4.C.3. Illustration du procès de transformation du territoire à travers la réalisation d’un château d’eau :
Cet exemple peut devenir pour la présente thèse l’équivalent de l’exemple du lac suisse pour l’œuvre de Pierre Calame, décrit au chapitre 2.G.4. p.56-57.
L’opération du Château d’Eau a été décidée par délibérations des 29 juin, 30 Août, 19 octobre 1999 et 29 février 2000. Un traitement urbanistique et touristique de ce site -point culminant de la ville- l’a emporté sur un traitement uniquement technique pour protéger strictement le château d’eau en l’entourant d’un puissant grillage afin d’empêcher toute intrusion et tout risque de pollution des eaux par vandalisme. La contrainte de protection a été intégrée et traitée en déclinant un vocabulaire défensif (talus planté d’épineux, bancs formant garde corps, murs de soutènements formant fond de belvédère et protection des cuves, …) tout en accompagnant le projet touristique : traitement des éclairages pour être vu de nuit depuis l’autoroute, formation d’un écran des cuves pour « encadrer » le paysage, murs latéral de l’escalier formant garde corps et séparation, Ce travail de suture et combinaison des usages, réponse au cahier des charges de la direction des services technique de la ville, est l’œuvre de l’architecte Van de Wingaert, qui s’était déjà distingué dans les revues d’architecture et d’urbanisme pour la réalisation de ses château d’eau. Pour la réalisation, l’entreprise de bâtiment/VRD [1] a taillé la colline sur prés de 10 m de haut et 50 m de large afin d’y encastrer les deux cuves de 5 000 m3, dans une mise en œuvre audacieuse et performante. Ce travail fut réalisé entre le 15 mai et le 15 novembre 2000. Avec cette réalisation s’achève tout un ensemble cohérent d’opérations allant de la place des Carmes à la colline de Méhon. Cet ensemble coordonné est offert aux Lunévillois. Il constitue une sorte d’écrin pour le projet encore à venir de la transformation de l’ancien grand manège … tout est prêt …
En confrontant ces faits au schéma de questionnement du chapitre 2, on constate que l’enchaînement des actions se fait bien suivant les 4 phases déjà décrites. Celles-ci peuvent être synthétisées dans le schéma qui suit .
Essayons maintenant de détailler chaque phase pour apprendre à bien saisir le mouvement intérieur qui va de l’une à l’autre. Dans la réalité, cet ordre marque le début des phases, leur enchaînement. Bien vite, elles deviennent simultanées, et s’accomplissent avec des interactions entre elles.
Phase a : appréhension : le problème posé par le château d’eau.
Le château d’eau au sommet de la colline : comment l’intégrer aux quartiers ?
Le problème posé est le suivant : la ville de Lunéville devait accueillir de nouvelles réserves d’eau pour sécuriser le réseau en cas de panne d’électricité : il s’agissait de pouvoir offrir à la population au moins l’eau d’une journée entière, le temps que les secours puissent se mettre en place. Après une hésitation entre une localisation près du cours d’eau (réhabilitation d’un château d’eau existant mais inutilisé par vétusté) et une localisation au sommet de la colline de Méhon, ce dernier site fut choisi. La question était : comment intégrer cet équipement technique volumineux dans un quartier couvert de nouveaux lotissements, avec une population jeune et des enfants, sans dénaturer un paysage caractéristique immortalisé par nombre de gravures et de peintures de la ville dessinées au fil des siècles ? Des idées sont venues spontanément : créer une placette pour les habitants en partie haute du château d’eau, créer un belvédère, sur le sommet des cuves, relier les cheminements autour du futur équipement, …
Figure 4‑11 : confrontation au schéma de questionnement: procès de transformation du territoire pour la réalisation d’un château d’eau
Bien vite, un recentrage sévère eut lieu entre les élus, l’ingénieur et les techniciens. Les techniciens (internes et de l’usine de traitement des eaux de la C.G.C.) en équipe serrée et soudée sont venus expliquer qu’un château d’eau est un organe technique, qu’il faut protéger, barricader, entourer de barbelé, rendre infranchissable pour que personne ne puisse atteindre le sommet des cuves, soulever le tampon et empoisonner la population … Nous avons ici l’exemple même de la stérilisation des idées sous l’effet des impératifs techniques que l’on suppose à priori sans possibilité d’articulation à d’autres contraintes. La réalisation a montré que les possibilités étaient réelles : les contraintes techniques sont à intégrer aux usages des lieux, à l’environnement. Dès lors le défi était de respecter ces contraintes de sécurité en priorité … tout en les intégrant aux autres contraintes.
Phase b : la détermination de la vision.
C’est ainsi qu’un programme a été élaboré. Ce programme donnait la priorité à la sécurisation de l’équipement, sans négliger son insertion dans le site afin de valoriser sa position dominante dans le paysage, d’utiliser les possibilités offertes pour créer une placette associée au lotissement qui le jouxte, de créer les liaisons des cheminements piétonniers nombreux sur ce pan de colline.
Phase c : les propositions.
Plusieurs maîtres d’œuvre ont été mis en concurrence. Le projet de l’architecte Thierry Van de Wyngaert, maître d’œuvre de nombreux châteaux d’eau en France a été retenu.
Phase d : Réalisation.
En juillet 2007, une visite du site a montré que le cheminement de promenade et le belvédère sont ouverts, accessibles et utilisés. Le Comité touristique a intégré le belvédère dans ses parcours préférés, pour expliquer le développement de la ville. Par contre, la place publique a été grillagée et le portail fermé : la cour a été « reprivatisée » pour un usage technique d’accès des véhicules des services de la CGE. Ainsi, aucun espace public ne ponctue la rue du lotissement, à l’exception d’un grand espace vert en cœur d’îlot, composé d’allées et de pelouses formant des monticules. La vie collective est ainsi invitée à se développer du côté arrière, privatif, et aucun jeu collectif n’est prévu, ni facilement réalisable.
L’exemple du château d’eau montre comment s’emboîtent de manière concrète des gouttes d’expérience : sur la base d’un plan d’ensemble, qui suit son propre parcours de réalisation, se développe un projet plus particulier qui a lui-même sa propre cohérence avec des impératifs en partie communs (problématique urbaine) et en partie différents (par exemple, la sécurisation du site pour empêcher le vandalisme). Les pages qui suivent (p.133 à 137) se présentent sous la forme de fiches actions mises en cohérence avec l’esprit de la démonstration de la thèse.
Figure 4‑12 : Revue Construction moderne, n°120, 3ème trimestre 2005, page 22
[1] VRD : Voiries et Réseaux Divers