〈91〉 3.C. L’expérience au niveau des territoires :
3.C.1. Confrontation avec la démarche de la thèse de Bill (William) Twitchett
L’intérêt de la thèse [1] de William Twitchett est de formuler des propositions à l’échelle de la planète à travers les exemples concrets des trois couples de villes Paris/Toulouse, Le Caire/Louxor, Sydney/Warraway : les idées sont enracinées dans une réalité de terrain. L’auteur a visité ces villes, ces régions, et formule des propositions qu’il a pu vérifier « les bottes au pied ». L’acteur principal n’est plus seulement le sujet d’un territoire, mais le territoire lui-même, appelé ici le site.
« En se référant plus particulièrement à la notion de site, nous n’avons nullement l’intention de limiter le phénomène de la ville d’aujourd’hui à cet aspect, mais le site d’une ville reste déterminant pour divers aspects de son développement, depuis le noyau initial jusqu’à la région urbaine épanouie ». La démarche exprime une confiance en l’homme et insiste sur l’importance du langage de la matière : «de façon analogue à nos propres corps, un site bien assumé par un groupe humain -même partagé avec un nombre impensable autrefois, d’autres personnes humaines- peut être source fondamentale d’épanouissement » [2].Ainsi, la dynamique qui est proposée ici est une dynamique qui se veut non dualiste : « Au delà des questions de terrain, de réseaux, de pouvoirs, de revenus, nous voudrions pouvoir arriver à un art urbain significatif de cette nouvelle échelle, dans laquelle un site ferait effectivement partie d’une civilisation où le corps et l’esprit ne font qu’un » [3].
Le regard se porte de façon plus spécifique sur le lien entre les potentialités de développement urbain et la capacité des sites eux-mêmes à accueillir ce développement. En effet, combien de démarches généreuses et ouvertes ne bénéficient pas de l’extension qu’elles devraient avoir par 〈92〉 défaut d’analyse du site d’accueil de l’initiative ? Dans d’autres cas, l’analyse est faite et vécue … mais les acteurs économiques et politiques peuvent avoir d’autres enjeux. L’analyse est alors un outil d’interpellation des élus, de confrontation, de débat citoyen pour faire évoluer la mentalité des décideurs, et s’orienter vers le souhaitable à partir des potentialités des territoires.
L’ingénieur territorial est appelé à développer ce sens du territoire, qui n’est plus la conception d’un territoire-surface avec une frontière administrative, mais qui est une approche relationnelle du territoire (Calame, 2003). B.Twitchett souligne parmi ces relations l’importance du lien de l’homme et des sociétés au site, le tout étant dans des sociosystèmes [4] très mobiles, imbriqués.
La dynamique d’analyse mise en œuvre n’est pas formulée explicitement, mais tous les éléments sont là, notamment le contraste fort entre le site bien matériel et un travail sur les potentialités, c’est à dire « ce qui n’est pas encore ». Cette dialectique entre ce qui est et ce qui n’est pas encore sous-tend l’œuvre de tous les grands philosophes et chercheurs. Une formulation saisissante, soulignée par Whitehead, en est fournie par Platon dans le Timée. La démarche de B.Twitchett est bien dans cette dialectique, suivant la proposition du schéma qui suit.
Cette démarche a été appliquée aux six régions, aux trois échelles de temps suivantes : la situation en 1800, le temps de l’agglomération entre 1800 et 1950, la période d’évolution vers la région urbaine, après 1950.
Elle est appliquée aussi à différentes échelles territoriales : de la ville à la région urbaine puis aux territoires nationaux. L’abondance de la documentation, les descriptions concrètes rendent saisissante et crédible l’expression des potentialités d’accueil des sites. L’approche se montre soucieuse de contribuer, tout comme la FPH, à la triple réconciliation de l’homme avec la société, avec la 〈93〉 nature, et les sociétés entre elles [5]. Elle développe d’autre part un art de la fondation avec une appréciation politique fine de l’opportunité et la pertinence de la proposition [6].
Figure 3‑7 : Schéma du questionnement de l’expérience géographique à travers l’approche de W.Twitchett dans sa thèse Le site urbain : potentialités sous la direction de Paul Claval, 1995
3.C.2. Confrontation avec la démarche de l’AIU à son 43e congrès de septembre 1997.
L’Association Internationale des Urbanistes (AIU, et en anglais ISoCaRP –International Society of City and Regional Planners– [7]) regroupe des urbanistes praticiens de tous les continents. Ces professionnels échangent sur leurs méthodes, à propos de leurs études de cas. Le thème du 43e Congrès concernait le fonctionnement du Trialogue Habitants/ Élus/Praticiens. 〈94〉
Ce qui est visé par le trialogue est la participation des habitants dans le processus de décision et dans le dessin des projets. Mais cela est très difficile à réaliser ! Un certain nombre de congrès sont revenus sur ce point comme celui de Braga au Portugal en 1984. Le trialogue est une vision prospective de ce que devrait être l’urbanisme.
Encore une fois, il est surprenant de constater qu’avec des noms différents, une expression différente, nous retrouvons directement trois des cinq réalités d’expérience constitutives de la dynamique de transformation des territoires, des sociétés et des hommes, à savoir les phases a (les interactions ou préhensions), b (la vision) et c (les objectifs ou propositions).
Figure 3‑8 : Le lien entre le trialogue et les réalités de la dynamique territoriale
Dans le trialogue, manque-t-il deux réalités ? réalité ab (les valeurs) et réalité d (la mise en œuvre) ? Non ! la valorisation (le socle éthique, les valeurs, ou déontologie) est sous-entendue dans le trialogue : elle est le ciment de toutes les réalités (valeur de responsabilité dans la gestion de la planète ; valeur de convivialité dans l’organisation de nos régions). Les valeurs sont les liens entre les réalités. Manque-t-il encore la quatrième phase? Oui, effectivement. Mais il s’agit d’un oubli, qui a été corrigé dans l’organisation du Congrès. En effet, dans la pratique, au 43ème Congrès, le trialogue n’a pas fait l’objet de trois ateliers (un par élément du trialogue) mais de quatre: le quatrième a été créé pour les professionnels de l’urbanisme et du secteur privé qui produisent des projets urbains, afin de traiter le lien avec les habitants. Cette analyse en quatre phases est confortée 〈95〉 par l’intervention de David Prosperi & Julia Lourenco, Le regard percutant du quadralogue: maîtriser la difficulté de maniement du Trialogue [8]. La démarche est riche de références américaines et d’exemples empruntés aux USA et au Portugal. On retrouve donc bien nos quatre réalités d’expérience (hormis les valeurs). Le schéma de questionnement est le suivant :
Figure 3‑9 : Schéma du questionnement de l’approche de l’AIU/ISoCaRP
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Notes :
[1] William Twitchett, Le site urbain : potentialités : réflexions sur le développement responsable et équilibré des établissements humains à partir de six exemples français, égyptiens et australiens, Septentrion, 390 pages & annexes. Voir le site www.tercitey.org.
[2] Twitchett, Le site urbain : potentialités,Partie A, chapitre 4 p.8
[3] Twitchett, Le site urbain : potentialités, Parie H4, p385
[4] Le mot est de P.Arnould qui tente de décliner les forêts en éco, socio et même psychosystème. Arnould P., professeur des universités, ENS LSH,, Discours sur le paysage : à la croisée des regards et des systèmes, Géoconfluences, le 23 février 2003 (http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/transv/paysage/PaysageScient.htm). Voir aussi Christine Partoune, Laboratoire de méthodologie de la géographie, Université de Liège.La dynamique du concept de paysage in Revue Éducation Formation – n° 275, septembre 2004, texte accessible sur http://www.lmg.ulg.ac.be/articles/paysage/paysage_concept.html
[5] Voir notamment H2 et H4 p.382-384
[6] Voir H5, p.385 à 389
[7] www.isocarp.org. Les études de cas sont présentées sur http://www.isocarp.net/ puis « all case studies » : les études de cas de David Prosperi et de Philippe Vaillant sont téléchargeables au format PDF.
[8] David Prosperi & Julia Lourenco, The Keen Eye of the Quadralogue: Overcoming Intractability in the urban Trialogue « The paper is organized as follows. First, the theoretical or rational considerations of the quadralogue are identified. Following a brief description of the chosen planning situations, the major portion of the paper is an assessment of these projects from the points of view of both the attributes of the “urban trialogue” as well as those in the “quadralogue “ ». Des conclusions et réflexions complètent le papier. Le texte complet est placé en annexe informatique.