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15.C. Les R.C. en Europe

15.C. Implications pour les régions conviviales en Europe :

Ce chapitre opère un rapprochement par l’auteur entre les travaux de l’Union Européenne (avec les NUTS 1, 2 & 3) et les travaux de William Twitchett présentés sous forme d’une « Carte prospective de l’Europe des régions » dans le cadre des ateliers de l’association Terre & Cité depuis 1998 (5 versions successives de schémas en fonction des évolutions politiques, sociale, économiques et géographiques). Analysons les matériaux de base de la réflexion.

La carte des régions membres de l’Assemblée des Régions d’Europe [1]  (ARE) montre l’extrême diversité des régions européennes, une grande diversité de régions, dans les tailles, les populations, les statuts juridiques, avec une grande confusion des échelles. Cela vient de la définition: la région est le niveau juste en dessous de celui d’un État. Avec cette définition, le canton Suisse est au même niveau qu’une région française ou espagnole. Ces régions ne doivent pas être confondues avec les NUTS1 : ces derniers sont le plus souvent des groupements d’entités existantes, classées en NUTS2, suivant l’explication donnée ci-dessous. L’approche qui suit est faite sur les NUTS1 de l’Union Européenne à 27 membres. Un certain nombre de pays ont déjà la taille de la région conviviale, à savoir : Belgique, Danemark, Pays-Bas, Chypre, Estonie, Lettonie, Lithuanie, Slovaquie, Slovénie (Il est possible de rajouter la Suisse dans l’UE à 31 membres et la Croatie, candidate à l’UE). Ils sont indiqués en bleu dans le tableau accompagnant le plan. La source du fond de carte au format Adobe Illustrator est d’Eurostat[2] L’Union Européenne a élaboré un système de statistiques nommé NUTS (Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques) [3]. Le répertoire utilisé est le catalogue KS-RA-07-020-FR-N, édition 2007, donnant les NUTS 2006 dans l’U.E.27 (Union Européenne à 27 États).

Le but est le regroupement d’Unités comparables, avec des seuils minimum et maximum de population suivant la règle du tableau qui suit. Ces règles ne sont pas liées à un territoire ou une taille de territoire. En outre, nous observerons qu’elles sont peu suivies : elles sont un objectif pour les nouveaux entrants, avec de nombreuses exceptions pour les membres existants. Elles témoignent malgré les paradoxes (P.Le Galès & C. Lequesne, 1997 ; Keating, 1985, 1995, 1997), d’un gigantesque effort de dépasser les particularismes pour avancer vers la réalisation de la vision de l’« Europe des régions ». Cet effort n’a pas de précédent au niveau mondial : il est source d’enseignement pour d’autre régions sous-continentales comme la Chine et l’Afrique dans leur recherche d’une harmonisation et d’un équilibre des territoires (Calame, 2006, bip 2998 ; 2006 ; bip 3056 ; 2006, bip 3473, p.9).

Niveau Minimum Maximum
NUTS 1   (97) 3 millions 7 millions
NUTS 2   (271) 800 000 3 millions
NUTS 3     (1303) 150 000 800 000

Figure 15‑7 : Seuils de population des NUTS 1, 2 & 3 de l’U.E. (Source: Eurostat)

L’étude des régions conviviales de l’Union Européenne s’est appuyée sur le fichier des 271 NUTS 2 (surface, population, densité) et la cartographie liée. En regroupant sur un seul fichier Excel quatre fichiers donnés séparément dans le site d’Eurostat (Codes, Nom, Densité, Surface) [4], il est possible de constater que cet objectif de comparaison d’entités territoriales analogues n’est pas rempli. La prise en compte du seul critère de la population et non du territoire occulte les réalités de terrain (les déplacements des hommes, les activités animales et végétales, …). Une difficulté d’élaboration du fichier de base a été le calcul de la population à partir des densités de 2005 (à deux décimales) données par Eurostat sur la base des superficies de terres hors fleuves et lacs : la population en 2006 est le résultat de la multiplication de la densité sur les surfaces correspondantes. La cohérence du chiffre de population a été vérifiée d’une part avec le fichier des 249 entités politiques élaboré dans la présente thèse et présentée dans le sous-chapitre suivant, et d’autre part le fichier de l’INSEE pour les régions de France. L’intérêt de l’ensemble de cette démarche est de vérifier qualitativement la pertinence des territoires, et d’associer chaque territoire aux NUTS 1, 2 ou 3 : il devient alors possible de bénéficier de toutes les statistiques d’Eurostat pour l’analyse approfondie de ces territoires. Le travail esquissé ici pourra faire l’objet de travaux approfondis dans un laboratoire universitaire existant ou à créer.

15.C.1. Analyse critique des NUTS 1 suivant leur population et leur taille :

On observe sur la carte européenne des NUTS1 une contradiction entre la définition des NUTS en 3 classes de population et les 3 constats suivants :

  • Un certain nombre de villes (Bruxelles, Bremen, Hamburg) sont isolées, alors que les solidarités locales dépassent dans la réalité largement les territoires de ces villes. La récente démarche d’unification progressive de Berlin avec la région du Brandebourg est à ce titre exemplaire [5].
  • D’énormes territoires sont découpés autour de Paris et de Madrid ; Cela ressemble à un projet politique pour donner de l’importance à ces deux villes et leur préparer un territoire de la taille de l’importance que les élus souhaitent leur donner. Cette hypothèse semble confirmée par le souhait de la DATAR de créer un bassin parisien sur le territoire de la NUTS1 (sorte de « justification par l’Europe »…). Cela n’est-il pas en en contradiction avec un développement régional équilibré ? Ne serait-il pas possible de trouver un contraste entre les deux politiques sans arriver à cette forme de caricature ? La ville de Londres, qui est la référence en matière de ville internationale ne présente pas cette proposition centralisée : les régions de NUTS1 périphériques sont équilibrées.
  • La faible taille entre les régions de NUTS1 de Hollande, Belgique, et même l’Angleterre est en contraste avec la taille moyenne ou grande des autres régions de NUTS1.

15.C.2. Proposition de perspective d’évolution des NUTS 1 et NUT2 dans la direction de régions conviviales :

Une réflexion en termes de régions conviviales suivant l’exemple de la région « Vosges-Ardennes » permet de dégager une perspective d’évolution des NUTS 1 et des NUTS 2 vers un développement équilibré des établissements humains et des sociétés naturelles. Les NUTS 2 ont été conçues pour correspondre aux réalités géographiques et économiques, alors que la NUTS1 est plus politique  [6].

La proposition qui est faite respecte les découpages administratifs existants, le plus souvent au niveau des NUTS2, avec ponctuellement des découpages au niveau des NUTS3 (région « Entre Vosges et Ardennes »). La méthode de recherche a été la suivante :

  • Établissement d’une légende suivant la méthodologie d’analyse proposée au chapitre 13.B.1. Page 374. Six cas se présentent suivant que le centre de référence est existant ou modifié, et que la frontière est existante, composée ou recomposée.
  • 1/ Analyse pays par pays, avec un regard simultané sur :
    • la carte officielle des découpages NUTS 1, 2 et 3, et les statistiques des 273 NUTS2.
    • la carte de l’Europe au 1/3 000 000 ème (Michelin, 705) et 1/6 000 000 ème (IGN POLO3).
    • L’Atlas Beautier, et les sites Populationdata complété de Wikipedia –qui ajoute la dimension territoriale- (voir la bibliographie des sites internet utilisés).
    • Le projet de proposition globale de l’Atelier « Terre & Cité » pour en tester une nouvelle fois la pertinence, et contribuer à une réflexion globale en cours au niveau de la société civile, des administrations locales et de l’Union Européenne.
  • 2/ Mise au point du fichier de synthèse des régions conviviales de l’Europe (en annexe informatique et à la suite du texte de la thèse)
  • 3/ Mise au point de la carte de synthèse suivant la légende des régions potentielles.

La volonté est d’apporter un élan et de provoquer des études dans une tentative d’harmonisation globale des démarches, sachant que ce qui est déjà fait par l’Union Européenne est remarquable pour mettre en perspectives les données si différentes de tous les États impliqués. La démarche en région conviviale poursuit cette harmonisation européenne à partir des NUTS 2 et 3. Seule la maturité de la démarche permettra progressivement à des régions proposées assez grandes (Transylvanie, Danube, env. 90 000 km2 ; République Tchèque, 77 269 km 2) de créer des pôles plus puissants pour faire émerger une nouvelle région.

La figure 15-13 page 492 représente une nouvelle organisation possible à partir de la notion de région conviviale. Ce n’est pas l’objet de la présente thèse d’entrer dans le détail des explications point par point : ce serait l’objet d’une nouvelle thèse. Le but ici est de donner à sentir l’intérêt d’une telle démarche, en application de celle déjà détaillée pour la région « Entre Vosges et Ardennes ». Il s’agit en quelque sorte d’une première généralisation possible de la démarche, qui est souhaitée par les élus de la Grande Région à travers leur document Vision d’avenir 2020. 7ème sommet de la Grande Région, Juin 2003 (page 26a). Cette analyse repose sur une tentative de travail sur les populations, surfaces, densités et attractivité au niveau des 271 NUTS 2 de l’UE 27, qui sont les régions de base (avec une réalité géographique et administrative forte) utilisées par les États.

Le résultat de cette analyse est riche d’observations, bien loin de l’image de la « banane bleue ». L’image est plutôt celle de la « grappe de raisin » (K.Kunzmann, 1998 [7]), comme métaphore d’une Europe à construire (Baudelle, 2001). L’Europe des régions conviviales est une proposition de « grappe » basée sur les critères au niveau de l’homme, la société et les territoires décrits au chapitre 13. Comme le précise Klaus R. Kunzmann, les raisins de la grappe peuvent avoir des tailles différentes : 32  000 km2 est la taille indicative moyenne pour des régions conviviales allant de 16 000 km2 à 64 000 km2 hors exceptions (voir le tableau 15-12 ci-dessous). Cette taille pourrait être la mesure indicative de la région telle qu’elle est définie par Max Sorres (1952, p.424-425) par cinq éléments : une zone centrale, une zone périphérique de proche banlieue, une zone externe caractérisée par la participation aux rythmes quotidiens de l’activité urbaine, une zone interne de la région urbaine où le contact à la ville n’est ni immédiat, ni journalier et une zone externe « qui trouve sa limite dans la rencontre avec une zone d’influence d’une métropole du même ordre ». On retrouve 5 des 8 processus intra-régionaux décrits dans la figure 13-20 du chapitre 13.H.1.2. (p.422). La « zone externe » souligne l’importance des interactions autour de la « médiatrice » entre deux régions suivant le « diagramme de poids régional » sur l’exemple proposé au chapitre 14.C.1. pour la région « Entre Vosges et Ardennes ».

La proposition des « régions conviviales de l’Union Européenne » répond donc de façon étonnante à l’intuition de Klaus R. Kunzmann et l’esquisse finale de son article « La « banane bleue » est morte ! Vive la « grappe européenne » ! » précité. Les « raisins » peuvent être « petits » (16 000 km2) ou être « grands » (64 000 km2). Dans tous les cas, il existe un seuil bas et un seuil haut de pertinence de l’intuition.

Le seuil bas proposé dans la présente thèse est de 16 000 km2. En effet, sur les 18 régions en dessous de ce seuil, 13 sont des îles. Les cinq restantes sont Hadrian-Lakelands/Hexham [8], Northern Ireland/Belfast, Sydsverige-Sjaelland (Oresund)/Malmö-Copenhague, Région de Murcia/Murcia, Asturias/Oviedo. Leurs surfaces vont de 10 600 à 15 400 km2. Des caractéristiques géographiques et une histoire très forte expliquent ces petites tailles. Toutes ces régions sont en lien avec la mer, qui est une sorte d’agrandissement naturel de ces régions : la mer est un espace économique régional déterminant. L’Alsace, avec ses 8 280 km2 et ses 1,8 millions d’habitants pourrait-elle justifier d’être également une région indépendante ? L’intensité des échanges transfrontaliers semble indiquer un positionnement de région « médiatrice », soit pour être rattachée au Baden-Wurttemberg (ce que l’histoire a actuellement exclu), soit pour être intégré dans l’ensemble « Vosges-Ardennes » (ce qui serait un choix difficile, mais pertinent). Strasbourg a une vocation interrégionale et européenne, non en tant que centre de référence d’une région conviviale, mais en tant qu’agglomération en position « médiane » privilégiée suivant la figure 13-20. Le positionnement privilégié d’agglomérations comme Genève, Bâle, Strasbourg, Charleville-Mézières et même Lille-Roubaix-Tourcoing caractérise un type d’agglomération très différent de celles qui constituent un centre de référence ou participent à un centre de référence polycentrique (Luxembourg, Trèves, Saarbrucken, Epinal). L’exemple réussi du choix de Berne comme centre de référence de la Suisse considérée comme une seule région conviviale éclaire bien ce propos. Le choix de Bern en 1848 est le fruit de plusieurs siècles de négociations. La difficulté est que la conscience politique du peuple suisse (ou des peuples suisses ?) ne va pas encore jusqu’à la conscience d’appartenir à une seule région : la référence reste toujours l’un des 26 cantons.

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Figure 15‑8 : Analyse des surfaces des régions conviviales potentielles de l’Union Européenne

Le seuil haut proposé est de 64 000 km2. Certaines régions peuvent être plus grandes lorsqu’elles sont peu peuplées, ou parce qu’elle forment un seul ensemble politique centralisé. Certaines sont comme « un œuf à deux jaunes » (Andalousie, République Tchèque, Irlande, Övre Norrland, Pohjois-Suomi). Aucune ne dépasse 100 000 km2 (Vistule/Warszawa, 99 092 km2 pour 11 130 000 hab). Au-dessus, se trouvent l’échelle « D » indicative de 512 000 km2 des nations et l’échelle « E » indicative de 8,2 millions de km2 des « régions sous-continentales ». Ces deux échelles correspondent respectivement à « la région spontanée » (Mer du Japon, « triangles » de la mer de Chine du sud, Zone Économique Spéciale de la Chine du Sud, Guangdong) et « la région délibérée » (Mercosur /Alena ; Ansea / Apec ; Viregrad / UE) de Marie-Claude Smout dans son article « La région comme nouvelle communauté imaginaire ? » de 1997 [9]. L’intérêt du chapitre 13 de la présente thèse est de proposer une clarification de la notion de région, et de permettre systématiquement des références à des exemples de territoires comparables, dans un but d’analyse, de comparaison, et d’évaluation des potentialités.

L’approche en région conviviale fait paradoxalement apparaître que plus de 40% des régions sont de « potentialité réelle ». Cela signifie qu’une fois l’échelle indicative adoptée (32 000 km2) chaque « grain » apparaît en interrelation avec tous les autres, avec une cohérence plus forte que lorsque l’attention est portée sur la seule population. Le changement de regard, et l’adoption d’une échelle indicative simplifie les données, permet les comparaisons, introduit les analyses, et révèle des potentialités. La difficulté de ce regard est d’obliger à prendre en compte simultanément la géographie, l’histoire, les territoires, la population. C’est en définitive le corps de l’homme qui est la référence commune : le corps dans ses déplacements quotidiens, hebdomadaires, mensuels. Max Sorre, cité ci-dessus, y fait référence. Alain Motte n’est pas loin de cette définition avec la notion de région urbaine, à partir de celle de Healey [10]. La référence à l’homme et à sa vie quotidienne, qui ne tient généralement pas compte des limites administratives, permettra de découvrir de nouvelles identités à partir du vécu et de l’expérience. La réalité est là, mais les mentalités ne sont pas encore ajustées au vécu. Seulement 20% des régions conviviales auraient à la fois leur contour et leur centre de référence à repenser (potentialité pure). Près d’un tiers des régions proposées sont une addition de frontières existantes. Cette approche de la région est élargie par la notion de « région choisie » définie par Marie-Claude Smouts dans l’article cité ci-dessus : « La région choisie est par définition un espace subjectif. Elle est construite à partir des représentations symboliques opérant la synthèse entre des données immédiates, un passé réinventé, et un futur désiré. Elle dessine un nouvel espace de mobilisation pour l’action : elle offre des ressources, elle légitime des politiques, elle structure des stratégies. Elle constitue un enjeu, d’autant plus fort que la construction symbolique est stimulée par les ambitions bien réelles de quelques-uns pour la capitalisation de ses ressources matérielles et immatérielles » (p.43-44). Cette approche semble être celle que Pierre Calame appelle de ses vœux, loi des définitions administratives ou figées par une tradition révolue.

La réflexion en région conviviale est la prise au sérieux des croquis d’analyses des territoires pertinents, comme par exemple le document du MIIAT commenté au chapitre 14. De tels documents existent pour chaque pays. Les prendre au sérieux conduit à la seule démarche géographique ouverte sur l’avenir, et apte à saisir les potentialités des territoires, briques de base de la gouvernance au XXIème siècle (Calame). Les tableaux d’analyse font apparaître la richesse et la fécondité de la démarche :

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Figure 15‑9 : Analyse des potentialités de régions conviviales de l’Union Européenne

Les régions conviviales se répartissent sur toute l’échelle des densités, révélant celles qui ne sont pas saturées (comme par exemple les 6 régions de plus de 10 millions d’habitants en dessous de 200 habitants par km2 : Cracovie, Pô-Adriatique, Prague, Budapest, Bucarest, Varsovie). La région « Vosges-Ardennes » avec 137 hab/km2 est également loin de la saturation. Par contre, 5 des 14 régions conviviales de plus de 10 million d’habitants en Union Européenne atteignent un seuil de saturation (Londres, Sheffield, Düsseldorf, Amsterdam, Bruxelles).

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Figure 15‑10 : Analyse des densités des régions conviviales potentielles de l’Union Européenne

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Figure 15‑11 : Analyse de la population des régions conviviales potentielles de l’UE

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Figure 15‑12 : Carte des région de niveau NUTS 1 de l’Union Européenne (Source: Eurostat, Numéro de catalogue: KS-RA-07-020-FR-N, 2007)

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Figure 15‑13 : Carte des régions conviviales d’Europe de potentialités pures, hybrides et réelles. Morphogénèse des régions basées sur l’appartenance (sur fond Eurostat).

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Figure 15‑14 : Tableau du nombre de régions NUTS 1, 2 et 3 d’Europe ; Superficies (compris les eaux) et surfaces par Pays. Statistiques Eurostat 2006. En bleu : les régions conviviales

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Notes :

[1] Site internet : www.aer.eu. Pour la cartographie, voir www.geoatlas.com. La carte des région de l’ARE figure en annexe 00a, dans le fichier intitulé : 03-PartieIII_ReorganisationRegions Europe.doc
[2] Site internet d’Eurostat (Conception et cartographie : Violette Brustlein (CNRS/CREDAL). Ils précisent : « Ce fond de carte est destiné à représenter des données statistiques et uniquement à cela. Aucune garantie n’est donnée concernant la précision des contours des entités statistiques et administratives, la localisation des chefs-lieux, l’échelle, les frontières internationales, etc ». Ce fichier a été vérifié suivant la brochure KS-RA-07-020-FR (voir la note suivante).
[3] Régions dans l’Union Européenne, Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques, NUTS2006/UE 27 ; Numéro de catalogue: KS-RA-07-020-FR-N, Thème: Statistiques générales et régionales, Collection: Methodologies and working papers, Communautés européennes, 2007, 156 pages. Ce document figure en annexe 14, avec le chemin d’accès suivant : Annexe\Annexe11-Region-Sous-Continent\D2-Europe\Europe-NUTS\NUTS1-NUTS2-NUTS3-CARTES_KS-RA-07-020-FR.pdf. Toutes les cartes en ont été extraites au format TIFF pour permettre un travail cartographique au niveau des NUT2 et NUTS3.
[4] Le fichier est placé en annexe informatique (DVD-ROM) n° 11-Région-Sous-Continent, sous le nom « 00_Regions-Europe_NUTS1-NUTS2_b.xls » avec le chemin d’accès suivant : 00_Annexes\Annexe11-Region-Sous-continent\D2-Europe\Europe-Statistiques\00_Regions-Europe_NUTS1-NUTS2_b.xls. Il est également placé à la suite du texte en annexe ci-après.
[5] Voir l’ensemble des documents et cartes accessibles sur http://gl.berlin-brandenburg.de.
[6] http://ec.europa.eu/comm/eurostat/ramon/nuts/application_regions_fr.html. Il est expliqué : « la NUTS, qui établit une correspondance entre les régions en termes de dimensions, fournit en même temps plusieurs niveaux d’analyse. Ainsi a-t-on considéré, dès 1961, lors de la conférence sur les économies régionales organisée à Bruxelles à l’initiative de la Commission, que le niveau NUTS 2 (régions de base) constituait le cadre généralement utilisé par les États membres pour la mise en œuvre de leurs politiques régionales et que c’était donc à ce niveau que devaient être appréhendés les problèmes régionaux/nationaux, tandis que c’était au niveau NUTS 1 (grandes régions socio-économiques regroupant les régions de base) que devaient être étudiés les problèmes régionaux/communautaires comme « les conséquences de l’union douanière et de l’intégration économique sur des espaces immédiatement inférieurs aux espaces nationaux ». Le niveau NUTS 3, qui définit généralement les régions de dimensions trop restreintes pour permettre des analyses économiques complexes, peut être utilisé pour établir des diagnostics ponctuels ou pour choisir le lieu d’application privilégié d’actions régionales ».
[7] Voir aussi l’article fourni en annexe00b de Klaus R. Kunzmann intitulé « La « banane bleue » est morte ! Vive la « Grappe européenne » ! Cet article de 4 p. reproduit le dessin de l’intuition d’une « europe des régions » avec un ensemble d’une quarantaine de cercles de la taille indicative de 32 000 km2, parfois plus petis, parfois plus grands, mais toujours dans cette échelle de cohérence.
« Une région urbaine est une aire dans laquelle se déroulent les interactions de la vie quotidienne et des activités économiques, interactions qui se traduisent par des relations en matière de réseaux de transports et d’équipements, de marchés fonciers et du travail. Cette aire ne correspond généralement pas aux limites institutionnelles traditionnelles ».
[8] Les régions sont indiquées par leur nom général et leur centre de référence. Un nom ou un centre de référence proposé est en italique, un nom ou un centre de référence existant est en caractères droits.
[9] Patrick La Galès, Christian Lequesne, Les paradoxes des régions en Europe, Éd. La Découverte & Syros, Paris, 1997, 302 p. L’article de Marie-Claude Smouts « La région comme nouvelle communauté imaginaire » est aux pages 37-46.
[10] Alain Motte, « 4èmes rencontres internationales en urbanisme » , Grenoble, Vendredi 8 février 2008. Il explique l’émergence d’« Une nouvelle échelle de planification : la région urbaine (Healey) : Une région urbaine est une aire dans laquelle se déroulent les interactions de la vie quotidienne et des activités économiques, interactions qui se traduisent par des relations en matière de réseaux de transports et d’équipements, de marchés fonciers et du travail. Cette aire ne correspond généralement pas aux limites institutionnelles traditionnelles ».
Adresse internet : iug.xtek.fr/index2.php?special=fichier_page&id=91

15.B. Les R.C. en France

15.B. Implications pour les régions conviviales (R.C.) en France :

L’intuition pour la France peut être présentée à partir du « scénario de l’inacceptable », Ce scénario, mis au point par la DATAR pour exprimer ce qu’il fallait éviter à tout prix, exprime toutes les tendance des territoires en France : il suffit donc de s’appuyer sur ces tendances pour favoriser l’émergence de régions conviviales et conforter celles qui existent. Le schéma fait apparaître :

– Pour l’Aquitaine : l’importance de Bordeaux comme centre de référence pour un territoire qui s’étend jusqu’à Bayonne au sud, et la marche de la Charente au Nord. Une coopération interrégionale avec la région Midi-Pyrénées existe déjà.

– Pour la Bourgogne : Dijon n’apparaît même pas, comme rayée de la carte dans une vision jacobine de la France. Pourtant de multiples indices lui donne la vocation de centre de référence pour un espace englobant la Franche-Comté et la Haute-Marne : MIADTT, Revue de l’Est,.

– Pour la Bretagne : Rennes apparaît comme centre de référence pour un territoire de la Bretagne qui pourrait dans son attractivité englober la Mayenne.

– Pour la Corse peut-on suggérer que Corte soit un centre de référence adéquat ?

– Pour la Loire : la forte dépendance de l’ensemble de la Loire d’Orléans à Nantes suggère qu’une ville bien située sur l’axe devienne centre de référence. Tours, à équidistance de Nantes, Orléans et Poitiers apparaît avoir les qualités pour jouer ce rôle. Créer un aéroport près de Tours ne serait-il pas préférable à l’actuel projet de le situer entre Nantes et Rennes ? Un aéroport à Tours semble une alternative intéressante à la création d’un troisième aéroport de Paris, grâce à la bonne liaison TGV Paris-Tours, pour développer simultanément la région Loire. D’autre part, l’option de conserver « la Loire sauvage » est-elle contradictoire avec la création d’un canal au gabarit européen reliant Le Havre au réseau Nord-Sud Marseille-Europe du Nord (via la Moselle ?)? La région proposée est à l’échelle des défis qu’elle doit relever.

– Pour Midi-Pyrénées : l’importance pour Midi-Pyrénées du débouché sur la mer Méditerranée est souligné, avec Toulouse pour centre de référence.

– Pour le Massif Central : trois pôles apparaissent : Limoges, Brives et Clermont-Ferrand. Trouver un équilibre entre les trois dans une même région appelle un nouveau centre de référence commun. Culturellement, une telle région est desservie par le même quotidien « La Montagne » : ce nom pourrait devenir celui de la région. La démarche actuelle du Comité de Massif va dans le sens d’une structuration globale de cet espace, avec le renforcement des infrastructures, la création d’un aéroport régional, et le renforcement des solidarités. Un appel à projet est lancé[1] pour trouver des réponses « sur au moins deux régions ». La configuration proposée semble minimale (le Massif dans son entier recouvre 15% du territoire national sur 5 régions) mais cohérente pour tenir compte de l’histoire, de la culture et des solidarités existantes. Le centre de référence proposé par William Twitchett [2] serait un pôle nouveau à l’ouest de Clermont, sur un site possible pour un aéroport avec une connexion ferroviaire et autoroutière existantes, près de St-Julien-Puy-Lavèze (Autoroute A89/E70, Gare de Laqueuille-Gare et aéroport possible à environ 3km au nord).

– Pour le territoire Nord, Pas-de-Calais-Picardie : aucune solution satisfaisante n’émerge simplement. Il n’y a que la solution « la moins mauvaise» compte tenu de la proximité de Bruxelles. Il semble toutefois qu’Arras puisse jouer de rôle de centre de référence de par son équidistance vis-à-vis de Bruxelles, Londres et Paris, et son positionnement central au sein de la nouvelle région, la rendant au mieux apte à fédérer l’ensemble de la nouvelle région. Cette proposition a été mûrie par William Twitchett [3] lors de nombreux ateliers de Terre & Cité entre 1995 et 2008.

– Pour la Normandie : l’identité d’une Normandie unifiée est d’abord due à l’histoire : l’Epte est la frontière depuis le Traité de St Clair sur Epte signé le 11 juillet 911 entre Charles III le Simple et Rollon, le chef Viking, visant à l’établissement des Normands en Neustrie. Un nouveau centre de référence pourrait être proposé, et Lisieux pourrait jouer ce rôle fédérateur.

– Pour la région Rhône-Alpes : Lyon apparaît clairement comme le pôle structurant de la région, et cette région peut être considérée de l’avis unanime des géographes comme région modèle, à l’égal des Länder allemands. C’est une région de programme des années 1960, qui en tant que telle semble être la plus armée en France pour devenir une référence dans une réflexion sur la région conviviale. On peut remarquer l’existence d’un réseau de voies d’eau efficace, notamment entre Lyon et la Méditerranée, un service multiple de TGV avec un réseau ferroviaire complémentaire et un réseau autoroutier performants. Du point de vue du cadre de vie, le chef-lieu, Lyon ainsi que les chefs-lieux des départements permet de donner un accès facile aux sites de loisirs de qualité mondiale.

– Pour la région Rhône-Méditerranée : elle s’étend de Béziers à l’Italie, et Aix occupe une place privilégiée dans la zone de polarisation.

Pour la région « Seine » : le schéma confirme la zone de polarisation détaillée au chapitre 14. Le centre de référence proposé est « Paris-Chessy », pour tenir compte de la saturation de Paris, et proposer en quelque sorte une « Défense II » qui attend une figure charismatique comme « Robert Auzelle » lors de la réalisation de la Défense I pour être mise en débat. Il convient de souligner que toutes les infrastructures existent déjà, puisque Chessy est la gare d’interconnexion de tous les TGV de France vers toutes les régions d’Europe. D’autre part, les promoteurs construisent des dizaines de milliers de m2 de bureaux, hôtels, logements pour la qualité de l’implantation. Il serait temps de prévoir les emprises publiques nécessaires pour créer les services publics correspondants. C’est la prise de conscience citoyenne et politique qui semble faire défaut ici, probablement du fait de la rivalité entre Paris-ville et l’actuelle région (Bonnefoy, 2007 [4]).

– Pour la région des Vosges aux Ardennes : son caractère transfrontalier centré sur « Louvigny-Vandières » apparaît pertinent dans la perspective européenne développée au chapitre 14. L’ensemble de ces propositions sont cohérentes avec la Carte des Territoires vécus : organisation territoriale de l’emploi et des services dans son édition de 2002. En effet, les frontières proposées correspondent aux aires urbaines et aires d’emploi de l’espace rural dans la définition nouvelle proposée (Zonage en Aires Urbaines et en Aires d’emploi de l’Espace Rural (ZAUER) [5]).Aucun nouveau périmètre ne coupe une aire urbaine au niveau du pôle urbain ou des communes périurbaine, même entre Paris et Orléans, sauf deux cas justifiés l’un par l’histoire, l’autre par une limite administrative qui pourrait être très légèrement ajustée sur quelques communes : il s’agit de la Normandie séparée de la région « Seine » par l’Epte (les villes de Gisors et de Gournay-en-Epte se développent de chaque côté) et de la limite entre Bar-le-Duc (région « Entre Vosges et Ardennes ») et St-Dizier (région « Seine »).

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Figure 15‑2 : Le scénario de l’inacceptable des années 1970, et l’esquisse de régions conviviales pour y faire face (Fond de plan, Territoires 2030 n°3 avec superposition des cercles de 32 000 km2)

Le schéma régional proposé pour la France à partir de ces remarques pourrait être le suivant :

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Figure 15‑3 : Proposition de réalisation de 13 régions conviviales en France métropolitaine (Fond : Atlas Ouest-France).

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Figure 15‑4 : La France des régions conviviales (RC) (Extrait du fichier « Europe des RC »)

Le tableau ci-dessus est extrait du travail de statistiques sur les NUTS 1 et 2 de l’Europe présenté dans la partie qui suit. Les chiffres de la région « Vosges-Ardennes » sont donnés pour l’ensemble de la région avec la partie belge, luxembourgeoise et allemande pour permettre les comparaisons. On observe que dans cette perspective, la région « Vosges-Ardennes » est la deuxième en population après Paris (respectivement 7,3 et 14,2 millions d’habitants) pour un territoire presque égal à celui de Seine/Paris-Chessy (respectivement 52 800 et 55 800 km2). Les cartes qui suivent indiquent les deux modifications de frontières de département proposées, internes à la France. Cette démarche contribue à une réflexion sur l’adaptation des régions françaises dans la perspective de « l’Europe des régions ». Elle n’a de sens que dans cette perspective, exposée ci-après.

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Figure 15‑5 : Proposition de périmètre pertinent pour la région Nord-Picardie (Fond INSEE, Géoflat 2007)

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Figure 15‑6 : Proposition de périmètre pertinent pour la région « Seine », entre Orléans et Paris  (Fond INSEE, Géoflat 2007)

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Notes :

[1] www.massif-central-diact.gouv.fr. Pour les informations, voir aussi www.adimat.com Les trois articles relatant la convention interrégionale 2007-2013 sont en annexe 12 à l’adresse suivante : Annexe\Annexe12-Region-Conviviale-Ville&Territoire\D2_Europe\D2-Montagne et suivants.
[2] Les croquis d’intention sont présentés dans l’annexe informatique n°04 à l’adresse suivante : Annexe\Annexe12-Region-Conviviale-Ville&Territoire\D2_Europe\D2-Montagne
[3] Voir le remarquable PowerPoint et fichier PDF de synthèse dans l’annexe informatique n°04 à l’adresse suivante : Annexe\Annexe04-Terre&Cite\TWITCHETT_ARRAS_Region-Conviviale_80pages.pdf
[4] Voir le document présenté au 43ème Congrès de l’AIU/ISoCaRP à Anvers en septembre 2007 par Edmond Bonnefoy. Le document se trouve dans l’annexe informatique n°04 à l’adresse suivante : Annexe\Annexe04-Terre&Cite\Bonnefoy-Edmond-Hildebrandt_a-Francais.pdf
[5] Carte des territoires vécus : Organisation territoriale de l’Emploi et des services, Édition 2002, INSEE, IGN, Cartographie et décision, 2002. Le travail est conjoint entre la DATAR, le Ministère de l’Agriculture, l’INRA, l’INSEE.

13.B-C. Frontière & centre

3.B. Approfondissement de la notion de frontière et de centre avec Mircéa Eliade ; Importance pour une approche pratique des régions conviviales de l’Europe et du monde

L’enquête de Régis Debray avait commencé dès sa Critique de la raison politique en 1981. Il y décrit le « principe d’inscription » [1], le principe d’incomplétude. Il résume ce dernier par l’expression « Clos, donc ouvert » [2]. Edgar Morin développe le principe d’incomplétude avec les mêmes accents (et tous les prolongements scientifiques) dans La Méthode. 4. Les Idées  [3]. Son propos est bien connu, aussi, des anthropologues. Mircéa Eliade a ainsi depuis 1957 expliqué dans Le sacré et le profane le lien entre chaos et cosmos « toute construction ou fabrication a comme modèle exemplaire la cosmologie » [4], aussi bien dans les sociétés traditionnelles que modernes. « C’est cela que tu n’as pas pensé qui se vengera de toi » [5] exprime Régis Debray. Mircea Eliade explique dès 1957 « qu’en d’autres termes, l’homme profane, qu’il le veuille ou non, conserve encore les traces du comportement de l’homme religieux, mais expurgé des significations religieuses. Quoiqu’il en fasse, il est un héritier (…) La majorité des « sans religion » se comportent encore religieusement, à leur insu » [6]. Il suffit pour s’en persuader de consulter toute l’œuvre de Gilbert Rist, Directeur de l’Institut Universitaire d’Études du Développement (IUED) à Genève [7], où il travaille à une anthropologie de la modernité qui fait apparaître la société occidentale comme étant aussi traditionnelle que les autres. Il étaye ainsi, de façon fort documentée et avec une grande finesse d’analyse le propos de Mircea Eliade, assumé en synthèse par R. Debray.

Ceci induit pour la présente thèse une méthode spécifique d’approche des frontières et des centres des sociétés régionales émergentes. Chaque société régionale a un centre et une périphérie. Le centre peut être en adéquation avec le site et ses potentialités, ou non. Quatre cas sont possibles :

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Figure 13‑5 : Tableau de l’adéquation des centres et frontières des régions conviviales : potentialités réelles, hybrides ou pures.

La pertinence de cette analyse s’appuie sur l’approche d’un territoire composé d’un centre (une référence transcendante) et d’une frontière (séparation d’un dedans et d’un dehors, pour gérer des flux). Centre et frontière sont inséparables dans l’analyse. Ils se réfèrent tous deux à un peuple ou à une nation composée d’un ou plusieurs peuples. Les États adéquats sont en principe des structures de gestion des nations. Pour développer la mondialisation (objectif prioritaire de la politique d’intégration européenne) a été mis au point le SDEC [8]. L’économie est le premier but : « l’UE évoluera ainsi progressivement d’une Union économique vers une Union environnementale et à l’avenir vers une Union intégrant la dimension sociale, tout en sauvegardant la diversité régionale. [9] ». Pour éviter les « obstacles » des États, l’insistance est mise sur les régions. De fait, c’est redonner aux territoires leur importance. Mais l’absence de politique spécifique pour les régions en terme de société ne permet pas aux frontières (anciennes ou nouvelles) de jouer leur double rôle : faciliter les flux et promouvoir dans le même temps un renforcement équilibré des sociétés. Cette approche est développée en partie III, chap. B.14.C.3. pour la région « Entre Vosges et Ardennes ».

Cette approche ne peut être qu’une introduction : centre et frontière sont les symboles d’une approche intuitive des territoires. Ces symboles ont été finement analysés par Stéphane Rosière [10]. Ils sont liés à la société plus qu’à l’économie, comme le montre leur utilisation politique. Ils sont à la fois le signe d’une permanence (ce qui ne passe pas) et du changement (ce qui passe). Leur conception oscille ainsi entre une vision purement administrative et une vision sous l’angle d’une meilleure gouvernance. L’approche développée ici est celle d’une meilleure gouvernance qu’une administration vient, ultérieurement, appuyer (conjugaison de la permanence et du changement). Les quatre notions d’analyse constitutives des sociétés personnelles sont l’héritage, l’émergence (les flux), la transmission et l’histoire. Beaucoup d’analyses de potentialités se font essentiellement en terme de flux : étude d’infrastructures -mobilité/intermodalité/interopérabilité-, études de perméabilité/fluidité de frontières, coopérations interrégionales, échanges économiques entre région -sans intervention des Etats-, etc. Ces études ne prennent en compte qu’un seul des quatre critères d’une société. Ainsi, beaucoup d’Eurorégions développent des programmes dans ce sens : l’Eurorégion Barcelone-Aragon-Midi-Pyrénées-Languedoc est un exemple [11]. Pourtant, sans être clairement identifié en tant que tel, un projet de société est énoncé : consolider l’autonomie des collectivités territoriales [12]. Ainsi, on observe que la volonté est de protéger les frontières d’un point de vue sociétal, et de les ouvrir d’un point de vue économique. La même observation peut être établie à propos de beaucoup de programmes « Interreg ». Le débat gagnera en clarté quand ces distinctions seront faites. Au lieu de miser sur un affaiblissement des sociétés pour faciliter les flux (baisse de charges sociales, réduction de la solidarité nationale [13], etc.), il serait possible simultanément (à tout le moins clairement envisagé) de consolider les sociétés et d’améliorer les échanges. Dans tous les cas, la dimension territoriale est forte, tant pour la société que pour les échanges. La région conviviale peut être le lieu de débats, de confrontations et de propositions dans ce sens.

Seule la population locale, quand elle existe (allusion aux vastes contrées non habitées d’Australie, ou de Sibérie) ou la nation responsable du territoire, peut se prononcer sur l’adéquation ou non du centre et de la frontière. Par exemple, au sein du peuple slovaque sont faites des propositions pour déplacer la capitale de Slovaquie de Bratislava à Zvolen. En effet, Bratislava, à l’extrême ouest du Pays ne dessert pas au mieux la population. D’autres pays tels que le Kazakstan (Asthana à la place d’Almaty en 1997) ont changé de capitale pour servir le pays de façon plus efficace.

Tous ces exemples montrent que nous sommes ici bien loin de la notion de frontière et de centre sur une base purement administrative et politique. Cette approche se détache aussi « d’une vision purement géographique qui consiste à définir le territoire comme un espace approprié par une communauté ». Le territoire est « un système complexe de relations et d’échanges », le carrefour de relations de nature variées », « terreau de nouvelles pratiques, lieu privilégié de l’invention d’alternatives de développement, espace d’expérimentation » [14]. La frontière se caractérise par sa perméabilité, et le centre par son ouverture. Max Sorre dans son ouvrage Les fondements de la géographie humaine, (1952, t.III, p.228) exprime « Il y a un lien étroit entre ces deux organes de la vie politique : la frontière et la capitale ». Dans tous les cas, en référence à l’homme, frontière et centre de référence caractérisent un territoire, et sont signes de l’inscription de l’homme sur une terre, sa géographicité (pour reprendre l’expression d’Eric Dardel [15]).

13.B.1. Frontière et centre d’une région conviviale

A l’examen pratique des régions d’Europe, tantôt beaucoup plus petites tantôt beaucoup plus grandes que la notion indicative de région conviviale, il s’avère utile de proposer une analyse en six types de régions potentielles, suivant le tableau synthétique suivant :

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Figure 13‑6 : Frontière et centre d’une région : typologie des potentialités régionales.

Une carte de propositions pour une Europe des régions, et la mise en œuvre établie d’une typologie des centres et frontières selon cette légende, est réalisée au chapitre 15.C.

Il convient de noter que la notion de frontière fait appel à une approche globale en terme de site urbain (Twitchett) et de gouvernance (Calame). L’approche combine la pertinence relationnelle et la pertinence écologique. Pierre Calame insiste beaucoup sur la nécessité de réaliser des statistiques sur les territoires, pour renouer la tradition perdue avec la modernité de « penser avec les pieds ». Cette démarche de recherche statistique pour connaître les flux de toutes sortes suppose la délimitation d’un « dedans » et d’un dehors ». Le meilleur exemple est celui de la membrane d’une cellule. Il ne s’agit pas de « bloquer » les flux, il s’agit de les connaître, d’en prendre conscience, d’en élaborer une connaissance pour pouvoir agir en conséquence. Seul cet effort de pensée doit permettre de conjuguer mondialisme et mondialisation.

Peut-être faut-il changer le terme de frontière et en proposer un autre ? En effet, le même mot sert à caractériser un mouvement de fermeture des frontières, pouvant aller jusqu’à l’établissement de murs (murs entre Israéliens et Palestiniens, entre les USA et le Mexique, entre Indiens et Pakistanais, …).

Il s’agit d’une véritable remise en question : on sort du concept vidalien, pour des réalités géopolitiques et des entités processuelles. On donne de l’importance aux pouvoirs, aux capacités d’intervention quant à l’aménagement, à la mobilité, aux flux et à l’attraction. La région est un espace de potentialité : on retrouve ici l’ancienne notion de puissance, au sens de « capacité d’agir et de réaliser une politique) qui tend à disparaître de nos manuels de géographie. La notion de potentialité a été développée dans le chapitre 11. Ce chapitre a montré que les objets géographiques sont les potentialités pures, hybrides et réelles. La rubrique qui suit cherche à l’appliquer à la géographie, et à réhabiliter l’ancienne notion de puissance, liée à la potentialité.

13.B.2. Apport des notions de potentialité pure, hybride et réelle (voir le chapitre 11) à la notion géographique de puissance

Jean-Pierre Renard a constaté la disparition (ou un traitement humoristique [16]) de la notion de puissance dans les principaux dictionnaires de géographie (notamment le DGES), sauf celui d’Yves Lacoste. J-P.Renard définit la puissance comme «  un phénomène qui se mesure en fonction de potentialités territoriales internes et de la capacité à se projeter à l’extérieur de ce territoire, à des distances de plus en plus grandes (élément de la hiérarchie des puissances) » [17]. La notion de puissance fait clairement référence à celle de potentialité interne et externe (analyse génétique et analyse morphologique). Dans le détail de sa définition [18], on reconnaît sans peine toutes les déclinaisons de la potentialité pure, hybride et réelle, ainsi que leurs articulations.

Ceci n’est pas étonnant. Comme le souligne William Twitchett en partie B1.2 de sa thèse, le lien fait d’ailleurs partie de la définition du mot potentialité dans le simple Larousse. La potentialité est le « Caractère de ce qui existe en puissance ». Le Littré indique : « Qualité de ce qui est potentiel, en puissance ». Un lien peut aussi être fait avec la notion de puissance chez Locke, qui exprime selon Whitehead la capacité auto-créatrice de l’entité-actuelle (au niveau microscopique), donc des nexus et des sociétés dont ils sont formés (au niveau macroscopique).

Pour la présente thèse, la puissance existe lorsque toutes les potentialités, pures, hybrides et réelles sont mobilisées et mises en œuvre. Nous verrons plus loin comment la région conviviale semble être l’échelle de la plus grande puissance, au sens de la conjugaison des potentialités (pures, hybrides, réelles) pour une efficacité de la transformation des territoires.

13.B.3. Centres et périphéries : vers une nouvelle approche des territoires qui conjugue les deux approches

La proposition faite en partie II d’un nouveau mode de pensée en terme de potentialité pure, potentialité hybride et potentialité réelle (nexus et sociétés) prend ici toute son importance. Il était important de fonder ces concepts pour permettre des applications dans le domaine de la géographie fondamentale -prospective & modélisation- (potentialité pure), de la géographie aménagement (potentialité hybride) et géographie analytique (potentialité réelle) : les statistiques n’existent pas encore (ou existent dans un ordre dispersé, sans liaisons entre elles). Les nombreux travaux sur la définition des villes, agglomérations, unités urbaines, aires urbaines, métropole, mégalopoles, villes mondiales, … témoignent d’une grande confusion des relations entre ces notions. La connexion aux travaux géographiques régionaux des géographes n’est pas faite, comme le souligne Ph. Pinchemel. Le travail qui suit tente de poser le cadre général d’une réflexion pour l’aménagement de la planète en régions conviviales. La notion de convivialité est prise méthodologiquement au même sens que la notion d’inégalité pour Alain Reynaud. Les cartes ne peuvent rendre compte du phénomène urbain que par des indications de densité [19] et l’indication de quelques centres importants. Mais ces indications ne suffisent plus : à quel territoire se reporte le phénomène de densité ? Quelle est la taille de l’agglomération pour la calculer ? Le plus souvent, les indications sont vagues, ou quand elle ne le sont pas, elles ont des découpages arbitraires avec les communes urbaines voisines et perdent de leur pertinence. François Moriconi-Ebrard a donné depuis les années 1990 un fondement scientifique à la notion d’agglomération morphologique. Désormais, c’est au fondement scientifique de la notion de région morphologique qu’il convient de travailler pour rendre compte des phénomènes observés sur les territoires.

3.B.4.1 Comment éviter le piège du concret mal placé :

Les propos qui précèdent sur la frontière et le centre sont essentiels pour pouvoir revenir au sens concret d’une frontière et d’un centre, en terme de société, et non uniquement en terme économique de création d’activités et d’écoulement des marchandises.

Pour éviter le piège du concret mal placé [20] (prendre l’abstrait pour le concret), il convient de faire référence aux phases du procès génétique. Cela conduit à

  • (ap)préhender les faits dans leur complexité (passé/présent/avenir) en prenant en compte autant que possible tant la causalité efficiente (les relations internes) que la causalité « externe ».
  • observer les entités dans leur procès de devenir, c’est-à-dire en configuration de devenir. Les data préhendés, qui sont des êtres déterminés, doivent être saisis dans les différentes composantes de leur détermination (objets persistants et objets éternels), sachant que les relations internes sont asymétriques [21].
  • porter l’observation sur
    • le sujet préhendant (l’universitaire, l’urbaniste ou l’ingénieur territorial, …) qui a sa propre visée subjective (qui peut avoir plusieurs facettes) et ses pensées désirantes (son objectif)
    • l’objet (datum, …) préhendé avec ses caractéristiques, ses déterminations et son propre procès de concrescence
  • prêter attention à la manière dont est menée la recherche (la forme subjective)
  • exemplifier les catégories de l’explication en vue d’une application, ou à l’inverse, d’une modification du schème (absence de dogmatisme). Il est donc important de bien définir « l’objet » de la recherche, et l’ensemble des liens qui sont concernés en première approche, dans une vision dynamique et évolutive. « Les objets sont des facteurs de l’expérience qui fonctionnent en sorte d’exprimer que cette occasion prend naissance en incluant un univers transcendant d’autres choses. (…) la conscience est l’accent mis sur une sélection de ces objets »[22].

Toute la géographie prospective, la géopolitique et la géohistoire disent cela à leur manière, en constatant que l’inclusion des acteurs dans le propre procès de devenir des territoires considérés est un facteur déterminant de la réussite de la démarche. Pourquoi ? Il n’y a plus un changement qui est imposé de l’extérieur, mais avec la prise en main sur place, directement, de tous les composants, on peut espérer que les changements naissent de l’intérieur et que les propositions souhaitables soient décidées et mises en oeuvre.

13.C. Autres notions géographiques : l’espace, le temps, la communauté, le territoire, le paysage

Il a été étudié dans le cadre de la présente thèse les notions d’espace, de temps, de communauté, (Patrie / Nation / Régime / État ; Individu / Sujet / Acteur / Personne), de territoire, et de paysage [23]. Pour des raisons de volume, les 17 pages d’analyse ont été placées en annexe dans un dossier de « textes complémentaires ». Le principal apport de ce texte complémentaire placé en annexe est de montrer comment les distinctions entre les multiplicités, les nexus et les sociétés se retrouvent entre les notions d’individu, de sujet, d’acteur et de personne  selon les définitions d’Emmanuel Mounier, auteur du personnalisme communautaire [24].

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Notes :

[1] Debray (1981), pages 386 à 392. Il exprime que « L’espace est la dimension caractéristique de l’ordre politique. Le temps, celle de l’être vivant. Ces deux propositions sont liées, car la première est la conséquence de la seconde ».
[2] Debray (1981), Chapitre I, page 255. La section « Clos, donc ouvert » est pages 257 à 263.
[3] Edgar Morin, La Méthode. 4. Les Idées. Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, Paris Seuil, 1991, 262p. Voir page 185 à 209, avec un résumé abrégé p.242 l’incomplétude logique ; le théorème prononcé par Kurt Gödel en 1931(le texte du théorème est p.105-142 de l’ouvrage Le théorème de Gödel de Nagel (E.), Newmann (J.R.), Girard (J.Y.), Paris, Ed. du Seuil, 1989) ; Chacun connaît le paradoxe des Crétois. Si un Crétois dit : tous les Crétois sont menteurs », que doit-on en déduire ? (p.185). Edgar Morin dégage page 242 un principe d’incertitude anthropologique/sociologique/noologique/logique/rationnel. L’ensemble des propos qui suivent pourraient être exposés suivant le schéma de concrescence. Mais ce serait une autre thèse : Edgar Morin y détaille de fait chacune des relations du schème organique …
[4] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Folio, Essai n°82, 1957, page 45b.
[5] Debray (1981), 423a.
[6] Eliade (1957), p.173a&b.
[7] Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences-Po, 1996.
[8] Schéma de Développement de l’Espace Européen, présenté pour la période 1999-2006 Le document se trouve sur le serveur http://euroe.eu.int/ ou sur le site d’inforegio http://inforegio.cec.eu.int/
[9] SDEC (1999), page 11
[10] Stéphane Rosière, Géographie politique et Géopolitique, : une grammaire de l’espace politique, Ellipses, 203, p.259 et suiv.
[11] Voir le dossier complet en annexe12 de l’annexe informatique, à l’adresse suivante : Annexe12-Region-Conviviale-Ville&Territoire\D2_Europe\D2-Barcelone-Catalogne.
[12] Voir le Monde Diplomatique de décembre 2007 et le dossier spécial : « Catalogne : Indépendance ou autonomie ? » de 4p.
[13] Stéphane Rosière explique que « de nombreux acteurs contemporains considèrent que les charges qu’induit la solidarité nationale (sécurité sociale, impôts, redistribution des richesses) obèrent leur développement économique plus qu’il ne le stimule, ou leur est tout simplement insupportable au nom d’un égoïsme qui ne se cache plus. » ibid, 2003, p.299e.
[14] Pierre Calame, Fiches de notion « territoire », www.fph.fr, article 1, alinéa c.
[15] Erice Dardel, L’homme et la terre, ECTHS, 1990 (1952), p.2a.
[16] Jean-Pierre Renard note « Terme présent dans « les Mots de la géographie, dictionnaire critique », sous la direction de Roger Brunet en 1992, mais une définition rapidement expédiée, voire ironique, voir page 408. « en géographie synonyme d’Etat…ne s’emploie guère que pour les forts…apparaît déjà dérisoire quand on parle des puissances moyennes et ridicule pour les petites ».
[17] Extraits de la conférence sur « La notion de Puissance, réflexion géographique » le vendredi 25 mars 2005 par Jean-Pierre Renard, Professeur des Universités en géographie, Université d’Artois, Directeur de l’Équipe d’Accueil « Dynamique des Réseaux et des Territoires ».
Le texte complet se trouve sur http://www5.ac-lille.fr/~heg/spip.php?article43
[18] Sa définition est la suivante : « une puissance fait rêver : elle mobilise, fait adhérer, intègre, fait évoluer…le thème de la cohésion interne, de la projection dans l’avenir et l’espace extérieur ; une puissance engendre l’innovation y compris culturelle. …la cohésion intérieure passe aussi par la maîtrise du territoire, son aménagement (voies de communications, réseau de télécommunications, connectivité entre les lieux, absence d’enclaves ou d’angles-morts…). …une participation décisive à la mondialisation (flux financiers, commerciaux, humains…) et à la globalisation (contraction spatio-temporelle du monde) : la puissance, un territoire par lequel passent en temps réel, les informations couvrant le monde. … les critères constitutifs d’une grande puissance mondiale sont multiples et interconnectés, appliqués à des échelles différentes : lieux marqueurs de puissance, maîtrise des espaces régionaux, contrôle et cohésion du territoire national, rayonnement international et nœud de la globalisation. »
[19] Voir par exemple dans l’Atlas des bassins versants du monde, placés intégralement en annexe informatique n°10, à l’adresse suivante : Annexe10-Planete\00_Monde-Bassins-Versants\Atlas-Bassins-Versants-Monde.
[20] D’autres exemples peuvent être cités, comme le mythe d’une science sans mythe (Serres, 2003), ou du développement par la mondialisation (Passet, 2001)
[21] Ford, EMW 40-44
[22] W, IS, 227, p.286
[23]Le fichier est intitulé 03-PartieIII_NotionsGeographiques-EspaceTempsCommunauteTerritoirePaysagé.doc . Il est présenté en annexe informatique, et le chemin d’accès est le suivant : 00_Annexes\Annexe00_Textes-Complementaires\03-PartieIII_NotionsGeographiques-EspaceTempsCommunauteTerritoirePaysagé́.doc
[24] Emmanuel Mounier, Qu’est-ce que le personnalisme, dans Oeuvres de Mounier, 1931-1939, tome1, p.536 à 541,