Rojas), une perspective, … mais la réalité reste la même. On verra que ce constat s’explique par la nature ontologique forte de chacune de ces réalités, déchiffrée dans le schème organique (c’est là le plus grand apport de Whitehead à la compréhension du réel).

La réponse à la question « Pourquoi ces 5 réalités-là et pas d’autres ? et pourquoi dans cet ordre-là ? » est donc désormais étayée de nombreux exemples pratiques, issus de la réalité, d’études de cas. On peut affirmer que les cinq réalités d’expérience n’ont rien d’arbitraire. On retrouve bien ces cinq réalités-là dans l’ordre ou le désordre dans toutes les approches, sachant que toutes les démarches plus approfondies sur les « étapes » (Calame, 1995), les « phases » (A.N.Whitehead, 1929), les « directions » (Degermann, 2003), les dimensions (Vidal-Rojas, 2002) … donnent le même ordre logique. Il semble bien que « le fil directeur du lac Suisse » (Calame, 1995) ait effectivement quelque chose d’universel, pour la gouvernance des territoires, du local au global.

Mais comment sont articulées dans le détail ces réalités ? Qu’est-ce qui les « fait tenir » ensemble ? Comment expliquer leurs liens ? Comment détailler ces liens ? C’est ici que nous allons voir comment la pensée organique peut apporter un éclairage décisif. A.N.Whitehead a en effet détaillé toutes les articulations des phases entre elles. Il a puisé dans son expérience et dans le réel, mais il n’a donné que les résultats de synthèse. Tout ce chapitre 3 (et le chapitre 4 qui va suivre) semblent être autant d’exemples qui montrent la pertinence de son analyse.

Nous verrons en partie II comment dans l’approche organique ce processus d’émergence du changement est ni plus ni moins que la structure même de la réalité ultime du monde : « Chaque entité répète en microcosme ce que l’univers est en macrocosme »[1]. Le fait d’articuler les réalités de la dynamique de transformation des territoires dans un procès organique macroscopique et microscopique permettra de sortir de la dichotomie entre matériel et idéel. En effet, le « matériel » est constitué d’occasions d’expérience successives qui sont des procès de concrescence dans leur constitution interne et un procès de transition pour leur constitution externe. L’interne et l’externe sont indissociable­ment liés dans la succession des procès de concrescence.

Entrons donc maintenant dans la confrontation avec les expériences professionnelles …

[1] Alix Parmentier, PhW, 1968, p.284.