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13.A. Mondialisme et mondialisation

13.A. Mondialisme et mondialisation : une distinction énoncée dans le Larousse 2003, et étayée par l’approche organique

La définition du Larousse 2003 est la suivante :

  • Mondialisme: « Doctrine qui vise à réaliser l’unité politique du monde considéré comme une communauté humaine unique ».
  • Mondialisation : « Fait de devenir mondial, de se mondialiser. Globalisation ».
  • Globalisation : « Tendance des entreprises multinationales à concevoir des stratégies à l’échelle planétaire, conduisant à la mise en place d’un marché mondial unifié. Mondialisation ».

On trouve cette définition de la mondialisation en terme de flux (« ce qui passe ») chez Stéphane Rosière dans les termes suivants : « L’intégration du monde en une vaste « économie-monde » (Fernand Braudel, 1980) est de plus en plus évidente. De plus, ce processus n’est pas seulement économique, il concerne aussi les modes de vie, de consommation, la pollution, les drogues, et tous les flux, aussi bien les mouvements de capitaux que les migrations internationales … »[1] Le FMI est très clair en ce qui concerne les flux financiers. La mondialisation est « l’abolition totale du contrôle des mouvements de capitaux, la libéralisation des services financiers transfrontières et l’élimination des restrictions limitant l’accès des institutions et investisseurs étrangers au marché »[2].

La confusion est fréquente entre mondialisation et mondialisme. C’est le mondialisme (et non la mondialisation) qui « recouvre l’ensemble des phénomènes techniques, économiques, culturels, politiques, etc. faisant de la terre un espace de plus en plus unifié et amenant l’humanité à se percevoir comme unifiée (notion de « village planétaire ») »[3]. Cette distinction est très claire dans le Larousse 2003, et cela sans erreur d’interprétation possible. Voici ci-après le schéma qui résume la différence entre mondialisme et mondialisation (les termes sont ceux de la fin du chapitre 11, pages 346-347). Celui-ci nous permettra de tirer un certain nombre de conclusions :

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Figure 13‑1 : Schéma de la différence entre mondialisme et mondialisation

Ce schéma peut également se représenter en utilisant le schéma de questionnement :

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Figure 13‑2 : Schéma des 4 conditions d’existence d’une société (d’après Whitehead, Procès et Réalité, et Debaise, Un empirisme spéculatif).

La mondialisation est la recherche de « l’abolition totale » de tout ce qui entrave les flux. Cela entraîne inévitablement la remise en cause de fait de l’héritage des sociétés, de sa transmission, et des relations sociales qui leur sont liées. Le refus de voir les liens est de nature idéologique (non prise en compte des faits de sociétés en vue d’un gain supposé -mais jamais vérifié-). Stéphane Rosière le souligne à plusieurs reprises : face aux désordres et affrontements engendrés par la mondialisation « sont trop souvent minimisés les clivages économiques et les causes économiques des affrontements » [4]. Il cite Pascal Boniface (1999) : « Bien souvent, le nationalisme et la proximité culturelle ne sont utilisés que pour mieux masquer l’intérêt économique à court terme ». Face à une généralisation des flux sans attention aux sociétés, « les lignes de fractures socio-économiques, et les inégalités sociales, sont de plus en plus nettes et tendent à se renforcer » [5]. Dans cette attention quasi exclusive aux flux présentés paradoxalement comme un remède, les frontières « paraissent de plus en plus illusoires, voire inutiles » [6]. Le territoire est remis en cause : « On l’a compris, le territoire est obsolète » [7]. Laurent Carroué [8] montre que « l’analyse de la mondialisation repose le plus souvent sur une conception économiciste qui en vient à nier les réalités territoriales ». Il démontre la résistance des réalités territoriales face au mythe unificateur [9]. Il invite à une refondation pour éviter que le monde ne devienne une simple marchandise. L’analyse de Manuel Castells va dans le même sens. Son œuvre de sociologie est reconnue sur la scène internationale. Il est sans concession : « Le capitalisme, on le sait, ne se réduit pas à la liberté des échanges : des marchés où aucune régulation n’existe sont des marchés où sévissent le pillage, la spéculation, l’appropriation abusive et, au bout du compte, le chaos, du moins si les leçons du passé ont quelque valeur. Le vide institutionnel créé par la transition entre l’État développeur et un nouveau cadre capitaliste régulé a été vite comblé par les prêteurs du monde entier, les spéculateurs et leurs complices locaux » [10].

Pourtant, force est de constater que si les solidarités sont économiques, les fractures sociales et culturelles « ne sont pas simplement virtuelles » et « restent inscrites aussi dans le territoire » [11]. Les territoires « forment une strate relationnelle obligatoire entre les acteurs » [12]. Cette analyse rejoint celle de Pierre Calame, pour qui le territoire est la brique de base de la gouvernance [13].

On le voit, mondialisme et mondialisation doivent êtres pensés ensemble, et des protections juridiques et politiques sont indispensables pour éviter la grande pauvreté, les fractures sociales et culturelles. Manuel Castells y consacre de longues analyses [14]. Les USA l’ont bien compris. En effet, Jean-Christophe Victor explique que pour « protéger de fait l’accès aux marchés », « les états-Unis dans un Farm Bill de mai 2002 ont augmenté les crédits à l’exportation pour leurs agriculteurs, et envisagent d’imposer leurs règles sanitaires aux produits agricoles sud-américains, ce qui est une façon d’en disqualifier une partie » [15]. Cet exemple illustre qu’un mondialisme n’est pas le rejet de la mondialisation, mais une priorité mise sur la société humaine avant la recherche exclusive du profit et son cortège de désordres. Dans cette perspective, le marché économique global est mis au service du développement des sociétés humaines. La politique veille au bien commun constitué d’une histoire commune, et d’un héritage à transmettre. L’économie est une composante, et une composante seulement des sociétés. Chaque société est ainsi appelée à déterminer le contraste entre le flux (« ce qui passe ») et la permanence (« ce qui ne passe pas » ou « héritage »). Ce travail est compliqué par l’évolution des sociétés-nations vers les sociétés-régionales (exercice de la subsidiarité active vers les territoires à l’échelle des 32 000 km2) ou vers les sociétés-supranationales (ou OIG-Organisations Inter-Gouvernementales- décrites de façon détaillée par Stéphane Rosières, 2003, pages 54 à 58 et 191-192).

La pensée organique permet de penser ce contraste sans opposer mondialisme et mondialisation. Une démarche géographique classique comme celle de Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy et Denis Retaillé est un exemple d’expression de ce contraste. L’économie monde « n’a pas qu’un sens économique », et s’applique aussi « à une dynamique de la société concernée, à la fois globale et orientée » [16]. Les auteurs insistent sur l’existence de deux logiques, et de leur articulation : « L’association entre géopolitique et économie-monde suppose l’intériorisation réciproque de la logique d’entreprise et de la logique d’État » [17]. Des propositions sont faites par René Passet pour réussir cette articulation. Les trois propositions sont :

  • les territoires (un contrat « de la Terre »). Le but est de (re)trouver « la dimension positive de la destruction créatrice ».
  • la société (un contrat culturel et un contrat démocratique),
  • l’homme (un contrat pour la couverture des besoins fondamentaux à l’échelle mondiale, soit : l’accès aux ressources en eau pour 2 milliards de p. (…), le logement pour 1,5 milliard, une énergie efficace pour 4 milliards) [18],

On passe ainsi de la prédation à la production sociétale.

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Notes :

[1] Stéphane Rosières, Géographie politique et géopolitique, 2003, p.175b.
[2] FMI, Bulletin du 2 février 1998.
[3] Idem, p.190b.
[4] Rosières, 2003, p. 92b.
[5] Rosière, 2003, p.82e.
[6] Rosière, 2003, p.175b.
[7] Rosière, 2003, p. 298b.
[8] Professeur de géographie à l’Université de Paris 8, à l’Institut français de géopolitique et à l’Institut d’Études Européennes, Laurent Carroué est auteur de l’ouvrage Géographie de la mondialisation, 3ème édition, Armand Colin, 2007. La citation est page 8.
[9] Ibid, pages 231-233 et page 268-270.
[10] Castells, Manuel, Fin de Millénaire. L’ère de l’information, 3, Fayard, 1999, 492 p.. Citation p.364a.
[11] Rosière, 2003, p.301a..
[12] Rosière, 2003, p.301a..
[13] Voir la fiche notion « Territoire » de FPH présentée en Annexe02a_intitulée « AITF_GT-EST-14rencontres-1998-2004-OutilFPH ». Le chemin d’accès est FPH-12fiches-cle\FPH_Territoires_Fiches-8p.pdf.
[14] Castells, Manuel, Fin de Millénaire. L’ère de l’information, 3, Fayard, 1999. Voir notamment la « Conclusion : la mondialisation et l’État », p.361-367 : « Les relations entre la mondialisation et l’Etat, qui sont au cœur du développement et de la crise en Asie, constituent le grand problème politique de cette fin de millénaire ». (p. 367).
[15] Jean-Christophe Victor, Virginie Raisson, Frank Tétart, Les dessous des cartes, Atlas géopolitique », Editions Tallandier/Arte Éditions, 2005, Paris, 251 pages. Citation de la page 64c.
[16] Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy, Denis Retaillé, Le monde. Espaces et systèmes, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et Dalloz, Paris, 1992, 565 p. Citation de la page 20c & 21a. Voir aussi p.29b & 278c (à propos de Singapour).
[17] Ibid, p.169a.
[18] Passet, 2000, p.227c.