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3.C.10. Augustin Berque

3.C.10. Confrontation avec la démarche d’Augustin Berque

Géographe et orientaliste, Augustin Berque est Directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Pour lui, le lieu relève de la « chôra » d’Aristote. C’est une notion essentiellement relationnelle : « le lieu y dépend des choses, les choses en dépendent, et ce rapport est en devenir (…) C’est le lieu du « croître-ensemble » (cum crescere, d’où concretus) des choses dans la concrétude du monde sensible. Il n’est donc pas question pour la géographie de l’ignorer, puisque c’est cela même en quoi elle se distingue d’une pure géométrie » [1]. Le rapprochement avec la notion de concrescence whiteheadienne (co-croissance, « croître-ensemble ») expliquée au chap.2.D p.40 est immédiat. Un premier travail de repérage des réalités expérientielles abordées par Augustin Berque dans L’Écoumène donne les deux schémas suivants :

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Figure 3‑17 : Schéma n°1 de l’approche d’Augustin Berque dans L’écoumène, Belin, 2000

Il est possible de détailler les notions clés présentées ci-dessus de la façon suivante :

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Figure 3‑18 : Schéma n°2 de l’approche d’Augustin Berque dans L’écoumène, Belin, 2000.

Il est clair que cela n’est qu’une première approche, car les notions traitées par Augustin Berque dépassent la culture européenne, et sa notion du symbolisme mériterait une comparaison fouillée avec l’approche processive. Elle est esquissée en partie II, chapitre 8.D. pp. 257-260.

[1] Lussault, Lévy, DGES, 2003, p.556. Le texte est accessible sur Internet à l’adresse suivante : http://espacestemps.net/document408.html à la rubrique « Augustin Berque, « ‘Lieu’ 1. » ».

3.C.1-2. Bill Twitchett & ISOCARP

3.C. L’expérience au niveau des territoires :

3.C.1. Confrontation avec la démarche de la thèse de Bill (William) Twitchett

L’intérêt de la thèse [1] de William Twitchett est de formuler des propositions à l’échelle de la planète à travers les exemples concrets des trois couples de villes Paris/Toulouse, Le Caire/Louxor, Sydney/Warraway : les idées sont enracinées dans une réalité de terrain. L’auteur a visité ces villes, ces régions, et formule des propositions qu’il a pu vérifier « les bottes au pied ». L’acteur principal n’est plus seulement le sujet d’un territoire, mais le territoire lui-même, appelé ici le site.

« En se référant plus particulièrement à la notion de site, nous n’avons nullement l’intention de limiter le phénomène de la ville d’aujourd’hui à cet aspect, mais le site d’une ville reste détermi­nant pour divers aspects de son développement, depuis le noyau initial jusqu’à la région urbaine épanouie ». La démarche exprime une confiance en l’homme et insiste sur l’importance du langage de la matière : «de façon analogue à nos propres corps, un site bien assumé par un groupe humain -même partagé avec un nombre impensable autrefois, d’autres personnes humaines- peut être source fondamentale d’épanouissement » [2].Ainsi, la dynamique qui est proposée ici est une dynami­que qui se veut non dualiste : « Au delà des questions de terrain, de réseaux, de pouvoirs, de revenus, nous voudrions pouvoir arriver à un art urbain significatif de cette nouvelle échelle, dans laquelle un site ferait effectivement partie d’une civilisation où le corps et l’esprit ne font qu’un » [3].

Le regard se porte de façon plus spécifique sur le lien entre les potentialités de développement urbain et la capacité des sites eux-mêmes à accueillir ce développement. En effet, combien de démarches généreuses et ouvertes ne bénéficient pas de l’extension qu’elles devraient avoir par défaut d’analyse du site d’accueil de l’initiative ? Dans d’autres cas, l’analyse est faite et vécue … mais les acteurs économiques et politiques peuvent avoir d’autres enjeux. L’analyse est alors un outil d’interpellation des élus, de confrontation, de débat citoyen pour faire évoluer la mentalité des décideurs, et s’orienter vers le souhaitable à partir des potentialités des territoires.

L’ingénieur territorial est appelé à développer ce sens du territoire, qui n’est plus la conception d’un territoire-surface avec une frontière administrative, mais qui est une approche relationnelle du terri­toire (Calame, 2003). B.Twitchett souligne parmi ces relations l’importance du lien de l’homme et des sociétés au site, le tout étant dans des sociosystèmes [4] très mobiles, imbriqués.

La dynamique d’analyse mise en œuvre n’est pas formulée explicitement, mais tous les éléments sont là, notamment le contraste fort entre le site bien matériel et un travail sur les potentialités, c’est à dire « ce qui n’est pas encore ». Cette dialectique entre ce qui est et ce qui n’est pas encore sous-tend l’œuvre de tous les grands philosophes et chercheurs. Une formulation saisissante, soulignée par Whitehead, en est fournie par Platon dans le Timée. La démarche de B.Twitchett est bien dans cette dialectique, suivant la proposition du schéma qui suit.

Cette démarche a été appliquée aux six régions, aux trois échelles de temps suivantes : la situation en 1800, le temps de l’agglomération entre 1800 et 1950, la période d’évolution vers la région urbaine, après 1950.

Elle est appliquée aussi à différentes échelles territoriales : de la ville à la région urbaine puis aux territoires nationaux. L’abondance de la documentation, les descriptions concrètes rendent saisis­sante et crédible l’expression des potentialités d’accueil des sites. L’approche se montre soucieuse de contribuer, tout comme la FPH, à la triple réconciliation de l’homme avec la société, avec la nature, et les sociétés entre elles [5]. Elle développe d’autre part un art de la fondation avec une appréciation politique fine de l’opportunité et la pertinence de la proposition [6].

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Figure 3‑7 : Schéma du questionnement de l’expérience géographique à travers l’approche de W.Twitchett dans sa thèse Le site urbain : potentialités sous la direction de Paul Claval, 1995

3.C.2. Confrontation avec la démarche de l’AIU à son 43e congrès de septembre 1997.

L’Association Internationale des Urbanistes (AIU, et en anglais ISoCaRP –International Society of City and Regional Planners– [7]) regroupe des urbanistes praticiens de tous les continents. Ces professionnels échan­gent sur leurs méthodes, à propos de leurs études de cas. Le thème du 43e Congrès concernait le fonctionnement du Trialogue Habitants/ Élus/Praticiens.

Ce qui est visé par le trialogue est la participation des habitants dans le processus de décision et dans le dessin des projets. Mais cela est très difficile à réaliser ! Un certain nombre de congrès sont revenus sur ce point comme celui de Braga au Portugal en 1984. Le trialogue est une vision pros­pective de ce que devrait être l’urbanisme.

Encore une fois, il est surprenant de constater qu’avec des noms différents, une expression diffé­rente, nous retrouvons directement trois des cinq réalités d’expérience constitutives de la dyna­mique de transformation des territoires, des sociétés et des hommes, à savoir les phases a (les interactions ou préhensions), b (la vision) et c (les objectifs ou propositions).

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Figure 3‑8 : Le lien entre le trialogue et les réalités de la dynamique territoriale

Dans le trialogue, manque-t-il deux réalités ? réalité ab (les valeurs) et réalité d (la mise en œuvre) ? Non ! la valorisation (le socle éthique, les valeurs, ou déontologie) est sous-entendue dans le trialogue : elle est le ciment de toutes les réalités (valeur de responsabilité dans la gestion de la planète ; valeur de convivialité dans l’organisation de nos régions). Les valeurs sont les liens entre les réalités. Manque-t-il encore la quatrième phase? Oui, effectivement. Mais il s’agit d’un oubli, qui a été corrigé dans l’organisation du Congrès. En effet, dans la pratique, au 43ème Congrès, le trialogue n’a pas fait l’objet de trois ateliers (un par élément du trialogue) mais de quatre: le quatrième a été créé pour les professionnels de l’urbanisme et du secteur privé qui produisent des projets urbains, afin de traiter le lien avec les habitants. Cette analyse en quatre phases est confortée par l’intervention de David Prosperi & Julia Lourenco, Le regard percutant du quadralogue: maîtriser la difficulté de maniement du Trialogue [8]. La démarche est riche de références américaines et d’exemples empruntés aux USA et au Portugal. On retrouve donc bien nos quatre réalités d’expérience (hormis les valeurs). Le schéma de questionnement est le suivant :

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Figure 3‑9 : Schéma du questionnement de l’approche de l’AIU/ISoCaRP

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Notes :

[1] William Twitchett, Le site urbain : potentialités : réflexions sur le développement responsable et équilibré des établissements humains à partir de six exemples français, égyptiens et australiens, Septentrion, 390 pages & annexes. Voir le site www.tercitey.org.
[2] Twitchett, Le site urbain : potentialités,Partie A, chapitre 4 p.8
[3] Twitchett, Le site urbain : potentialités, Parie H4, p385
[4] Le mot est de P.Arnould qui tente de décliner les forêts en éco, socio et même psychosystème. Arnould P., professeur des universités, ENS LSH,, Discours sur le paysage : à la croisée des regards et des systèmes, Géoconfluences, le 23 février 2003 (http://geoconfluences.ens-lsh.fr/doc/transv/paysage/PaysageScient.htm). Voir aussi Christine Partoune, Laboratoire de méthodologie de la géographie, Université de Liège.La dynamique du concept de paysage in Revue Éducation Formation – n° 275, septembre 2004, texte accessible sur http://www.lmg.ulg.ac.be/articles/paysage/paysage_concept.html
[5] Voir notamment H2 et H4 p.382-384
[6] Voir H5, p.385 à 389
[7] www.isocarp.org. Les études de cas sont présentées sur http://www.isocarp.net/ puis « all case studies » : les études de cas de David Prosperi et de Philippe Vaillant sont téléchargeables au format PDF.
[8] David Prosperi & Julia Lourenco, The Keen Eye of the Quadralogue: Overcoming Intractability in the urban Trialogue  « The paper is organized as follows. First, the theoretical or rational considerations of the quadralogue are identified. Following a brief description of the chosen planning situations, the major portion of the paper is an assessment of these projects from the points of view of both the attributes of the “urban trialogue” as well as those in the “quadralogue “ ». Des conclusions et réflexions complètent le papier. Le texte complet est placé en annexe informatique.

3.B.2. Bernard Vachon

3.B.2. La démarche du développement local, à travers la synthèse proposée par Bernard Vachon

Cette démarche est une dynamique. « Ni mode, ni modèle, le développement local est une dynamique qui met en évidence l’efficacité des relations non exclusivement marchandes entre les hommes pour valoriser les richesses dont ils disposent » exprime Bernard Pecqueur [1]. C’est aussi une stratégie.

Comme pour la FPH dans son cahier de proposition Le territoire, lieu des relations : vers une communauté de liens et de partage (2001), le point de départ est un refus [2]. Refus de la paupérisation, de l’exclusion, de la dépendance, et de la mise à l’écart de la croissance. Refus de la seule rentabilité, efficacité, rendement, spécialisation, modernisation, centralisation, modernisation [3] Sur la base de ce refus, une concertation devra permettre aux personnes de se connaître, de mener un effort de compréhension et de résoudre les conflits de relation [4].

Pour réagir, une adhésion des acteurs est nécessaire [5]. La réaction (ou proaction) est basée sur des valeurs de souplesse, d’adaptabilité, d’initiative, de leadership d’animation, d’esprit d’initiative, de rigueur et de souci de la qualité, de la rapidité de réaction, … [6]. L’enracinement dans l’identité collective, appuyé sur le sentiment d’appartenance à un territoire commun est important (culture basée sur les valeurs familiales, communautaires, professionnelles).

Ces valeurs sont mises en œuvre pour réaliser la finalité (ou vision) visant à mettre l’homme au cœur des finalités de la croissance, dans une approche microéconomique articulée sur l’approche macroéconomique [7]: la personne est le moteur du changement, et c’est son intelligence qui façonne les sociétés [8].

L’objectif visé est la reconquête d’une identité collective  [9]. Ce n’est pas la ressource qui crée le projet, c’est le projet qui crée la ressource, et permettra l’autonomie locale et une force endogène [10]. L’intuition et la subjectivité sont importantes pour la mise en œuvre [11]. L’action réalisée devra faire l’objet d’une évaluation [12].

C’est un processus : toute une série d’événements et d’actions permettra d’atteindre ces objectifs [13]. Ce système a une logique, c’est à dire qu’il fonctionne selon des règles qui s’établissent dans une suite cohérente d’événements nécessaires à sa dynamique  [14].

« Bien sûr, dans la réalité quotidienne, les actions de développement ne se déroulent pas de façon parfaitement linéaire : jamais il ne sera donné de voir des événements et des interventions se succéder les unes aux autres en parfaite conformité avec l’ordre planifié, dans une stratégie ou un plan d’action » [15].

Cette remarque rejoint celle de P.Braconnier, ainsi que la remarque préliminaire d’A.N. Whitehead en ce qui concerne la concrescence, à savoir qu’il s’agit de phases logiques, et non de phases successives.

Tous les éléments relevés ci-dessus sont intégrés dans la confrontation au schéma de questionnement. Les schémas de Bernard Vachon des pages 121 et 178 sont cohérents avec la formalisation présentée, avec une différence principale : les valeurs et attitudes n’apparaissent pas dans le schéma de la page 121 et ils apparaissent comme l’étape centrale des 5 étapes proposées sous la dénomination « Choix d’une démarche ou d’un modèle théorique servant de cadre de référence ». Nous suggérons que les valeurs et attitudes soient les vecteurs (les flèches) entre les différentes étapes, le premier vecteur se trouvant entre l’étape du refus et de la finalité (ou vision).

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Figure 3‑4 : Schéma de l’approche de Bernard Vachon dans Le développement local : Théorie et pratique : Réintroduire l’humain dans la logique de développement, 1993.

On note la référence spontanée à la nécessité d’une « succession d’événements » pour enclencher la dynamique de changement.

[1] Vachon, 1993, p.91

[2] Vachon, 1993, p.49 à 67.

[3] Vachon, p.75.

[4] Vachon, 1993,p. 170 à 181

[5] Vachon, p.111.

[6] Vachon, 1993, p.83, p.117

[7] Vachon, 1993, p.74-77

[8] Vachon, 1993, p.86 à 89

[9] Vachon, 1993, p.188

[10] Vachon, 1993,p.95 à 97

[11] Vachon, 1993, p.188

[12] Vachon, 1993, p.182 à 202

[13] Vachon, 1993, p.188

[14] Vachon, 1993, p.74

[15] Vachon, 1993, p.110